- La liberté d'expression, d'association et de réunion est menacée, le droit de manifester est restreint, une chaîne de télévision privée a été interdite d'antenne et les ONG sont dans le flou juridique
- Groupes internationaux de défense des droits humains et spécialistes de ces droits aux Nations unies ne sont pas les bienvenus
- Les syndicats indépendants sont harcelés, sur fond de tensions sociales et de manifestations contre le chômage
- Le droit ne protège pas les femmes contre les violences liées au genre, ni les suspects contre la torture
- Rien n'est fait pour lutter contre l'impunité généralisée
Les restrictions croissantes à la liberté d'expression imposées en cette période préélectorale en Algérie font apparaître des failles choquantes dans le bilan global des droits humains dans le pays, écrit Amnesty International dans une nouvelle synthèse rendue publique lundi 14 avril.
Les efforts visant à réduire les opposants au silence et à étouffer les troubles sociaux sont l'un des principaux motifs de préoccupation de l'organisation en rapport avec l'élection présidentielle qui se tiendra en Algérie jeudi 17 avril, et dans le cadre de laquelle le président Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis 1999, brigue un quatrième mandat controversé. Parmi les autres problèmes figurent les lacunes juridiques qui font le lit de la torture et d'autres formes de mauvais traitements, et qui empêchent de protéger efficacement les femmes contre les violences liées au genre, ainsi que l'impunité qui prévaut pour les violations passées.
« La stratégie des autorités algériennes a été d'étouffer dans l'œuf toute tentative visant à les défier ou à remettre leur bilan en question. Étant donné l'imminence de l'élection présidentielle, elles intensifient actuellement la répression et montrent qu'elles ne tolèreront aucune critique publique, à quelque niveau que ce soit », a déclaré Nicola Duckworth, directrice générale chargée des recherches à Amnesty International.
« Il semble y avoir un effort concerté de la part des autorités algériennes pour contrôler la narration de la campagne électorale, par le biais du renforcement de leur mainmise sur la liberté d'expression. L'absence de débat public et les restrictions pesant sur le droit de critiquer ou de protester pour exprimer des revendications sociales ou des exigences politiques font planer le doute sur cette élection. »
Plusieurs journalistes étrangers attendent toujours qu'on leur accorde un visa pour se rendre sur place et couvrir l'élection, tandis que cela fait des années que des groupes internationaux de défense des droits humains tels qu'Amnesty International se voient refuser des visas pour l'Algérie.
L'état d'urgence a été levé en Algérie en 2011, et pourtant la liberté d’expression, d’association et de réunion reste soumise à des restrictions. Bien que l'Algérie soit un pays producteur de pétrole, les troubles sociaux et économiques alimentés par la corruption, la hausse du coût de la vie, le taux de chômage élevé et la crise du logement se poursuivent. Les autorités algériennes ont déjà largement réagi à ces actions de protestation en les dispersant par la force, ainsi qu'en harcelant et en arrêtant manifestants et militants syndicaux.
Malgré l'interdiction frappant les manifestations à Alger, après un premier tour de vis début mars, les autorités n'ont pas dispersé par la force les manifestations pacifiques qui se sont déroulées dans la capitale en présence d'un important dispositif de sécurité.
Les autorités continuent cependant à s'en prendre aux Algériens, notamment aux journalistes qui s'écartent du discours officiel pro-Bouteflika. Dans un cas récent très choquant, l'épouse d'un journaliste ayant couvert des manifestations d'opposition a été agressée par trois individus vêtus en civil qui appartenaient semble-t-il aux forces de sécurité. Ils l'auraient menacée de leurs armes et auraient exigé que son mari cesse de critiquer les autorités sur Facebook, avant de l'ébouillanter avec de l'eau brûlante.
Le mois dernier, les forces de sécurité ont effectué une descente à Al Atlas TV, une chaîne de télévision privée qui avait critiqué les autorités dans ses émissions. Elle a été forcée de suspendre ses activités et interdite d'antenne le 12 mars 2014. Aux termes de la législation en vigueur, seuls les médias publics bénéficient d'une licence de diffusion sans restriction ; certaines chaînes privées se voient accorder des licences temporaires susceptibles d'être révoquées sans réel préavis.
« S'attaquer à une chaîne privée simplement parce qu'elle se fait l'écho d'opinions différentes est une atteinte répréhensible à la liberté d'expression », a déclaré Nicola Duckworth.
Une loi de 2012 régissant le fonctionnement des associations impose des restrictions supplémentaires aux personnes souhaiter enregistrer une organisation indépendante, et durcit la règlementation relative aux financements étrangers, sous couvert de protection des valeurs ou mœurs nationales. Un certain nombre d'associations ayant critiqué la politique du gouvernement, notamment celles œuvrant contre la corruption et les violences sexuelles, ou celles réclamant vérité et justice au sujet des disparitions forcées, n'ont pour l'instant pas été en mesure de s'enregistrer. Amnesty International Algérie, légalement enregistrée dans le pays depuis 1991, s'est tout récemment vu refuser l'autorisation requise pour l'organisation de son assemblée générale annuelle.
« Outre les mesures de répression visant la société civile, les autorités algériennes n'ont pas non plus suivi les recommandations des Nations unies les engageant à combler les lacunes des lois en vigueur, qui permettent que des actes de torture et d'autres formes de mauvais traitements aient lieu. Les garanties contre la torture inscrites dans le droit algérien à l'heure actuelle sont terriblement insuffisantes. Le bilan désastreux du pays en matière d'impunité pour les violations commises par l'Etat, séquelle tragique du conflit interne sanglant qu'a connu l'Algérie, ne fait qu'aggraver cette situation », a déclaré Nicola Duckworth.
La prise d'otages à l'usine de gaz d'In Amenas, en janvier 2013, lors de laquelle plus de 40 employés et 29 preneurs d'otages ont été tués, a mis en relief les menaces pesant sur la sécurité du pays, ainsi que le bilan lamentable des forces de sécurité. Les forces algériennes de sécurité se sont rendues coupables de violations graves, dont des actes de torture, des disparitions forcées, des exécutions extrajudiciaires et des détentions secrètes, au nom de la lutte contre le terrorisme. Ce bilan n'a cependant pas été pris en considération dans le cadre d'actions de coopération mises en place avec les États-Unis, la France et le Royaume-Uni dans le domaine de la sécurité.
Il reste encore à introduire des réformes de grande ampleur pour en finir avec les discriminations et les violences dont les femmes sont victimes, mais aussi pour respecter les droits des migrants. Par ailleurs, les mesures d'amnistie accordant l'immunité à des personnes ayant commis toutes sortes de violations affligeantes en Algérie par le passé ont seulement permis de consacrer l'impunité.
« En dépit de nombreuses promesses de réforme, les failles béantes que présente le bilan de l'Algérie en matière de droits humains persistent, même dans les domaines que les autorités affirment avec fierté avoir améliorés. Les discriminations et violences faites aux femmes restent monnaie courante », a déclaré Nicola Duckworth.