Vendredi et les limbes du Pacifique

Publié le 15 avril 2014 par Pralinerie @Pralinerie
Je ne sais pas si on peut avouer cela à son lectorat : je n'ai pas aimé Robinson Crusoé de Defoe. Je me suis ennuyée pendant toute la lecture. C'est peut-être la raison pour laquelle ce roman de Michel Tournier a attendu si longtemps sur ma PAL alors que j'avais beaucoup aimé son Roi des Aulnes Alors, ennui ou pas ? A vrai dire j'ai eu du mal à entrer dans le livre. Les premières pages sont très bien passées : Van Deyssel tire les cartes à Robinson, annonçant ainsi tout le livre de manière cryptée (c'est une partie à laquelle on apprécie de revenir en cours de lecture et à la fin : elle donne un éclairage symbolique au texte). Les premiers jours/semaines/mois de Robinson sur l'île de Sperenza m'ont été d'une lecture un peu pénible : premières affres de la solitude, penchant vers la folie et l'animalité. L'eau et ses valeurs d'humidité poisseuse, dominent. Puis, Robinson s'organise. Il structure son environnement, travaille toute la journée au rythme de l'eau qui s'écoule de sa clepsydre. Il se repose et prie le dimanche. Il sème, il récolte et conserve. Il ne consomme que le strict minimum. L'élément phare de cette période est la terre, féconde. Je ne parlerai pas des relations très charnelles de Robinson avec celle-ci. Cette partie du roman montre une renaissance de Robinson, petit enfant né de la terre, qui devient un fougueux adolescent plein de désirs puis un homme mûr. C'est alors que tout est organisé que Vendredi vient s'adjoindre à ce petit monde. Façonné par Robinson, il laisse parler sa nature fantasque (la scène des cactus est à ce titre très belle) et va donner un nouveau tournant à la vie de Robinson. D'esclave, il devient guide et frère. S'amorce alors la période aérienne et solaire de Robinson... En relisant le roman de Defoe, Tournier y apporte une nouvelle vision, celle d'un homme que le séjour sur l'île a fait évoluer, au rythme des saisons et de la dominance successive des quatre éléments. Son rapport à l'autre a changé tout comme ses priorités lorsqu'il lui est enfin possible de rejoindre la société. Ce qui est finalement bien plus crédible que l'hypothèse immobiliste de Defoe. Ce roman au style à la fois très réaliste, charnel et imagé interroge sur la place de l'homme et sur ses buts, sur celle du maître et de l'esclave, sur celle de la nature et de la culture. Cette réécriture, loin d'être une simple réinterprétation du mythe de Robinson, questionne les principes de la société : le travail, la religion, la place de l'autre, etc. et les refuse au profit d'un épanouissement naturel de l'individu. Finalement, c'est un révolutionnaire ce Robinson !