B. L’Empire colonial : une « plus grande France »
1 prestige et triomphe du colonialisme
La Première Guerre mondiale a convaincu beaucoup de Français de l’utilité et la nécessité de l’Empire (soldats : 550 000 ; travailleurs : 180 000).
Sur le plan politique et nationaliste : l’Empire représente 12 millions de km² et rassemble avec la métropole 100 M d’habitants (60+40). A partir des années 1890, l’idéologie colonialiste imprègne toute la société.
Sur le plan économique, les échanges avec les colonies sont supposés amortir les effets de la crise débutée aux Etats-Unis (1929) qui touche durement la France à partir de 1931.
Exemple : Ferry voit dans les colonies des débouchés pour les entreprises de la métropole : « la politique coloniale est fille de la politique industrielle ».
En fait, la France connaît une période de repli de son commerce extérieur avec le reste du monde.
Le solde commercial des colonies avec la métropole de 1900 à 1962 est déficitaire 2 années sur 3.
Mieux : le recul de la part de l’Empire dans le commerce extérieur français: 34% en 1936 contre 14% en 1927
2. Exposition et opinion : Une France conquise par son Empire ?
Elle a lieu dans le parc de Vincennes en mai 1931 (mais prévu depuis 1913). Elle est une vitrine de l’Empire (reconstitutions paysagères, spectacles, présentations d’art « primitif ») mais aussi un outil de propagande :
- il faut « éduquer « le peuple français et lui faire admettre sa « vocation coloniale »
- célébrer les 100 ans de la colonisation qui a débuté en 1830 en Algérie.
Un succès : 8 M de visiteurs en 6 mois dont la moitié de Parisiens.
Son organisateur est maréchal Lyautey, ancien résident général au Maroc.
On y retrouve notamment une copie du temple d’Angkor Vat (pavillon du Cambodge) mais aussi un bâtiment s’inspirant de la grande mosquée de Djenné (Pavillon de l’AO)
Des Canaques de Nouvelle-Calédonie sont exhibés dans le jardin d'acclimatation, dont certains recrutés pour jouer les cannibales. Initiative privée en marge de l'Exposition, elle est organisée par une association d'anciens coloniaux et un cirque, le gouverneur de Nouvelle-Calédonie aidant au recrutement (ce dernier est mis à la retraite anticipée par Lyautey scandalisé).
L’Empire est un vecteur d’inspiration pour la publicité (Banania), le cinéma, la chanson et music Hall (Edith Piaf, Maurice Chevalier, Joséphine Baker).
Des contestations ont lieu :
- des personnalités, politiques, intellectuels, scientifiques (Clémenceau, Einstein, André Breton, LF Céline) ;
- des groupes (la Ligue des droits de l’Homme) et partis (socialistes, PCF) : les communistes voient un asservissement des populations par le capitalisme. L’impérialisme est donc la forme aboutie du capitalisme.
- des intellectuels noirs : Alioune DIOP d’origine sénégalaise (1910-1980 à Paris). Léopold Sédar Senghor.
C. Les réalisations et les contestations
1. L’administration et sa diversité de statuts
La majeure partie de l’Empire est constituée de :
- colonies sous la domination politique directe de la métropole (ministère des colonies). Un gouverneur y représente l’État avec un personnel largement venu de France... Cette administration s’appuie sur une volonté d’assimilation ;
- de protectorats : administration indirecte de territoires par l’intermédiaire de pouvoirs locaux « indigènes » Ils relèvent du Ministère des Affaires étrangères. Ex. : le Sultan du Maroc gouverne sous le contrôle étroit du Résident général français ;
- L'Algérie, seule colonie française « de peuplement » : une importante population de colons européens (français mais aussi italiens et espagnols) est assimilée à la métropole. Composée de départements, elle est gérée par le Ministère de l'Intérieur ;
- pays sous mandats confiés par la SDN. Il s’agit du Togo, du Cameroun (anciennes colonies allemandes) et du Levant (Syrie et Liban) [ancien empire ottoman].
2. Entre exploitation et développement des colonies
Les colonisés sont largement privés de droits par le « Code de l'indigénat » (1881-1946) et, souvent, soumis au travail forcé. Le colon s'attribue les meilleures terres et impose sers valeurs, son système économique, ses lois, sa langue...
A contrario, si les investissements demeurent modestes et au service des intérêts de la métropole, les colons ont contribué à la modernisation :
- Hygiène, médecine (vaccins, hôpitaux…) : espérance de vie, recul de la mortalité ;
- Ecoles : alphabétisation ;
- Diverses infrastructures de transport (locales et sur les routes commerciales) ;
- Essor de l’urbanisation (mais plan des villes établit une ségrégation : opposition ville européenne et ville indigène).
3. Une contestation croissante
Des révoltes et évènements contestataires de la présence coloniale française :
- au Maroc, La guerre du Rif (1921 à 1926), dirigée par Abd el-Krim, embrase le nord du protectorat ;
- au Levant en 1925 et 1936 ;
- en Indochine (Tonkin) en 1930-1931...
Une nouvelle génération d’intellectuels issue de l’élite des territoires colonisée, éduquée en Europe mais frustrée dans ses ambitions par un colonisateur qui refuse de lui donner des responsabilités, s'attaque au colonialisme :
- en s'appuyant sur les idées européennes (droit de l'Homme, droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, communisme...) ;
- et réclame l'autonomie voire l'indépendance (ex. : l'Étoile nord-africaine fondée par Messali Hadj en Algérie en 1926 ; le Néo-Destour fondé par Habib Bourguiba en Tunisie en 1934).
En 1934, le Martiniquais Aimé Césaire et le Sénégalais Léopold Sédar Senghor inventent le concept de négritude, la « reconnaissance du fait d’être Noir», marquant un retour aux sources de l'identité africaine et le rejet de l'assimilation culturelle.
Citation : "Je parle de millions d'hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d'infériorité, le tremblement, l'agenouillement, le désespoir, le larbinisme"
Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme
En plus :
Alioune DIOP : fondateur de la revue Présence Africaine en 1947, il a joué un rôle de premier plan dans l’émancipation des cultures africaines. Chef du cabinet du Gouverneur général de l’Afrique occidentale française, il devient sénateur de la IV° République française.
Alioune Diop organisera avec Léopold Sédar Senghor, le premier Festival mondial des Arts nègre en 1966, à Dakar, suite aux indépendances des pays qui se succèdent rapidement, dont celle du Sénégal. Ce Festival sera aussi l’occasion de la première commémoration du souvenir de l’esclavage dans le monde et le lieu des premières questions sur la réparation. A sa mort, son ami Léopold Sédar Senghor lui rend hommage en le désignant comme un « Socrate noir ».
Conclusion
Le bilan de la colonisation est contrasté et provoque encore des débats (la loi de 2005 : art. 4 « Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la colonisation ») et des revendications (celle du CRAN qui soutient une plainte contre la France pour crime contre l’Humanité en janvier 2013*). Deux constats sont à établir :
- la grande majorité des colonisés n'a jamais cessé de considérer les colons (les « Blancs ») comme des étrangers ;
- La III° République va consciemment concevoir une culture coloniale. L'œuvre coloniale s'étend au cinéma, à la littérature, à l'école, à la chanson, à la publicité. La propagande nationaliste imprégnée de la crainte du déclin de la France rassemblera la quasi-totalité de la classe politique autour de l'Exposition coloniale de 1931.
Une évidence s'impose : avons-nous véritablement décolonisé, 80 ans après la grande exposition, nos imaginaires ?
*Le Président Hollande a répondu que « la reconnaissance morale des torts devrait suffire »