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l'éloge de la moustache

Publié le 14 avril 2014 par Dubruel

LA MOUSTACHE (d'après Maupassant)

Lundi 30 juillet 1883,

Château de Grand-Croix.

Ma chère Elvire,

Nous regardons tomber la pluie !

Ce temps nous empêchant de sortir,

Nous jouons la comédie.

Ô ma chère, qu’elles sont bêtes

Ces pièces de salon actuelles

Où depuis cinq ans on répète

Les mêmes plaisanteries

Forcées, lourdes, si peu naturelles,

Sans finesse et sans esprit.

Enfin, nous jouons une de ces comédies !

Comme nous ne sommes

Que deux femmes et un homme,

Hormis notre valet Jean Tourette,

Nous avons déguisé mon mari

…Et il a rempli

Le rôle de la soubrette !

Il a dû raser sa moustache pour cela.

Je ne le reconnaissais pas…

Ni le jour, ni la nuit !

S’il ne laissait pas repousser sa moustache,

Je lui deviendrai infidèle

Tant il me déplait ainsi.

Un homme sans moustache

N’est plus un homme ; oui, ma belle !

La barbe donne souvent l’air négligé.

Je ne l’aime pas beaucoup

Mais la moustache, elle, donne l’air viril.

Et elle est si utile…

Aux relations entre époux !

Mais je n’oserais ni t’en parler

…Ni les remplacer !

Tant pis si tu ne comprends pas !

Ma chérie, ne te laisse jamais embrasser

Par une lèvre dont le poil est ras.

Elle ôte le poivre qu’ont les vrais baisers.

La caresse de l’homme rasé,

C’est un bout de parchemin qui mouille

…ou qui est sec. La moustache, elle, chatouille

Délicieusement.

C’est juste avant la bouche qu’on la sent.

Dans tout notre corps, elle fait passer

Un frisson charmant,

Oui, vraiment.

Elle nous fait pousser

Ce petit « ah ! »… tu vois,

Comme si on avait grand froid.

Un mari qui nous aime (je suis osée !)

Trouve les endroits où cacher ses baisers.

Eh bien, sans moustache, ces baisers-là,

Explique cela comme tu pourras,

Perdent de leur goût

Et beaucoup !

Ils sont même inconvenants.

La lèvre sans moustache est nue

Comme un corps sans vêtements.

Pas de vrais baisers sans moustache, vois-tu !

Et que d’aspects variés

Ont-elles, les moustaches ! Elles sont frisées,

Retournées, drues

Ou pointues.

Oui, je rabâche,

Mais je l’affirme : vive la moustache !

Sur ce, je t’embrasse, ma chérie,

Jeanne Boury.


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