(That is la question)
Parmi les nombreux pièges que le bon traducteur se doit d’éviter, il en est un, d’apparence anodine, qui mérite que l’on s’y arrête : doit-il traduire les mots étrangers du texte source vers le texte cible ? Ou plus simplement, comment faire lorsqu’une langue s’immisce dans une autre langue ? Prenons un exemple : on me confie un article de presse rédigé en italien qui doit être traduit en français. Rien de bien méchant en apparence, sauf que cet article est truffé de mots anglais empruntés au langage informatique, du type « file » (fichier), « keyword » (mot-clé), « browser » (navigateur) ou « mouse » (souris). A la différence de l’imperméable espagnol, la langue de Dante s’imprègne de nombreux anglicismes.
Dans le langage courant, les Italiens utilisent le mot « file » pour désigner un fichier. Ce qui n’est pas le cas en France. Je dois donc le traduire. A l’inverse, je laisse « PC » (Personal Computer) en l’état puisqu’il a trouvé sa place dans la langue française.
Donc oui, il faut traduire mais pas tout car il faut tenir compte de l’usage d’un mot étranger (souvent anglais) dans la langue cible.
Les Espagnols, par exemple, utilisent peu d’anglicismes et lorsqu’ils le font, ils veillent à « hispaniser » le mot. « Football » devient « futbol », « parking » se transforme en « parquin ». A Madrid, on ne parle jamais de « week-end », mais de « fin de semana ». Une fin de semaine qui, pour nous autres Français, précède le week-end…
L’Académie française a bien tenté de nous imposer « vacancelle » pour remplacer le sacro-saint « week-end », mais sans trouver le moindre écho. Le franglais se porte bien, même si, contrairement aux Italiens, nous résistons à certains mots reconnus sur le plan international, en traduisant par exemple « software » par « logiciel », « hard disk » par « disque dur » ou « mail » par « courriel ».
La révolution numérique fut si rapide et son vocabulaire si abondant que les mots originels, en anglais, se sont plus ou moins figés dans les langues du monde entier.
Prenez le « clouding » (ou « cloud computing »), un terme apparu très récemment et particulièrement tendance dans les médias. En gros, il désigne le fait d’utiliser son ordinateur via Internet pour accéder à ses applications et à ses données. « Cloud », en anglais, signifie « nuage ». Une petite note de poésie qui rend le mot encore plus mystérieux.
Demandez à votre ado s’il sait ce qu’est un nivoplanchiste.
Dans le Grand dictionnaire terminologique de l’Office Québécois de la Langue Française, le « cloud computing » a pour définition l’« infonuagique »… En France, la Commission générale de terminologie et de néologie propose « informatique en nuage », ce qui fait sourire quelques geeks (« maniaques d’Internet » pour les Québécois).
Lorsque je lis dans un magazine destiné aux ados : « Un snowboarder fait le buzz avec son smartphone en jouant au frisbee dans un halfpipe », je me dis que la fameuse Commission doit s’arracher les cheveux. Heureusement, notre Ministère de la Culture ne reste pas les bras croisés. Il a ouvert un site, France Terme, « consacré aux termes recommandés auprès du Journal Officiel de la République française ». Il donne la possibilité de traduire n’importe quel mot étranger que nous utilisons chaque jour.
Ainsi, au regard de ses recommandations, la phrase que j’ai évoqué plus haut devient : « Un nivoplanchiste fait fonctionner le bouche à oreille avec son terminal de poche en jouant au disque volant sur une rampe de neige ». Mouais. Ça manque un peu de swing au niveau du style. Et puis demandez à votre ado s’il sait ce qu’est un nivoplanchiste. Il vous faudra traduire…
Alors comment doit faire le traducteur lorsqu’une langue s’immisce dans une autre langue ?
Le problème ne se limite pas seulement au vocabulaire, il se pose également avec l’emploi des acronymes. En France, nous avons l’habitude de les traduire. Ainsi, « NATO » devient « OTAN », « IMF » se change en « FMI » et « UN » se transforme en « ONU ». Si je trouve l’acronyme « WTO » dans un texte en anglais, je traduis par « OMC » en français. Or, les Italiens (encore eux) ne se donnent pas cette peine. Les acronymes internationaux sont rarement traduits. Pour les Transalpins, « SIDA » se dit « AIDS », et l’ADN devient « DNA ». Encore faut-il le savoir. Pour cela, il faut parfaitement maîtriser les us et coutumes linguistiques du pays concerné. Mais n’est-ce pas l’apanage d’un traducteur digne de ce nom ?