Via de la Plata étape 16: vers les éoliennes.

Publié le 14 avril 2014 par Sylvainbazin


Quand je repars ce matin, il est un peu plus tôt que d'habitude. Ce n'est pas plus mal car j'ai prevu une longue etape de plus de cinquante kilometres mais ce n'est pas vraiment de mon fait. En effet, les plus matinaux des pelerins ont commence a bouger tres tôt, et un d'eux a carrement allume la lumiere a 6h40. Le bar n'ouvrant qu'a 7h30 je n'ai pas bien saisi l'intérêt de ce reveil tres matinal et un peu force et j'etais d'accord avec les cyclistes espagnols pour dire que la lumiere generale aurait pu etre laissee eteinte. Il me semble qu'une etape de 25 kilometres par un temps certes beau mais encore relativement tempere ne necessite pas de partir aux aurores.
Mais enfin... Un peu plus tard au petit-dejeuner je discute justement avec ce monsieur hollandais qui se revele d'un commerce tout a fait agreable par ailleurs. Il fera etape a Tabara, comme tous les autres pelerins rencontres la, a part les cyclistes bien entendu (mais bon ils trichent, ils ont des roues!). Comme tous les autres, il est aussi quelque peu surpris par la longueur de l'etape que je prevois aujourd'hui: effectivement, c'est assez loin, surtout que le parcours sera sans doute vallonne et le soleil assez carnassier. Bien entendu, il me demande aussi si je cours. Avant, il courait des marathons.
Je pars donc assez tôt ce matin, mais il fait tout de même grand jour lorsque mes premiers pas reprennent le chemin. Le chemin mozarabe- Salabresse, d'ailleurs, car a la sortie du village le pelerin a le choix entre cet itineraire et celui, plus logique si l'on suit strictement l'histoire antique de la Via de la Plata, qui mene a Astorga et rejoint le Camino Frances. Mais cela me ferait revenir sur mes pas d'il y a deux ans et je prefere decouvrir un itineraire nouveau. En plus, il est repute plus joli.
D'ailleurs, le paysage ce matin est d'emblee plus attrayant que ces derniers jours. Déjà, on apercoit des montagnes, on marche sur les premiers contours de belles collines. Autre attrait: les arbres sont revenus et bordent le chemin. Leur presence n'est pas qu'un bienfait pour les yeux: il l'est aussi pour les oreilles. Les arbres, c'est la garantie d'une symphonie des chants d'oiseau et non plus la lancinante melopee  du vent dans la plaine. Le coucou repond a la mesange, le passereau au merle.
Je marche d'un bon pas. Mes talons, mes pieds me font beaucoup moins souffrir. Je ne trottine que rarement car malgre tout les kilometres accumules sont la et l'etape est longue.
Je remonte la petite troupe qui a passe la nuit a l'auberge avec moi et avec qui j'echange quelques aimables mots avant d'atteindre le Rio Esla, que je traverse en empruntant un joli pont.
Le chemin suit ensuite la riviere au plus pres. C'est assez escarpe et technique, quel contraste avec les immenses pistes de plaines traversees quelques kilometres auparavant! Au sommet d'une colline, la vue sur la tres large riviere est magnifique dans ce matin calme.
Une fois double mes pelerins de la nuit, je ne rencontrerai plus grand monde sur le chemin aujourd hui et ma marche redevient solitaire. Avant Tabara, le beau village qui marque pour moi la mi-parcours de ce dimanche, je dois aussi dire que je retrouve de grandes lignes droites bien larges. Mais elles sont tout de même inscrites dans un decor plus interessant que ces jours derniers.
Au pied de belles collines, elles se rapprochent d'une floppee d'eoliennes plantees sur une ligne de cretes. Les helices tournent paisiblement. J'aime ce spectacle qui distrait la monotonie des lignes droites. Une chanson de Travis Burki me revient a l'esprit: "Vive les eoliennes". Je suis d'accord avec lui. J'avale assez vite les kilometres. Je me sens plutot bien, dans mon element et dans un rythme qui est le mien. Celui que j'ai choisi. Cependant, me voir me rapprocher des belles montagnes de Galice me plonge presque dans une sorte de melancolie: dans une grosse semaine, j'aurai sans doute termine mon beau voyage a travers l'Espagne. Certes, mes pieds et mon corps qui souffrent tout de même un peu de ce traitement seront soulages. Mais que vais retrouver a mon retour? La solitude d'un logement minuscule que je n'ai finalement pas encore vendu, l'incertitude finalement angoissante de collaborations a des magazines certes interessantes et valorisantes mais qui sont aussi fragiles car sans obligation pour mes employeurs. L'incertitude, splendide mais qui fait tout de même peur.
Mais je fais mieux de me rejouir de l'instant present. Pratique difficile, surtout quand on est finalement oblige, ou desireux, de toujours construire des projets. De se projeter donc. Mais la, je vis mon projet et c'est donc ca que je dois vivre maintenant, le reste attendra. Je me concentre sur la beaute des lieux, sur les eoliennes.
Tabara approche a grand pas. Une image m' attriste encore: une pauvre cigogne git au sol, electrocutee au pied du pilone ou elle avait commence a construire son nid. Je m escrime a expliquer a ses congeneres de preferer les clochers. Mais elles ne comprennent rien, les pauvres cigognes.
Tabara me sert de point de ravitaillement. Quelques tapas et une boisson a base de vin et de jus de citron. Faiblement alcoolise. Les cloches de l'eglise sonnent fort, des hommes portent des rameaux. Nous sommes bien le dimanche en question.
Je peux repartir, plutot en forme. Ca tourne bien aujourd hui et il faut ca car mon etape est assez longue. J'ai la mauvaise idee de tenter de suivre un conseil de raccourci de mon guide et y perd deux bons kilometres. La suite, dans les travaux du chemins de fer sur lesquels je tombe parfois depuis hier (la des panneaux s'excusent même de la gene occasionnee aux pelerins, c'est aimable), n'est pas tres amusante.
Mais ca ne dure pas et je retrouve vite des chemins plus agreables. Les collines debutent vraiment, les eoliennes sont proches. Cela dit, après 40 kms, mes jambes commencent a trouver mon sac un peu lourd, mes douleurs au talon se reveille. Je trouve qu'il fait chaud et suis tout content de trouver deux promeneurs pour demander l'ouverture du bar dans le dernier petit village traverse avant mon but du jour. C'est un bar associatif, que les anciens ouvrent a la demande. C'est tout gentil et ca me permet de reprendre un peu de force pour parcourir les 8 derniers kilometres avant d'atteindre Santa Croya de Tera, le village au bout duquel se trouve la casa de Anita, mon auberge de la soiree.
J'y suis bien accueilli par la patronne des lieux et dine tres agreablement en compagnie du seul autre pelerin present. Patrick est irlandais, a la retraite, et termine cette année le chemin qu'il avait entame l'an passe de Seville. Il a obtenu trois semaines de bon de sortie familiale. Après une vie ou la pression du travail fut de plus en plus forte, Patrick peut apprécier ce temps pour lui, ce voyage lent et introspectif. Je ne peux qu'etre d'accord avec lui, tout en regrettant un peu de constater qu'on ne s'offre guere ce luxe qu'a son age, en general. Mais il y a sans doute un temps pour tout dans la vie. Enfin dans la mienne, il est tant de marcher, de courir encore et encore.