Un film de Pascal Elbé (2010 - France) avec Pascal Elbez, Roschdy Zem, Samir Makhlouf, Ronit Elkabetz, Florence Thomassin, Simon Abkarian, Valérie Benguigui, Adèle Exarchopoulos
Un beau film, noir, sans concession.
L'histoire : Un médecin se fait agresser dans sa voiture dans une banlieue. Assommé par les projectiles qu'on lui envoie, il s'évanouit, alors que l'un des assaillants balance un cocktail Molotov sur le véhicule. Mais voyant que le docteur ne sort pas, il est pris de remords et vient le sortir de la voiture, avant de s'enfuir. Il s'agit de Bora, un jeune garçon de quatorze ans pourtant sans histoire, élevé comme il faut avec son petit frère, par leur mère d'origine turque, courageuse et opiniâtre. Mais les jeunes se montent la tête ensemble, s'entraînent les uns les autres, persuadés qu'ils n'ont pas d'avenir, constamment sur la défensive, car constamment agressés par la misère où on les maintient. Le gouvernement, pour apaiser les esprits, ayant appris qu'un jeune avait sauvé le médecin, veut à tout prix le retrouver pour le décorer. Bora ne veut pas en entendre parler car il sait que ses camarades en conclueront qu'il les a tous balancés aux flics. Sa mère ne comprend pas ; pour elle cette décoration est une chance extraordinaire d'être "reconnu" et de faciliter à son fils l'accès à de bonnes études et à des projets d'avenir. Pendant ce temps, la police a arrêté un suspect ; il ne veut pas dénoncer le lanceur du cocktail Molotov, mais risque la prison... Le frère du médecin est policier et fait une affaire personnelle de l'enquête pour trouver le criminel. Peu à peu les pistes se resserrent autour de Bora...
Mon avis : Une réussite que ce premier film de Pascal Elbé réalisateur. Dense, avec des destins qui se mêlent autour du même "fait divers" ; telle une tragédie grecque, l'histoire se déploie, les destins s'entrecroisent, vers une fin que l'on sait inéluctable. C'est comme un caillou qu'on lance dans l'eau et qui n'en finit plus de faire des vagues...
Tout en gardant toujours la maîtrise du scénario, Elbé arrive à évoquer tous les problèmes qui, juxtaposés, forment ces banlieues dites "sensibles", explosives, sur lesquelles policiers et gouvernants se cassent les dents sans trouver le moindre début de solution. L'intégration (tout le monde étant "l'étranger" de quelqu'un - dans une scène une femme s'offusque parce qu'on l'a prise pour une "gitane"...) et le délit de faciès ; des femmes seules qui n'arrivent plus à avoir l'autorité sur leurs aînés ; les jalousies, les rivalités, la délinquance juste pour s'occuper (Bora dit à sa mère qu'il ne sait pas pourquoi il a fait ça...) ; et toutes les réactions en chaîne, représailles, ras-le-bol des policiers qui pètent les plombs, ayant eux-mêmes leurs propres drames familiaux à gérer, et sans compter les victimes collatérales... Et pourtant, tout ce monde-là n'a qu'un seul idéal en tête : vivre tranquille !
Car il y a beaucoup de sentiment là-dedans malgré la noirceur du sujet, l'amitié, l'honneur, la responsabilité, la gratitude, l'amour maternel, l'amour filial, l'amour fraternel... c'est très humain, mais sans angélisme, et c'est pour ça que c'est si touchant.
Un petit bémol : l'histoire de l'homme dont la femme est morte, parce que le médecin - du fait de son agression - n'a pas pu se rendre chez eux à temps. Désespéré, il le poursuit et on devine qu'il veut le tuer... Mais c'est invraisemblable : pour avoir son identité, il a forcément enquêté et a donc forcément été informé qu'il avait été blessé et était à l'hôpital ! Ce n'est donc pas sa faute si sa femme est morte... Et puis les JT n'arrêtent pas de parler de l'affaire... Impossible donc d'échapper à l'information, même dans un bistrot. Ou alors le type est devenu réellement dingue... Ca m'a gêné, ce truc. Pas clair.
Excellente interprétation de tous les comédiens. A noter la regrettée Valérie Benguigui dans un de ses derniers rôles, et puis aussi un mignon petit Léo Elbé, fils du réalisateur.
En tous cas, voilà un bon film sur le problème des banlieues, un film clair et réaliste, qui ne prend parti ni pour les uns ni pour les autres... mais qui malheureusement rend pessimiste sur les possibilités de les régler parce que justement c'est là que le bats blesse : personne n'est vraiment responsable. C'est l'histoire du chien qui se mord la queue, l'histoire de l'oeuf et de la poule... On commence par quoi pour rétablir justice et équité ?
Réalisation à l'image de l'histoire : dure, tranchante, efficace. Un BON film français ! Cocorico !