Une phrase tirée du Journal d'Anne Frank, je ne voyais pas chercher ailleurs le titre de notre billet du jour. Pas seulement parce qu'il y est question d'une petite fille appelée Hannah, mais parce qu'elle est surtout confrontée au même drame que la jeune néerlandaise... Pourtant, c'est un roman bien différent que nous avons avec "la Chambre d'Hannah", de Stéphane Bellat (en grand format chez MA éditions). Un roman fantastique qui s'inscrit dans la volonté de cette maison d'édition de parler de la IIème guerre mondiale avec pédagogie, au travers de fictions complétées par des annexes informatives. Mais c'est aussi un roman sur l'enfance confrontée, brutalement, à la réalité loin d'être toujours rose de notre humanité.
Pierre Descarrières va sur ses 12 ans, en cette année 1992, et il n'a pas un gros moral. Ses cheveux roux et ses oreilles décollées lui valent les moqueries de ses camarades, il a peu d'amis, à part Maxime. Lucile, la première fille qui a fait battre son coeur, s'est avérée être intéressée et égoïste, au point de le décevoir puis de trahir sa confiance...
Pierre est le genre d'élève passe-partout, ni excellent, ni mauvais. On ne peut pas dire qu'il s'entende particulièrement bien avec ses profs, en particulier avec sa prof d'histoire, Mme Longueau... Pas son truc, l'histoire... Les cours sur l'Egypte antique ne le passionnent guère et son esprit vagabonde facilement...
A la maison, ça ne va guère mieux. Christian, son père, est professeur d'histoire-géographie, une activité qui semble l'absorber tout entier, tandis que sa mère, Nathalie, remâche sans cesse ses frustrations professionnelles (elle n'a jamais pu être l'infirmière qu'elle rêvait d'être) et n'arrive pas à faire le deuil de ses parents.
Entre Christian et Nathalie, ça barde. Souvent. Tout le temps. Chaque discussion est sujet à dispute entre Christian, effacé et prompt à se refermer sur lui-même, et Nathalie, qui semble projeter sur son époux toute la colère qui l'habite, en même temps que son sentiment d'être inutile... Difficile de grandir dans un tel climat et le petit Pierre en souffre...
Lorsqu'il n'en peut plus d'écouter les adultes s'envoyer des noms d'oiseau à la figure, Pierre préfère s'enfermer dans sa chambre, celle qu'il a connue depuis sa naissance, dans l'appartement familial, rue de Belleville, à Paris. De plus en plus touché par ces événements, Pierre déprime et en vient même à envisager le pire...
C'est alors qu'apparaît Hannah...
Oui, "apparaître", c'est le mot ! Pierre en est certain, il a affaire à un fantôme ! Une fillette du même âge que lui qui dit s'appeler Hannah. Il la voit, il l'entend, il discute avec elle, mais force est de constater qu'il a du mal à comprendre ce que Hannah lui dit... Il ne s'agit pas d'une question de longueur d'ondes, plus l'impression qu'elle ne vit pas du tout comme lui...
La conversation d'Hannah est semée de phrases qui intriguent Pierre. Autant d'indices que, discrètement, il va essayer de comprendre, sans pour autant révéler qu'il rencontre régulièrement dans sa chambre un fantôme ! Déjà qu'il n'a guère la cote, passer pour fou ne l'aiderait pas vraiment ! Alors, avec l'aide de Maxime, le seul à qui il s'est confié, il avance en marchant sur des oeufs...
Mais, peu à peu, il assemble les pièces et comprend qui est et d'où vient Hannah : elle appartient à une famille juive qui a vécu dans le même appartement que Pierre et sa famille... 50 ans plus tôt. En 1942, donc. Pour Pierre, cela a peu de sens a priori. Cependant, il finit par comprendre que Hannah vit dans un pays en guerre dans lequel il ne fait pas bon être juif...
Cela ne lui suffit pourtant pas. Alors, avec Maxime, il va essayer d'en savoir plus sur cette période dont il ignore tout. Les deux garçons vont alors se découvrir une passion pour l'histoire, eux qui, jusqu'ici, n'avaient jamais vraiment prêté attention à ce qu'on leur enseignait... Là, ils se sentent concernés...
Je n'en dis pas plus sur l'histoire, pour ne pas en dire trop. Il y a beaucoup à découvrir dans cette histoire, même si, évacuons tout de suite un gros bémol, on devine le dénouement un peu trop aisément et assez longtemps à l'avance... Mais elle est cohérente et même assez logique, donc ne soyons pas trop dure...
Quand j'ai lu la quatrième de couverture, mon premier réflexe a été de me dire qu'on surfait là sur le succès de "Elle s'appelait Sarah". Grave erreur ! Le roman de Stéphane Bellat n'a rien à voir avec celui de Tatiana de Rosnay et ne poursuit absolument pas les mêmes objectifs. Pour moi, on a même avec "la chambre d'Hannah", un roman qui n'est pas étiqueté jeunesse mais qu'il faut recommander à un jeune public.
Je ne dis pas uniquement cela en raison de l'âge des personnages centraux, même si cela jouera forcément un peu, mais parce que Stéphane Bellat propose une initiation pleine de tact à la période de l'Occupation et aux horreurs commises par les Nazis pour des lecteurs qui ne seraient pas des habitués des romans historiques et de cette époque précisément.
J'ai retrouvé dans "la chambre d'Hannah", de façon très différente dans la forme, le même objectif que dans un autre roman publié par MA Editions, "Neveu d'Hitler", de Bob Martin, dont nous avons déjà parlé sur ce blog. Les remarques faites au sujet de ce livre colle parfaitement au livre de Stéphane Bellat.
La comparaison entre ces deux romans ne s'arrête pas là, puisque, comme dans le livre de Bob Martin, on retrouve dans "la chambre d'Hannah" des pages de couleur grises sur lesquelles on peut lire des informations sur les faits évoqués dans le corps du roman. Petite différence, elles ne sont pas intercalées dans le cours du récit, entre deux chapitres, comme pour "Neveu d'Hitler", mais rassemblées en fin d'ouvrage (ce qui n'est pas plus mal).
Stéphane Bellat, en choisissant de faire d'enfants ses principaux personnages, permet d'aborder ces questions terribles avec naïveté et fraîcheur. Je suis un peu plus vieux que les personnages du livre, je suis d'une autre génération que les jeunes lecteurs qui pourront peut-être rencontrer Hannah, Pierre et Maxime.
J'ai essayé de me souvenir à quel âge j'avais été confronté à ces réalités de la guerre, de l'Occupation, des politiques raciales... Il y a 30 ans, j'étais devant ma télé pour les 40 ans du débarquement, j'ai vu des films de guerre, le mardi soir, j'ai lu "Un sac de billes", de Joseph Joffo, etc. Mais, à partir de quand ai-je eu une réelle conscience, comme en font l'expérience les deux garçons du livre de Stéphane Bellat, de ce qu'ont pu endurer toutes les Hannah d'Europe occupée et leurs parents ? Aucune idée...
Soyons bien clair, si je recommande cette lecture à un public assez jeune, c'est justement pour cela : parce qu'on n'est pas dans l'horreur brute d'une "Liste de Schindler", par exemple. Pierre et Maxime enquêtent, découvrent, apprennent, mais, sans leur cacher la vérité, on les ménage en n'entrant pas dans les détails les plus choquants. Cela viendra ensuite, des années après les faits raconter dans le roman, à un âge où affronter tout cela est moins difficile, si tant est que cela puisse l'être...
Il y a un aspect que j'ai particulièrement apprécié dans "la chambre d'Hannah" : l'importance du témoignage direct. Autrement dit, la possibilité d'entendre des témoignages de ceux qui ont vécu les événements. On sait à quel point Primo Levi ou Elie Wiesel n'ont cessé d'insister sur ce point. D'autres, comme Valentine Goby, dans le récent roman "Kinderzimmer", illustrent cela parfaitement, même à travers le prisme romanesque.
Le temps passe, les témoins directs disparaissent et bientôt, on ne pourra plus se raccrocher qu'à des témoignages écrits ou filmés. Ici, en plaçant son roman 50 ans après la IIème Guerre Mondiale, Stéphane Bellat permet des rencontres qui vont permettre d'appréhender ces événements avec l'humanité et la compassion qui peuvent manquer aux cours magistraux.
Pour tout lecteur actuel, qu'il ait 12 ans comme les personnages du livre ou qu'il soit adulte, il y a quelque chose de fascinant, à la lecture de "la chambre d'Hannah", de voir directement confrontés deux modes de vie à 50 ans d'écart. Bien sûr, on peut faire cet exercice intellectuel en lisant un roman historique qui nous plonge complètement dans l'époque...
Mais, ici, les discussions entre Hannah et Pierre mettent ces différences encore un peu plus en évidence. Bien sûr, il y a les différences dues au progrès, Pierre a la télé, chez Hannah, on était habitué à écouter la TSF, par exemple, mais on voit aussi comment les restrictions qui visent les Juifs en 1942 influent aussi sur le quotidien de cette mystérieuse enfant, comme lorsque Pierre lui propose du chocolat.
La surprise de Pierre devant ce que lui dit Hannah (c'est sans doute en partie réciproque, mais c'est la garçon qui raconte ; il serait d'ailleurs intéressant d'imaginer le contre-champ, de refaire le roman vu par les yeux d'Hannah) est à la fois amusante, l'enfant ayant du mal à envisager un mode de vie différent du sien, mais aussi très touchant, parce que, curieusement, leurs différences rapprochent les deux enfants, par-delà le temps qui les séparent.
Je dois dire que je me suis longtemps demandé quelle était la nature de cette apparition. Mais, l'évidence s'est imposée doucement : vade retro, esprit cartésien, accepte ce que tu vois comme acquis. Là encore, l'adulte que je suis (enfin, je crois... ou ça dépend des moments...) ne peut empêcher son scepticisme de déclencher un signal d'alerte.
Pierre, comme Hannah, ont bien un moment d'arrêt, mais ensuite, ils appréhendent ce phénomène pas naturel du tout, de manière tout à fait naturelle. On évoque souvent sur ce blog la relation particulière qui unit enfance et merveilleux, en voici une nouvelle preuve, même si je ne garantis pas que, dans la réalité, tous les enfants se montrent aussi sereins...
Le fantastique n'est pas un artifice, une simple originalité pour se démarquer. Il est mis véritablement au service du récit et la nature même des apparitions est au coeur du roman. S'installe même un vrai suspense, le mot n'est pas trop fort, grâce à lui. Parce que, tout simplement, on entre rapidement en empathie avec Hannah, sur qui plane une menace terrifiante qu'on ne peut ignorer.
On ne peut pas dire qu'on soit dans un roman picaresque, malgré la présence d'enfants au centre du récit. En revanche, au fil des pages, on se rend compte qu'il s'agit d'un roman initiatique à différents niveaux. Je ne peux pas entrer dans les détails, ce serait trop en dire sur l'histoire. Mais Pierre et Maxime vont beaucoup apprendre dans ces quelques mois. Sur eux. Sur le monde qui les entoure. Sur l'Histoire qui, et il ne faut jamais l'oublier, nous marque tous, même à distance, même s'il l'on est né bien après les événements.
J'ai, à plusieurs reprises, insisté sur le fait que ce livre devrait être lu par un jeune public. Je ne crois pas que MA Editions ait d'ailleurs spécifiquement classé ce roman en jeunesse. J'ai passé un bon moment, mais c'est vrai que, comme je l'avais déjà écrit à propos de "Neveu d'Hitler", le lecteur que je suis, habitué aux lectures sur la IIème Guerre Mondiale, a pu trouver la partie historique un peu légère.
En revanche, le brio de Stéphane Bellat, c'est de parler de cette période avec pédagogie et délicatesse, pour mettre le pied à l'étrier du lecteur débutant ou peu aguerri à cette époque. Ou celui qui voudrait l'aborder sans attaquer de front l'horreur pure, la violence inouïe de ce crime démesuré. Avec un objectif indispensable : transmettre. Et, par conséquent, ne jamais oublier.