Écus (sonnet)
Mark franc livre dinar, zloty dirham euro,
Sol dong, lire yen, roupie, peseta won dollar,
Shilling rand, rial lev, taka birr bolivar,
Rouble austral, birr dinar, couronne & cruzeiro.
Florin franc, lev shilling, taka yen cruzeiro,
Dong dirham peseta, lire austral bolivar,
Roupie, Zloty franc marc, livre yen euro dollar,
Écu shilling, rial, won, couronne & peso.
Pèze fric, pognon fric, pèze fric, fric & fric.
Monnaie sou picaillon or fric oseille & brique.
Argent bronze or fric fric thune argent flouze & blé.
Franc fric dollar pognon, livre unité thune & or.
Bronze oseille argent fric, florin sou pèze & blé.
Or monnaie cruzeiro, peso, couronne & or.
Il ne se prive de rien ; écrire est un réjouissement. On trouvera par ailleurs des haïkus, des litanies, des comptines, des alexandrins trouvés (« Caisse primaire d’assurance maladie »), des calligrammes, des maximes, des pensées, des bestiaires, des petites proses ; ainsi va toute la palette poétique de Lucien Suel, poète polymorphe et prolifique. Le lecteur ne risque pas de tomber dans l’ennui, car ça bouge, dans ce livre. Lire Lucien Suel, c’est, de même, parcourir les possibles de la langue du poème, c’est s’offrir des libertés, s’ouvrir de la liberté, parcourir l’histoire littéraire : « Je m’autorise la liberté. Je suis borderline sans frontière. De nouveau, je danse : je suis debout, je respire, j’essaie un costume », écrit-il, pour ne pas se justifier. N’hésitant non plus mie à imiter les anciens (Arthur Rimbaud, par exemple, « Qu’on sonne », ou les homophonies à la Robert Desnos avec « Approximations »), n’hésitant pas à babiliser sinon à poser d’absurdes questions. Il ne se prive de rien, et tout est permis. Lire Lucien Suel, c’est s’affranchir des frontières, regarder les terrils sur la page et écouter le rythme beat des poètes américains de la Beat Generation glissés dans sa voix (poètes qu’il traduit : Jack Kerouac). A la fois poète d’art brut, poète jazz, bop, pop, rock, blues, poète prolétaire, poète jardinier, la disparité joyeuse de Lucien Suel possède de revigorantes vertus. Car, au-delà de l’humour qui couvre l’ensemble, il y a le vouloir marqué de rester debout, poète debout, en temps de crise ; or, prôner l’humour, et toute la dérision du monde, relèveraient presque du poétiquement et politiquement incorrect : de quel droit rire, n’est-ce pas ? Je suggère qu’on dépose ce livre dans les salles d’attente des cabinets médicaux, cela ferait grand bien aux gens mal portants.
[Jean-Pascal Dubost]
Lucien Suel, Je suis debout, La Table Ronde, 16€