Les écritures musicales de Chantal Charron

Publié le 15 avril 2014 par Aicasc @aica_sc

Chantal Charron
Ecritures
22 mars – 20 Avril 2014
Tout Koulè
Trois – Ilets, Martinique

 

Deux concepts m’interpellent :
– l’idée d’inventer un alphabet de signes (Figures- signes)
– l’idée de produire une musicalité.

Le signe produit un rythme par sa répétition
et le contraste avec des plages de silence.

Avec une rigueur d’exécution dans la composition,
je cherche à tendre vers un geste à la fois spontané et maîtrisé dans le tracé épuré des « figures-signes ».

Je tente dans chaque peinture
d’« écrire un texte », d’« écrire une histoire ».

L’histoire de l’humanité, l’histoire de civilisations anciennes,
perdues dans le temps.

……….Où l’Etre humain se trouve dans une marche dans l’univers :
l’univers extérieur, l’univers intérieur.
……….Où la place de chacun est dans le flot de ce qu’il doit apporter au monde.

Le lien étroit avec l’autre, ses échanges et ses activités sont des supports qui me permettent de représenter la foule (la multitude)
et l’individu (l’unité)

Chantal Charron

NOTES ARCHIVEES
Peinture acrylique pigment sur toile
100 x 99 cm
2014

Chantal Charron, pouvez – vous vous présenter et retracer votre itinéraire ?
Je suis née à Fort- de- France, d’une mère africaine du Burkina Faso et d’un père martiniquais, du Marin. J’ai passé une bonne partie de mon enfance à voyager dans différents pays.
J’ai étudié à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux- Arts de Paris.
-Diplômée du DNSAP- Après des voyages en l’Inde, au Bangladesh et au Népal je me suis installée aux Etats- Unis, à San Francisco pendant cinq ans et demi. J’ai participé à de nombreuses expositions collectives et individuelles.
Depuis 1992, je vis, peins et enseigne en Martinique.
De quand date votre dernière exposition à la Martinique ?
Ma dernière exposition individuelle en Martinique date de 2006. Elle s’est tenue à la Fondation Clément. Entre temps j’ai participé à quelques expositions collectives en Martinique, Guadeloupe, France et à New York . Jusqu’en 2008, j’étais engagée pendant trois ans auprès d’une galerie de à San Francisco en Californie. J’expédie mes peintures et j’y expose à titre individuel d’une manière presque permanente.

Votre démarche plastique s’articule autour de l’écriture, du rythme, du silence, de quand date l’apparition des petits personnages-signes qui semblent fonctionner comme des notes de musique ou les lettres d’un alphabet secret ?
J’ai commencé, il y a une dizaine d’années à introduire dans ma peinture une sorte de « calligraphie » constituée en effet, de petites silhouettes. Ces silhouettes sont devenues à la fois sujet, support et matériau pour, et dans ma peinture. Une corrélation entre la peinture et l’écriture s’est mise en place, se justifiant par la pratique d’un geste pictural que je voulais être maîtrisé et spontanée. Semblable au texte que l’on écrit, formé d’alphabets. Mon alphabet se constitue de silhouettes qui deviennent des signes.
La réinvention d’une écriture plastique complètement fictive m’intéresse.
Un système d’écriture tel que les hiéroglyphes suppose des codes de lecture renvoyant aux signifiants d’une culture.
Dans mon travail plastique, c’est la forme des signes –figures, leur déclinaison, leur répétition et leur mise en espace dans la toile qui prédominent sur le sens, la signification, que l’on cherche à attribuer justement à cette écriture.

Essai-graphique-nc2b0-6-peinture-acrylique-pigment-sur-papier-marouflc3a9e-sur-toile-77-x-58-cm-2012

Y a-t-il une grande part de spontanéité lorsque vous tracez ces signes ?
La spontanéité est surtout ce que je recherche. Paradoxalement, je tente de faire table rase de tout processus intellectuel au moment où je suis dans l’acte de créativité. Je désire poser un acte, un acte qui va de soi, un acte qui tend vers une authenticité. Cette « écriture » doit surgir naturellement, et se faire « présence » par elle-même dans son aspect formel.

Certaines toiles sont peintes sur des tissus enduits d’apprêt, de sorte que des motifs semblent surgir d’un arrière-plan. En l’occurrence, pour cette exposition, il s’agit de masques africains. Que vous apporte ces motifs du tissu. Quelle est leur fonction ?

Ces tissus déjà imprimés ne sont que des appropriations survenues par « hasard » au détour d’une velléité : celle d’acheter du tissu pour en faire un vêtement…
L’inspiration à les utiliser pour la peinture l’a emportée…Ces motifs constituent un prétexte pour aller plus loin dans cette charge d’écritures fictives et de créer de surcroît l’illusion d’une histoire racontée. Il faut que ces motifs soient en arrière-plan. Qu’ils me donnent l’occasion de travailler des notions comme la transparence, l’intégration, la matière, un autre graphisme…….

Les masques africains sont des références bien sûr d’ordre affectif compte tenu de mes origines culturelles. Ces référents contribuent à aiguiser ma sensibilité, à orienter mes choix intuitifs, à transposer différemment mes inscriptions et donc à travailler l’équilibre entre un motif imposé et ceux que j’invente. La fonction des motifs est d’articuler différemment une certaine présence à ces signes-silhouettes en leur permettant d’habiter un nouvel espace. L’espace extérieur : la toile, l’espace intérieur : dans le ressenti du regardeur.

Vous conservez aussi pour cette exposition, la technique de gravure des signes dans la matière picturale encore humide, quel effet recherchez-vous ?
L’effet si il y a, s’impose de lui-même. Du point de vue technique, la peinture fraîche est la condition première qui s’impose et qui va me permettre de tracer, de graver, de marquer, d’écrire ces signes silhouettes. Mon geste pictural d’inscription de signes dans la matière est donc rapide, spontané, et sans repentir avant séchage de la matière.
Cette technique contribue à m’investir dans cette posture du scribe.
La toile devient ce cahier à lignes, cette page d’écriture, cette marge de livre, ce parchemin, cette tablette d’argile…

Cette année, le blanc, le noir, l’ocre et le brun sont très présents. On se souvient de la série rouge de 2006. Déclinez-vous une ou des couleurs privilégiées par séries ?
Cette série présentée à la Galerie « Tout’koulè » privilégie en effet des couleurs sobres, des effets de transparence, des subtilités dans le graphisme et peu de matières. Je tends constamment dans ce travail d’écritures à affiner encore davantage la tenue du tracé. Par le biais de cette gamme colorée claires ou alors franchement noires comme fond, je cherche à contenir la présence presque sacrée des formes épurées des silhouettes signes.

TABLETTES
Peinture acrylique pigment sur toile, 100 x 99 cm 2014

Votre pratique de la méditation influe-t-elle sur votre pratique picturale ?
Ma pratique picturale est une méditation. La pratique de la méditation est un moyen qui me permet de trouver un ancrage. Un ancrage dans l’Essentiel de ce que je suis et non de ce que je fais ou pense. Il y a la question de l’Être…Cette question m’interpelle au plus haut point.
Je tente par la peinture de constituer par une vision poétique, ce quelque chose d’indéfinissable, d’insaisissable, d’impalpable qui constitue notre Essence et en même temps nous échappe sans cesse.
Au- delà du processus intellectuel ou de la formulation d’une théorie ou d’un concept, je tente par l’invention de ces signes-personnages de traduire un état d’Être ou encore cette dimension intérieure, sacrée, ancrée au plus profond de l’homme, enfouie dans le silence.
Ma pratique picturale est intimement liée à ma pratique de méditation

Entretien avec Dominique Brebion