16h34, 38?
L'hiver, l'automne aussi.
Le ciel est jaune, rouge, orangé, bleu tirant sur le vert, violet. C'est à la fois un arc-en-ciel décomposé et une promesse de jolis lendemains ensoleillés. C'est très beau en tout cas.
Au printemps, on parle plus de 19h20, 19h30. Et l'été, on peut se rendre à 20h00 avec un ciel plein de splendeur.
C'est toujours un moment agréable, une fin de journée, un regard sur ce qui vient de se passer et un autre sur ce qui s'en vient. Souvent, un verre en main, une cigarette pour les fumeurs, un livre, tout ça ou rien du tout, tout juste un brin de fatigue accumulé en journée, c'est un moment que l'on s'accorde à soi. Particulièrement délicieux quand, toute une journée au travail, on ne s'appartient plus.
La vie est un train qui file à si vive allure, je m'étonne toujours de constater tout ce qui a été couché comme travail en l'espace de si peu de temps.
En ce qui me concerne, je travaille la nuit de 3 à 13h dans un entrepôt de whisky dans le Vieux-Port. Ensuite, je reviens à la maison et je traduis, quand les contrats de traduction s'enfilent. J'essaie de faire ce boulot dans mes deux jours de congé de l'entrepôt, les mardis et mercredis. Sinon je dors, une heure ou deux, le temps que les enfants reviennent de l'école. Puis je fais mon devoir de père, fait manger pour Monkee, Punkee et l,amoureuse (moi mon appétit est alors trop déréglé pour toujours suivre) je fais ensuite le suivi sur les devoirs, vient écrire ici, écoute un film, lit un peu, souvent deux livres à la fois: un court et un long. Et là je ne parle même pas de la gestion du quotidien que mon horaire me permet: lavage, épicerie, nettoyage, commissions et autres banlieuseries banales.
C'est d'une intensité qui souvent, me convient. Mon sommeil, généralement timide, n'a jamais été aussi profond. Et la traduction + le travail de nuit est un équilibre intellectuel/physique fort intéressant. La nuit, je brûle beaucoup de calories. Pendant facilement 5 heures, je suinte de tout mon corps à charrier des caisses de whisky et d'alcool. Physiquement j'ai fondu et pris du muscle à la fois. Toutefois, les gens que j'y côtoie sont excessivement différents de ceux que je côtoie de jour. J'en ai déjà causé, la faune de nuit à mon boulot est particulière. Elle regroupe beaucoup de gens avec des difformités, passablement laids, aux comportements et attitudes douteuses. Des têtes plus ou moins montrables de jour.
Pas avec tous, mais avec la plupart, je dirais, le niveau de conversation démontre souvent un grand manque d'éducation. Certains y travaillent depuis 25 ans, depuis qu'ils ont terminé leur secondaire 5...D'autres arrivent tout simplement d'autres pays et sont illégaux, d'autres sortent de prison, d'autres sortent de l'institut psychiatrique ou de l'accueil Bonneau pas très loin de l'entrepôt. Je me fonds bien à ses sympathiques désaxés, mais je fais aussi souvent face à de fameuse immaturité.
Un exemple: récemment, nous avons ouvert une succursale de vente d'alcools de tout type. Donc, les têtes pas montrables de nuit font maintenant face à de la clientèle. Comme je suis considéré comme une tête montrable (mais surtout parce qu'on aime mon rendement, puisqu'après 5 heures de sueur, même changé, j'ai l'allure 'un gars crevé), on me fait faire du service à la clientèle de 10h à 13h. Ce, pour quoi je ne n'ai jamais signé quand on m'a engagé en octobre dernier...
Je n'ai jamais aimé le service à la clientèle. Quand je croise un imbécile, j'ai souvent tendance à lui faire sentir. Et le consommateur d'alcool qui vient faire le plein entre 10 et 13h du jeudi au lundi est un consommateur ou arrogant, ou déjà dans un état second. Dans les deux cas: une merde. Et j'ai toujours la chienne de croiser un ami traducteur qui me verrait faire le commis et qui penserait...qui penserait quoi? que je vis dans la misère?
J'accouche avec mon exemple, donc, en raison de ce nouveau service à la clientèle, on doit maintenant porter un kit différent pour travailler. On ne peut pas juste porter notre kit de nuit à salir et à suer. Il faut se trainer un kit "propre". Plusieurs de nos caissiers ont des coupes de cheveux nulles à chier. L'un d'eux, se rase complètement la tête mais se garde une excessivement longue couette en plein milieu avec laquelle il se fait une queue de cheval. La direction lui a fait comprendre qu'il faudrait penser à mieux "parce que ça provoque le client". L'employé a répondu, convaincu de son argument: "ben pourquoi tu penses que je portes c'te coupe de cheveux-là? Parce que je veux provoquer!". À la pause, les conversations sont souvent de cet acabit. Et je m'étonnes toujours de constater que même les plus raisonnables font preuve de beaucoup d'immaturité. Une fille, qui a 4 enfants, ne me parle que de sa fille et de son talent au soccer...
M'en chriss mais je lui pardonne, ELLE A 4 ENFANTS, et de plus, le père de ses enfants, son chum, a le même shift qu'elle la nuit. COMMENT FONT-ILS?
Personnellement, je commence à sentir une fatigue mentale qui me rend ému ou sensible à des moments impromptus.
Je me sens à la fois en forme physiquement, mais mentalement en léger recul.
J'ai l'impression que je suis en perpétuelle heure magique, à la fois fatigué et à la fois en train de penser à demain. Aux promesses de "meilleurs" lendemains. Serais-ce à dire que maintenant est nul? épuisant en tout cas. Fatigant. Me plaçant souvent en mode aérien.
C'est parfois très beau.
Comme le spleen peut l'être.
Mais complaisant aussi.
Et je suis de moins en moins valide quand je me gourre dans les toutes simple commissions de la journée.
Je pourrais même devenir dangereux au volant.
Bref, c'est pas une vie mon affaire.
Beaucoup de mots pour dire que je suis crevé.
Et au fond qu'est-ce que vous en avez à cirer?
Prenez vous un verre en regardant le soleil se coucher en fin de journée.
Comme un citoyen régulier.
Moi je continue à faire l'artiste au fond.
Et des fois, c'est un peu con.