Et si 2014 était l’année des barbus ? L’album de Todd Terje, venu du grand Nord, a eu un grand succès dans la critique et il pourrait en être de même pour celui du prodige australien Chet Faker. On a écouté pour vous Built On Glass. Verdict.
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Ces derniers mois, l’agenda de Chet Faker a plutôt été rempli. Auteur d’un DJ set pour Boiler Room sur un rooftop de Melbourne, il a ensuite pris la direction du festival South by Southwest (SXSW) au Texas avant de venir en Europe, pour assurer une tournée et la promotion de Built On Glass. À 24 ans, Nick Murphy de son vrai nom lance son premier album. C’est un exercice inédit pour celui que l’on connaît pour quelques tracks clairsemées, des remixes et des featurings éparpillés. Entre autres, No Diggity et Left Alone ont fait sa renommée, la première au sein de l’EP Thinking in Textures en 2012, la seconde dans le cadre d’une collaboration avec Flume, son collègue du label Future Classic. Polyvalent, il appose sa propre voix sur ses arrangements électroniques et ne cache pas s’inspirer du R&B ou du jazz. Son nom de scène est d’ailleurs un hommage au jazz-man américain Chet Baker, inscrit dans le marbre de son panthéon musical personnel. Le son de Chet Faker, ondoyant et chaleureux, est parfait pour chiller au soleil. Sorte de James Blake de l’hémisphère Sud, la musique hybride qu’il produit pourrait être qualifiée d’électro-soul.
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La voix de Chet Faker, habituellement timorée et faite de torturements langoureux, vous incite au contraire à « relâcher vos problèmes » à la première track, « Release your problems ». On comprend dès le début de Built on Glass qu’il s’agit plus d’un album orienté soul qu’electro. Les talents de DJ de Faker sont exprimés de manière minimaliste et les beats constituent une trame de fond. Talk is Cheap, petit bijou tout en échos et en saxo, est un des piliers de l’oeuvre. Ce titre, révélé en février, inonde cet opus de volupté pendant quelques instants.
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Puis le mystère envahit l’album le temps d’un court intermède sur No Advice, où bruits aquatiques et raisonnances lointaines précèdent la puissance d’un choeur éphémère. Vient alors une autre piste très réussie : avec des beats posés qui lui confèrent un aspect R&B, Melt révèle une voix féminine, celle de Kilo Kish. La chanteuse américaine, dont le timbre vocal n’est pas sans rappeler celui de Charlotte Savary, la voix attitrée de Wax Tailor, possède une palette variée d’activités puisqu’elle est aussi peintre, styliste, compositrice. On entendra à coup sûr reparler de celle qui s’était notamment distingué par un featuring avec The Internet, le groupe fondé par des membres du collectif de hip-hop californien Odd Future (aka OFWGKTA).
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Sur Gold et To Me, la puissance des voix va crescendo sans s’enflammer pour autant, en laissant la place à des basses élégantes et des synthés légers. C’est là toute la subtilité du son de Faker. Puis un « slash » annonce vocalement « the other side of the record », comme si Built on Glass était décomposé, à l’ancienne, en deux parties. Mais ce choix manque de cohérence, il n’y a pas réellement de césure entre la « face 1 » et la « face 2 » et cette deuxième partie est relativement éclectique : Blush, avec ses voix robotisées, est une piste destructurée alors que 1998 saura vous faire danser. Comme son nom l’indique, « 1998 » nous ramène quelques années en arrière avec une disco-house surannée dont Chet Faker a le secret : on a des claquements de mains bien kitsch, des drums répétitifs et des synthés un tantinet désuets, un peu comme cette expression d’ailleurs. Le tout pour une superbe track à vous ensoleiller un lundi pourri.
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C’est seulement sur la fin de l’écoute que cet album prend une dimension plus émotionnelle, « soul ». On regrette le fait que Cigarettes & Loneliness soit longue et manque d’intérêt. Dead Body, aux allures de clap de fin, est proche d’un slow. Si Built On Glass illustre bien la variété des talents de Chet Faker, ses meilleures tracks ne sont pas sur cet album, qui pêche par faute de cohérence. Faker était habitué jusque là à produire des tracks seules et à les révéler sur Soundcloud, isolées les unes des autres. Des éclairs de génie sporadiques, l’Australien a du mal à passer au masterpiece. C’est une toute autre histoire de produire un album avec une réelle cohérence et un fil directeur, dans lequel les chansons se répondent et racontent une histoire globale. Le talent de Faker est là, la subtilité de sa musique aussi, mais la solidité de l’album en lui-même s’apparente à son titre. Comme le verre, il menace de se briser, et on lui souhaite pas de passer au travers de cette année charnière pour lui. En résumé, carton blanc pour Built on Glass mais pouce en l’air pour l’artiste Chet Faker
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Note:
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