Dans son journal, Jules Renard donne la définition suivante de l'arriviste:
- Qu'est-ce qu'un arriviste?
- Un futur arrivé.
L'arriviste est une espèce qui sévit de tous temps et qui est présente dans toutes les organisation humaines, qu'elles soient économiques, sociales ou politiques.
Dans son roman, Carnets noirs, Christophe Vauthey en dépeint un de première catégorie.
Pierre Mignon, quadra "qui n'a de mignon que le nom", est cadre supérieur chez Toys International Ltd. Il se présente comme un tueur de cadres et, à ce titre, comme un ardent défenseur du libéralisme extrême dont il vante la vision amorale de la société:
"L'avènement du libéralisme outrancier nous a décomplexés, nous autres les bleus, qui entrions de nos deux pleins pieds dans le monde professionnel. Nous nous sentions légitimés dans nos combats quotidiens pour faire plus de profit et grimper les échelons de nos carrières."
Le lecteur averti de ce qu'est le libéralisme ne doit pas se laisser influencer par cette acception du terme. Qui n'est même pas caricaturale. Qui est parfaitement erronée, fantasmée, ce qui n'est pas en contradiction avec le fait qu'elle soit largement répandue.
Car le libéralisme n'est ni néo, ni ultra, il est. Et il repose, aujourd'hui, comme hier ou demain, sur le respect des droits naturels des individus que sont la liberté, la propriété, la sécurité. D'où tout le reste découle. Ce qui n'a rien à voir avec l'acception que lui donne Pierre Mignon.
Le lecteur doit donc passer outre et s'amuser de cette fable sur l'arrivisme (qui est le véritable sujet du livre et non pas le libéralisme extrême), qui, comme toutes les fables, se termine par une morale, qu'un libéral digne de ce nom ne peut qu'approuver.
Le CEO de Toys International Ltd , Denis de Coulon, se rend compte que la multinationale qu'il dirige doit restructurer son service des ventes pour faire face à la crise. Il charge quatre collaborateurs de réfléchir à un nouveau concept d'organisation des ventes et de le lui présenter en début de semaine suivante. Celui qui le convaincra que son concept est le plus applicable et qu'il est la meilleure personne pour l'appliquer disposera d'un siège permanent à la Direction générale de la firme.
Pierre Mignon fait partie de ces quatre concurrents au poste, avec Francine Bourrin - une trentenaire effrontée, en tailleur Chanel -, Pierre-Marie Missel, alias Fred Austaire - il est austère, comme son surnom l'indique -, et Albert Mutable, alias Tolstoï - qui pourrait en raison de ses dérangements intestinaux être l'auteur de Guerre et pets.
Depuis dix ans Pierre Mignon prend des notes dans des carnets noirs sur les faits et gestes de ses collègues et sur ses supérieurs. Ces notes sont destinées à lui servir pour grimper les échelons de la hiérarchie. Ils constituent une arme fatale sur laquelle il compte pour prendre l'avantage sur ses concurrents à la Direction générale.
En effet, grâce à ces carnets noirs, qui lui servent de mémoire supplétive aux défaillances de la sienne, il connaît les points faibles des autres et compte bien les utiliser pour les désintégrer et les ridiculiser aux yeux du boss. Mais les choses ne se passent pas comme prévu...
Le ton du livre est réjouissant et assez potache. Il se lit avec bonheur, d'autant que certaines expressions sont de véritables trouvailles. L'auteur emploie également dans la même phrase des expressions dans des sens différents qui suscitent l'hilarité par des rapprochements incongrus, notamment quand un sens somme toute prosaïque côtoie une allusion d'ordre sexuel.
Le personnage de Pierre Mignon, qui se croit supérieur aux autres, est grotesque. Cet arriviste arrive bien quelque part, mais peut-être pas où il s'y attendait. Du coup, on hésite. Est-ce bien une fable? Ne serait-ce pas plutôt une farce? Mais, après tout, l'une n'empêche pas l'autre.
Francis Richard
Carnets noirs, Christophe Vauthey, 144 pages, Xenia