Je suis très inquiet du début de campagne de l'Alternative. Non seulement ses premiers meetings ont été inaudibles, mais, bien plus inquiétant, le message délivré pourrait nous conduire droit à une gifle retentissante si nous persévérons dans l'erreur.
Il ne faudrait surtout pas se contenter de clamer haut et fort son amour de l'Europe en guise de campagne tant il me paraît évident qu'un tel message va agacer au plus haut point une très forte majorité de nos concitoyens. Bien plus maladroit et mal réfléchi encore serait de renvoyer l'actuelle détestation de l'Europe à de l'europhobie. Le terme est d'ailleurs ridicule. En réalité, dans cette élection, ce sont des visions de l'Europe qui s'affrontent. Mélenchon ou Marine Le pen et son Front National en ont une aussi. Ce ne sont pas les mêmes, et elles sont l'une et l'autre très éloignées de la nôtre.
Le débat n'oppose donc pas des gentils pro-européens d'un côté et des très méchants anti-européens de l'autre mais des visions. Par exemple, on l'ignore souvent, mais Mélenchon est favorable à l'euro. Face à lui, la question n'est donc pas l'euro ni l'Europe (il y est favorable aussi) mais ce qu'il veut en faire. Et comme il veut faire de l'Europe un super-État qui se fiche de ses dettes comme d'une guigne et où l'économie est hyper-administrée et hyper-fiscalisée, on se doute bien qu'il ne saurait avoir la moindre convergence avec les centristes.
Il suffit de lire le programme du FN pour réaliser qu'il ne souhaite pas abolir les traités mais tous les renégocier (c'est écrit noir sur blanc) selon des paramètres différents de ce qu'ils sont actuellement. Fin de l'euro, rétablissement des frontières, contrôle de la circulation des capitaux et des biens, États forts. Le FN évoque une association libre d'États européens, mais j'avoue que je n'ai jamais trop compris ce que voulait le FN exactement dans ce domaine et comment il se l'imagine. Et comme personne ne lui pose la question, il ne développe pas cet aspect de son programme. C'est bien d'ailleurs le travers général du FN : ce parti dénonce beaucoup de choses mais n'évoque guère ce qu'il compte faire et comment il se représente "l'après-Europe" puisqu'il veut la démanteler.
Ce dont souffrent les Français (et c'est quelque chose qu'ils détestent par-dessus tout) c'est d'avoir le sentiment d'être dirigés d'en haut. Le parisianisme insupporte la province et la technocratie bruxelloise tout autant. Pourtant, il n'est pas une décision prise à Bruxelles qui n'ait été préalablement validée à Bercy et à l'Élysée. La classe politique est donc insupportable d'hypocrisie quand elle arbore une mine contrite pour aller négocier auprès de la Commission, comme si elle-même n'avait pas pris les décisions qu'elle impute à l'Europe.
C'est à l'aune de ces deux observations que plusieurs points centraux de l'eurodéputée Marielle de Sarnez et plus généralement du MoDem prennent tout leur sens :
- tout devrait commencer de l'échelon local et il est une aberration que les décisions qui concernent cet échelon ne soit pas en priorité prise par ce dernier. C'est ce qu'on appelle le principe de subsidiarité. C'est la mairie qui décide ce qui est bon pour elle ou non, et pas Paris. Et c'est la France qui édicte ses principales lois, pas Bruxelles (à condition qu'elles n'entrent pas en contradiction avec les accords qu'elle signe, cela va de soi ; mais cela est vrai de tout ce que nous signons avec les pays étrangers, Europe ou pas.).
- exiger un fonctionnement démocratique et de la transparence paraît sans doute théorique, mais c'est tout de même bien là où le bât blesse et Marielle de Sarnez n'a de cesse que de les réclamer
L'Europe enfin, est forte de ses différences mais aussi de sa solidarité. On peut rire au nez de la France (encore que...) mais certainement pas de l'Europe toute entière. Je pense en particulier aux multinationales. Total et Microsoft qui se sont pris des torgnoles magistrales de la part de la Commission (de 300 millions à un milliard d'euros d'amende) en gardent un souvenir cuisant. Et quand on lorgne sur le marché européen, on ne peut pas risquer de fâcher l'Europe toute entière. Il est très difficile de fonctionner avec des diplomaties parallèles, elles se ruinent les unes les autres. Si nous parvenions pourtant à avoir un représentant des affaires étrangères européennes crédible (pas la pitoyable Catherine Ashton mais quelqu'un du calibre d'Hilary Clinton ou de Condolezza Rice), avec des pouvoirs étendus et garantis, il est plus qu'évident que la voix de l'Europe serait écoutée et crainte dans le monde entier. Et si notre solidarité parvenait à garantir chacun des pays européens, le monde entier saurait que s'en prendre à un seul état européen, c'est s'en prendre à l'Europe toute entière. Nul doute alors que nos adversaires, mais aussi nos partenaires, y regarderaient à deux fois avant de prendre des décisions qui nous seraient hostiles.
Il reste à lancer la campagne, et c'est un défi majeur. 61% des Français qui escomptent s'abstenir, c'est l'assurance d'un déni de démocratie chaque fois que les eurodéputés s'exprimeront pour faire connaître la voix de la France.
Je sais que c'est difficile, mais il faut lancer le débat. Yves Jégo a raison de vouloir prendre à partie le Front National, puisqu'on annonce qu'il sera le premier parti à l'issue de cette élection. Mais il faut agir intelligemment et prendre langue avec ce parti afin que ce soient des idées et des visions qui s'opposent, pas des slogans et des imprécations. Et ce qui vaut pour le FN vaut pour le Front de Gauche auquel les sondages prêtent un score qui est loin d'être négligeable.