Todd Terje par ci, Todd Terje par là : depuis un mois, vous n’avez sûrement pas passé une semaine sans lire son nom. D’ailleurs, assurez-vous tout de suite de le prononcer correctement : Terje se prononce TerYEAH (il faut que ça sente la fête, oui). Tout le monde encense son premier album It’s Album Time! et loue les talents de ce Norvégien à la barbe imposante d’une même voix. Across The Days revient pour vous sur le succès critique le plus surprenant de 2014. Chaussez vos lunettes et montez dans cette fusée nu-disco, direction la Norvège !
Étudiant en physique à l’Université d’Oslo, celui qui s’appelle Terje Olsen à la ville, a choisi le pseudonyme de Todd Terje en hommage à Todd Terry après avoir rencontré Prins Thomas et Lindstrøm, est DJ et producteur depuis plus de dix ans et a monté l’excellent label Olsen. Jusque là, le CV est déjà pas mal.
Il a réalisé tellement d’edits incroyables que même Internet n’arrive plus à les répertorier (la preuve). A côté de ça, il a produit Eurodans, ce qui a emmené le Candy de Robbie Williams au top des charts (ou est-ce Robbie Williams qui a emmené Todd au top des charts ?). Dans sa poignée d’EP, c’est d’abord Ragysh qui lui vaut d’être remarqué, un an avant la sortie du tubesque It’s The Arps, dont le succès est surtout valu à la bombe qui l’ouvre : Inspector Norse (on trouve aussi sur ce même EP les deux parties de Swing Star retrouvées deux ans plus tard sur l’album). Si vous êtes sorti de chez vous depuis 2012, il est impossible que vous soyez passé à côté de cette mélodie imparable :
En 2013, l’année où après avoir pris son élan sur le tremplin Inspector Norse, ses pieds décollent du sol : il sort non seulement Spiral et Strandbar (elle aussi sur l’album), mais aussi l’irrésistible Lanzarote en collaboration avec Lindstrøm; les deux larrons feront même une petite tournée à deux, dont un passage au festival Nuits Sonores (où il fêtera son anniversaire devant un public en extase). Pour faire simple : il a passé une dizaine d’années à donner autant que possible quelques lettres de noblesse à la nu-disco : T, O, D, E, R, J brillent de mille feux au Panthéon de ce sous-genre nostalgique chaleureux.
Après la naissance de son enfant à l’automne dernier, et ces quelques EP, notre copain Todd décide qu’il est grand temps de sortir un album long format, acte considéré par beaucoup (trop) comme le seul chemin possible vers la reconnaissance ultime. Annoncé sans grande fanfare et sorti courant avril dans une attente insoutenable, les six mois qui ont précédé la sortie de l’album ont pourtante été assez calmes : seule Delorean Dynamite est sortie courant février pour teaser les foules. Alors, que vaut-il vraiment, cet album ?
Son introduction, subtilement intitulée Intro (It’s Album Time!), pose d’emblée les thèmes qui régneront pendant une heure : une fête codifiée, bourrée de références au passé mais qui tend sa main vers le futur.
C’est avec Leisure Suit Preben que commencent les problèmes : oui, ça sent les cocktails frais accoudé au bar, mais ça sent aussi la BO de mauvais film porno avec du sable dans la raie du cul. Le tout avec une telle construction (en deux parties qui ne se répondent pas) que l’atmosphère ensoleillée se perd. Preben Goes To Acapulco ne fait que prolonger la partie, c’est une sorte de suite (vous aurez noté que Mister Preben semble être le personnage principal de la saga), là encore composé en deux parties opposées, dont seule la deuxième ose mêler les cordes à une hymne entêtant. C’est seulement avec la débilitante Svensk Sas, trop courte, que les rythmes se déploient comme ils devraient être : décomplexés et intenses. Strandbar et Delorean Dynamite continuent dans cette lancée sans se poser de questions, mais elles ont moins d’impact car on les a déjà entendues. Placées ici, au milieu d’album, leur puissance n’en est que réduite, surtout quand elles précèdent l’interlude Johnny & Mary, qui prend aux tripes en même temps qu’elle endort l’auditeur. La voix de Bryan Ferry, profonde et précieuse qu’elle soit, fatigue autant qu’elle sonne fatiguée. Dommage car c’est là qu’arrive le vrai tube de l’album : Alfonso Muskedunder. Un tsunami de sonorités eighties à souhait qui déglingue tout sans rien casser de fragile, une mélodie entêtante sans trop en faire, une vraie bonne humeur, voilà ce qu’on veut. Arrivent alors les deux parties de Swing Star, qu’il vaut mieux considérer comme un bel ensemble de treize minutes tant ici les deux parties se répondent et se complètent à merveille. Oh Joy, aussi incroyable qu’elle soit, avec sa montée dantesque et inarrêtable, est encore une fois mal placée, entre les plus sombres Swing Star et avant l’explosion Inspector Norse, sur laquelle il n’est probablement pas nécessaire de revenir ici.
Au delà de ses tubes imparables, il est clair qu’It’s Album Time!, après quelques écoutes, révèle ses failles : une tracklist pire que bancale et un manque sévère de nouveaux morceaux (on en connaît d’avance 5 sur 12 si l’on suit ne serait-ce que de loin l’actualité du barbu).
Mais la pire des failles, c’est qu’il est impossible de ne pas comparer cet album à Random Access Memories. Comment aurait sonné cet album s’il était sorti un an plus tôt (et donc un mois avant celui de Daft Punk) ? Ne pas se poser la question, c’est être sourd et aveugle. On y retrouve les mêmes harmonies, les mêmes envies, les mêmes références, les mêmes temps forts et les mêmes temps faibles. Si la comparaison peut paraître flatteuse, on se rend compte qu’elle se fait au détriment du dernier paru : les deux robots avait su placer Contact en clôture de l’album, là où Oh Joy est indéniablement affaiblie dans une avant-dernière position qui ne lui sied pas, ils avaient réuni un casting de blockbuster qu’ils ont réussi à mener à la baguette, quand ici un Bryan Ferry mal placé semble errer esseulé à la fête de sa petite-fille.
It’s Album Time apporte malheureusement la preuve, une fois de plus, que la dance music ne se traduit pas aisément en long format, et qu’être un excellent DJ (relire notre avis extatique à Pitchfork) ne suffit pas à faire un excellent disque. En voulant faire le premier grand album nu-disco, Todd Terje a signé un petit album pop, sans trouver le juste milieu entre hédonisme contenu et fête jouissive.