Par Hong Kong Fou-Fou
J'aime lire. Beaucoup. Je pourrais même en faire mon activité N°1, s'il ne fallait pas de temps en temps bouger pour que les muscles ne s'atrophient pas. Des romans, d'abord. Mes auteurs préférés ? Des écrivains bourlingueurs comme Hemingway, Kessel ou de Monfreid, des hommes à la fois de lettres et d'action, qui me permettent d'arpenter le monde, mollement allongé sur mon lit, telle une méduse sur son radeau. Grâce à eux, ma lampe de chevet devient ma liseuse de bonne aventure.
Des BD, aussi. La production actuelle m'intéressant assez peu, je reviens toujours aux classiques. Franquin, Tillieux, Will. Avec leurs héros en noeud papillon à l'âme aussi claire que la ligne qui les matérialise. Je les relis inlassablement, pour être sûr qu'il ne me manque pas une case.
Et puis des magazines. C'est pratique, un magazine, ça ne demande pas le même investissement en temps qu'un bouquin. Assis en terrasse au café, on lit quelques lignes entre deux jolies paires de jambes qui passent ; le soir dans la cuisine, on survole un article en surveillant la cuisson des spaghetti (7 mn si vous les aimez fermes, 8 mn al dente, 9 mn bien cuits) ; au coucher, on feuillette quelques pages avant de tourner celle de sa journée et sombrer dans un sommeil réparateur. La question est : quel magazine faut-il élire et lire ? A chaque fois que je vais chez un marchand de journaux, j'erre longuement devant les présentoirs, comme une âme en peine, sous l'oeil inquiet du commerçant qui se demande si je ne vais pas lui braquer la caisse. J'ai l'air suspect, je ne suis que circonspect. Parce que s'il y a du choix, il y a aussi beaucoup de déchets.
J'écarte d'emblée Télérama ou les Inrockuptibles, pour des raisons évidentes que vous comprenez si vous êtes moi. Je préfère encore relire ma feuille d'impôts plutôt que de toucher à ça. Tout juste bon à lobotomiser les bobos. De la presse-purée.
Pareil pour L'Express, Le Point, Le Nouvel Obs'. Ca peut passer dans une salle d'attente avant d'aller se faire arracher une dent, mais de là à les ramener chez soi, non.
J'aime bien Idéat ou AD, mais après j'ai l'impression d'habiter un taudis, je houspille les enfants pour qu'ils rangent leurs chaussettes qui traînent. Et puis s'il y a beaucoup à regarder, il n'y a pas grand chose à lire.
Vient ensuite toute cette presse masculine, les GQ, Optimum, Lui, Edgar, Monsieur et consorts. Ca se veut différent mais ça interviewe toujours les mêmes personnes, les mêmes réalisateurs, auteurs, acteurs. Ca ne prend pas de risque, ça recherche le consensus, ça fait dans l'entre-soi. C'est vu et revues...
The Good Life s'en sort un peu mieux. Mais je leur reproche de consacrer trop de pages à l'économie. J'arrive à peine à gérer mon PEL, comment voulez-vous que ça m'intéresse ?
Les magazines musicaux sont ennuyeux. Ou peut-être est-ce surtout la musique actuelle qui l'est ? Pas mieux avec les
titres consacrés au cinéma, à l'exception parfois de So Film, qui est au monde des salles obscures ce que So Foot est à celui du stade.
So Foot, justement, c'est le seul qui trouve vraiment grâce à mes yeux. Je l'ai déjà dit, je n'y connais pas grand chose en foot, mais leurs articles sont drôles, bien écrits, et parlent assez peu de foot, finalement.
Et puis, récemment, j'ai découvert Schnock. La révélation. L'illumination. Les anges dans nos campagnes. L'éruption du Karamako. Et en parlant de KO, c'est en titubant comme un boxeur qui aurait croisé le poing de Mohamed Ali que je suis sorti de ma première confrontation avec ce monument d'érudition en matière de culture populaire qu'est Schnock. Comment ne suis-je pas tombé plus tôt sur ce truc-là ? Schnock, c'est ce que pourrait être Fury Magazine, si on avait plus de temps, plus d'argent et, mon Dieu que c'est difficile à écrire, plus de talent.
En voilà un, de magazine décalé, impertinent, intelligent, qui ne cherche pas à plaire à tout le monde (qui ne cherche pas à plaire tout court, d'ailleurs). Il n'y a qu'à regarder les dessins de couverture pour savoir à quoi s'attendre : Jean-Pierre Marielle pour le N°1, avec cette légende "Le travail? Non merci". Lui ont succédé Jean Yanne, Daniel Prévôt, ou encore Amanda Lear. On est loin des sempiternelles "unes" tapageuses consacrées aux denières frasques de la dernière révélation du showbiz.
Et ce slogan : "La revue des Vieux de 27 à 87 ans" ! Moi qui comme seule tablette possède un désuet Telecran, vous pensez que ça me parle.
Schnock aborde tous les sujets mais en se focalisant quand même sur le passé, avec une prédilection pour les années 70,
voire 80, l'époque où Mesrine chantait "En cabane au Canada", où Broc et Chnok, justement, animaient les mercredis après-midi télévisuels, où Trésor enregistrait son "Sacré Marius".
Tous les sujets, vraiment. Même les plus improbables. Jugez plutôt (l'adverbe, pas le chien. Il est innocent) : quel autre magazine a interrogé la personne qui a fabriqué les derniers gadgets de Pif ? Quel autre magazine a mis au sommaire du même numéro Jean Seberg et Groquik ? Quel autre magazine a fait revivre Mort Shuman ? Quel autre magazine nous a appris quelque chose de neuf sur les Shadoks (via mon vieux camarade Thierry Déjean, que je salue ici) ?
La mise en page est sobre et élégante.Les articles sont fournis, on est loin de l'arnaque d'une certaine presse où, une fois enlevés les titres hauts comme un immeuble et les photos pleine page, il reste autant de texte que dans une blague Carambar (et souvent du même niveau, d'ailleurs). Là, c'est du sérieux. 50 pages sur le diptyque "Un éléphant ça trompe énormément" et "Nous irons tous au Paradis" dans le dernier numéro, on peut dire qu'on fait le tour du sujet. Dans le même numéro, ils arrivent à sortir 2 pages sur un album d'Yves Simon, ça force le respect, moi j'aurais du mal à accoucher de 2 lignes. Autre avantage sur la concurrence : à notre époque où le consumérisme nous consume, il n'y a pas de publicité. Vous avez bien lu (grâce à vos lunettes Afflelou, bien sûr. Et n'oubliez pas que la seconde paire ne coûte qu'un euro de plus !) Dans Schnock, on n'essaye pas de nous vendre toutes les deux pages un après-rasage (ce qui convient parfaitement dans d'autres magazines dont les gratte-papier n'ont de cesse de nous raser, justement). Alors qu'ailleurs on cherche désespérément les articles entre les pages de pub, là il n'y en a pas. Pas du tout. Rien. C'en est presque dérangeant.
Le magazine n'a qu'un défaut, il est difficile à trouver. Mais c'est aussi sa qualité. Visez les librairies plutôt que les kiosques à journaux placardés "Closer". Il faut également sortir 14,95 euros de sa poche pour qu'il soit à vous. C'est cher, mais c'est le prix de la différence, de l'exclusivité. Et de l'indépendance. La sienne, et la vôtre. De toute façon, avec seulement 4 numéros par an, vous aurez quand même de quoi acheter à manger aux petits. Et, quand ils seront moins petits et que vous leur remettrez solennellement la collection complète de Schnock que vous aurez soigneusement conservée sur la cheminée, entre le Manifeste Chap et les Mémoires de l'Elève Moinet , ils vous remercieront. Les articles sont déjà datés, ils ne risquent donc pas de se démoder, et tout étant un éternel recommencement, ils seront peut-être furieusement tendances, comme on dit dans tous les magazines que je ne lis pas, dans quinze ou vingt ans. Si Fury Magazine se veut l'avant-garde du passé, Schnock est peut-être l'arrière-garde du futur. Ce qui ne veut toujours rien dire. Mais en jette toujours autant.
Lui, c'est un vrai Schnock model. Et vous ?