L’idée peut paraître saugrenue, mais s’il fallait établir un palmarès des prières les plus récitées dans le monde, le « Notre Père » arriverait largement en tête… Les 2,1 milliards de chrétiens que compte la planète ont appris ou au moins entendu ce texte court, aisément assimilable, qui se déclame en moins de 30 secondes.
Il débute ainsi : « Notre Père qui êtes aux cieux, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la Terre comme au Ciel ». Au total, il regroupe 7 demandes adressées au Créateur.Le « Notre Père » a deux mille ans. Il a été enseigné par Jésus à ses apôtres. On le retrouve dans les évangiles de Luc et de Matthieu. C’est un des textes fondateurs de la chrétienté, la prière œcuménique par excellence. Elle rassemble catholiques, protestants, anglicans et orthodoxes, qui tous l’ont intégré dans leur liturgie.
La version originale du « Notre Père » fut écrite en araméen et en hébreu, traduite en grec puis en latin avant d’être, au fil des siècles, adaptée dans toutes les langues. Notre version francophone date de 1966. A l’époque, sous l’égide de ce que l’on appelle le Vatican II, l’Église décide d’abandonner la messe en latin. Les textes liturgiques sont alors traduits dans la langue des fidèles. Le « Notre Père » subit donc un lifting censé le moderniser et le rendre plus facile à déclamer.
A titre d’exemple, l’emploi de la deuxième personne du pluriel est abandonné au profit d’un tutoiement plus direct et convivial. Mais dans cette nouvelle mouture, une phrase pose problème. Elle concerne la sixième demande faite au Seigneur. Elle est formulée ainsi : « Ne nous soumets pas à la tentation ».
Dans le « Notre Père », la phrase « ne nous soumets pas à la tentation » est officiellement remplacée par « ne nous laisse pas entrer en tentation ». Le style s’alourdit mais le sens est sauf.
Elle signifie, pour des esprits novices, que Dieu pourrait nous inciter à affronter l’interdit. Or ne serait-ce pas là la principale activité du Diable ? Les chrétiens francophones en perdent leur latin.En fait, il s’agit d’une mauvaise traduction de la version latine : « Et ne nos inducas in tentationem ». Tout est dans le « inducas », du verbe latin « inducere », qui signifie « induire », lui-même traduit du grec « eisphérô ». « Induire » est un mot aux contours assez flous. « Porter, pousser à faire quelque chose », nous dit le dictionnaire. En 66, pour faire simple, les sages ont traduit « induire » par « soumettre », et commis, de fait, un contresens.
A la fin des années soixante, des voix s’élèvent contre cette anomalie théologique. Mais rien n’y fait. Ce nouveau « Notre Père » a obtenu la bénédiction de Rome. Autant dire qu’il est incontestable.
Il faudra attendre près de 50 ans et une nouvelle traduction de la Bible liturgique (regroupant les textes qui sont utilisés lors des offices) pour que l’erreur soit réparée.
Ainsi, le 22 novembre 2013, la phrase « ne nous soumets pas à la tentation » est officiellement remplacée (avec l’aval du Vatican) par « ne nous laisse pas entrer en tentation ». Le style s’alourdit mais le sens est sauf.
Cette nouvelle bible francophone est le fruit d’un travail qui aura duré 17 ans, regroupant un collège d’experts composé de 70 traducteurs. Le « Notre Père » a été repris d’après sa version originelle. Dans la prière que propose Jésus, la tentation désigne le fait de ne plus croire en lui, de vouloir quitter sa maison et n’a donc rien à voir avec la tentation telle que nous nous la représentons aujourd’hui. Ainsi, « ne nous laisse pas entrer en tentation » revient à dire « ne nous laisse pas douter de toi ».
Il est amusant de constater que l’on peut entrer en tentation comme on entre en religion.
Cette rectification relative à un texte séculaire pose malgré tout quelques problèmes. Quand, par exemple, va-t-on la rendre obligatoire ? Et qu’en pensent les fidèles les plus âgés, ceux qui la récitent par cœur, presque mécaniquement, depuis des décennies ? Beaucoup, assurément, viendront d’abord buter sur cette nouvelle phrase avant d’estimer que pour eux, il est trop tard pour en changer.