Je revois passer, chez les différents courants féministes, des critiques autour du courant "sex positive" ou "pro sexe".
Essayons déjà de remonter à la genèse de cette opposition qui date de la fin des années 70. A cette époque des féministes commencent à discuter de ce qui ne l'a pas encore été dans les mouvements féministes à savoir la sexualité hétérosexuelle. De là découlent des discussions sur la pornographie et la prostitution. Ces deux dernières activités sont définies par certaines comme étant par essence patriarcales c'est à dire qu'elles n'existeraient pas hors du patriarcat. Les deux féministes les plus connues de ce mouvement là s’appellent Andrea Dworkin et Catharine MacKinnon. Le livre de Dworkin Intercourse montre en fait que l'acte sexuel hétérosexuel est traversé par des rapports de pouvoir où les femmes sont subordonnées au plaisir masculin.
En face se construit un mouvement dés le début des années 80 (avec le livre de Willis "Lust Horizons: Is the women's movement pro-sex ?") qui considère qu'on ne doit pas réglementer la sexualité entre adultes consentants à quelque endroit que ce soit y compris dans la prostitution ou la pornographie. C'est la position de Michel Foucault d'ailleurs, improprement accusé d'avoir voulu qu'on ne punisse plus le viol. Faux il souhaitait simplement que le mot sexe n'apparaisse plus dans la loi à une époque où l'homosexualité était légalement punie.
Il n'y a pas d'histoire de pro-sexe ou de anti-sexe en fait ; inutile donc selon moi pour des féministe françaises de se réattribuer les termes d'un débat américain datant des années 80-90. Le débat en lui même est intéressant, les termes beaucoup moins selon moi.
Bien sûr, tout le débat porte autour de l'idée du consentement. Qu'est ce que consentir ? Dworkin part du constat qu'aucune femme ne peut donner un consentement valable dans une société patriarcale. J'entends l'argument, je le partage mais alors pourquoi condamner uniquement prostitution et pornographie (ce qu'elle n'a pas fait puisqu'elle a opéré une critique radicale de la sexualité mais que beaucoup de féministes françaises radicales font) si les femmes ne sont pas aptes à consentir ? Et si elles ne sont pas aptes à le faire, où est ce que cela nous emmène ? Est ce qu'une femme hétérosexuelle consent lorsqu'elle est au lit avec un homme dans une société qui ne cessera pas d'être sexiste quand ils auront des rapports sexuels ? En lisant le livre de Paola Tabet on constate combien les femmes opèrent des relations économico-sexuelles parce qu'elles n'ont simplement pas les moyens financiers de faire autrement. Sont-elles encore consentantes ? Tabet explique que souvent les femmes n'ont rien d'autre à échanger que du sexe pour avoir par exemple l'argent que ne leur permet pas leur genre.
En fait, je partage le constat de Dworkin ; aucune femme ne peut vraiment consentir car elle est trop prise par des contraintes patriarcales diverses pour vraiment consentir. Pour autant puis-je en tenir compte ? Non car tout acte féminin serait considéré comme nul et non avenu si l'on part de ce principe là. Alors je pose des principes qui valent ce qu'ils valent ; oui veut dire oui et non veut dire non. Je mesure le degré de contrainte ; je pars du principe qu'une femme sans-emploi qui dépend de son mari pour vivre est consentante tant qu'elle n'a pas dit autre chose parce que je n'ai pas le choix de penser autrement ou alors je ne vois plus que des femmes sous contrainte.
Paola Tabet faisait l'hypothèse que les femmes puisqu'elles n'ont pas un accès égal à celui des hommes aux ressources, hommes qui détiennent également le pouvoir économique sont obligés de procéder à des échanges économico-sexuels pour survivre. Echanges dans lesquels elles trouvent parfois leur compte, y compris sexuellement mais comment en ce cas parler d'égalité et de consentement dans le rapport sexuel hétérosexuel si l'un des deux appartient à une classe en situation d'infériorité économique ?
Il semble que nous en soyons à un certain stade du féminisme où nous avons beaucoup de mal à questionner la sexualité hétérosexuelle. Comme il est sans doute très difficile de la questionner en tant que telle, nous la questionnons à travers deux prismes particuliers ; la prostitution et la pornographie. J'entends bien lorsqu'on me dit qu'il n'y a pas de consentement véritable lorsqu'on manque d'argent. Mais cette situation existe aussi dans le mariage ; beaucoup - trop - de femmes ont des emplois précaires, des mi-temps ; est ce que le consentement à la sexualité, apparemment non tarifée - existe aussi dans ce cas là ? Est ce que quand on se lève à 5 heures pour avoir le temps de tout faire et que le mari nous emmerde à 22 heures pour baiser, on ne cède pas juste pour avoir une heure de sommeil en plus ? Est ce que quand on élève les femmes à avoir la trouille des réactions des mecs quand on leur dit non, on leur apprend le consentement ? Je crois qu'on accorde à la fois trop et pas assez de valeur au sexe d'une femme. Il ne s'agit pas de consentir au fond mais de désirer et cela n'est pas ce qu'on apprend aux femmes ; on leur apprend (parfois) à dire oui mais oui à quoi ?
Je précise qu'il ne s'agit pas de "victimiser" qui que ce soit ; terme visant juste à dépolitiser un débat et à penser que les classes sociales (au sens de groupe socialement constitué ce que sont par exemple les femmes et les hommes). Il s'agit de constater que la société est traversée de rapports de pouvoir. Alors évidemment si vous n'y "croyez" pas, comme s'il était question de croyance ici, il est inutile de lire mon blog.
Comment étudier la sexualité ? Comment étudier un acte culturel qui s'est tout entier construit pendant des siècles pour le simple plaisir masculin (tout au moins de certaines classes sociales masculines) sur la soumission, l'humiliation, la haine et la destruction des femmes ?
Comment étudier la séduction en voyant la femme comme sujet ? Peut-elle même l'être ? N'y a-t-il pas objétisation immédiate dans un rapport hétérosexuel, par essence ai je envie de dire ?
Ce qu'on a appelé "sex-positive" est peut-être tombé dans l'écueil inverse de ce dans quoi est tombé le mouvement abolitionniste ; ne plus rien oser analyser, ne plus rien oser déconstruire. Tout acte sexuel tant qu'il contribuait au plaisir était bien, intéressant. Comme disait une féministe célèbre "moi je pose mon féminisme au pied du lit". Alors peut-être qu'il faut le poser quand on y est dans ce fameux lit mais en dehors de cela, peut-être faut-il re-interroger la sexualité, re-interroger nos pratiques, questionner l'hétérosexualité.