Note : 2/5
Alexander Payne a des problèmes. Avec sa famille, avec la quarantaine, avec les films qui ont du rythme et de la force. Son dernier film Nebraska reste dans la lignée du précédent, The Descendants : d’un contemplatif prétentieux et qui se veut profond. Il lui arrive cependant de sortir du côté obscur à quelques rares moments qui évoquent son meilleur film, Sideways.
© Bona Fide Productions
Nebraska raconte le périple d’un vieillard sénile dont l’une des dernières lubies est d’aller récupérer un million de dollars promis par une publicité mensongère. Il est accompagné par son fils paumé et bienveillant, et le voyage les mènera surtout dans la ville de leurs vies passées et ils attiseront la curiosité et l’envie d’anciens voisins vénaux.
L’originalité n’est pas une qualité de Payne. Le réalisateur se sent plus l’âme d’un moralisateur désinvolte, narrant avec une conviction qui ne satisfait que lui. Des plans passifs sur des paysages américains de plaines et de vallées, des champ-contre-champs interminables dans une voiture d’une platitude monstrueuse, un noir et blanc qui ne sert strictement aucun de ses propos… Quels sont-ils ses propos ? La vanité des beaufs du midwest, le microcosme d’une famille et d’un village pour qui la vie n’est qu’une attente infinie et sans but, le portrait d’une relation père-fils séparés par leur génération respective, la description d’un ancien modèle (l’American way of life, encore lui) qui se meurt, rien que ça.
Le principal problème de cette critique, on ne le cachera pas plus longtemps, est de devoir parler d’un film qui ne parle pas lui-même. Nous assistons dans Nebraska à une histoire qu’on connaît déjà bien, trop bien, celle de l’errance endormie qui fait la marque de pratiquement tous les films du cinéma indépendant actuel. L’impression qui se dégage n’est pas forcément mauvaise à la vue du film, mais les bâillements répétés de la salle trahissent tout de même un cruel manque d’inventivité et d’implication.
Il y a certes quelques scènes dignes d’intérêt quand on cherche un dentier au milieu d’un chemin de fer désert ou quand on explique le caractère des membres de la famille qui gisent au cimetière local. Il y a aussi le personnage de la mère qui tente de relever le niveau grâce à l’agacement et la drôlerie qu’elle provoque. En fait, elle est la seule marque de vie dans une oeuvre morte. Et puis elle nage bien trop bas pour pouvoir espérer sauver un navire qui a sombré depuis déjà quelques quarts d’heure.
On en vient sérieusement à se demander si les films américains de moins de cinquante millions de dollars savent que d’autres trames narratives existent, que les personnages ont le droit de ne pas être fatigués par la vie, que les plans peuvent aussi faire autre chose que montrer ce qu’ils enregistrent, que les cinéastes ne sont pas condamnés à rester dans la tragi-comédie, ce genre si révélateur d’un entre-deux confortable et qui ne se positionne jamais pour parler au plus grand nombre d’âmes en peine.
Nebraska n’a rien fait, il n’est ni bon ni profondément mauvais, il est seulement une goutte d’eau de plus dans un vase bien trop rempli. C’est une oeuvre formatée et de formatage, encouragée par ses prédécesseurs et qui encourage les suivants. Un constat désarmant sur le cinéma américain qui se veut indépendant mais qui ne l’est que dans sa différenciation avec le blockbuster à stéroïdes. Mais si le dernier se radicalise dans une masculinisation qui en appelle constamment aux origines celtiques anglo-saxonnes, le premier se complait aussi dans l’émasculation et la névrose facile aux silhouettes sans nom et sans but.
© Paramount Pictures All Rights Reserved.
Plus de demi-mesure possible dans les deux franges du cinéma américain donc, plus de nuance, chacun a sa place et ses spectateurs. Tout plutôt que la difficulté et l’ambiguïté : on risquerait de manquer le public. La seule volonté de Nebraska, à défaut d’être le film d’un auteur, est de correspondre à son public.
Larry Gopnik
Film en salles depuis le 02 avril 2014.