Dans mon enfance, j’ai longtemps été crédule. Ce qu’on m’affirmait, je le croyais sur parole. Je faisais confiance aux adultes, c’était ma ligne de conduite.
Et si j’y repense aujourd’hui, c’est que le grand bouleversement dans cette façon de vivre fut justement la découverte du mensonge de mes parents sur saint Nicolas – et que je viens de voir des déguisements de carnaval.
Je tenais bon, envers et contre tous, jusqu’au moment où un autre adulte, en qui j’avais confiance, mon instituteur, décréta qu’il était évident que tous les élèves devaient savoir de quoi il retournait. Le choc fut si violent, accompagné du mépris ironique de mes camarades de classe, que mes larmes ne tarissaient plus. Le directeur du collège me ramena chez moi : « Madame, nous sommes désolés, mais vous n’avez pas révélé à votre enfant qui était vraiment saint Nicolas ! »…
Attendrissant ? Certes, mais terrifiant aussi ! Puisqu’on m’avait menti sur ce sujet (Oui, bien sûr, j’ai compris qu’ils voulaient que je reste enfant le plus longtemps possible), « on » pouvait m’avoir menti sur tout le reste.
Un peu à la fois – est-ce même terminé ? – je dus analyser chaque évidence, la comprendre, argumenter et me faire ma propre opinion. Un long travail difficile de détricotage et de remise en forme de l’ouvrage de la vie. Au fond, j’avais perdu ce qu’on appelait « la foi du charbonnier » ! Pas seulement dans le domaine des réalités religieuses, mais aussi dans les mathématiques (pourquoi deux et deux font quatre et pas cinq ? L’avenir me prouva que c’était possible), dans les sciences (tout démontre depuis lors que j’avais raison de ne pas en rester à ce qu’on m’apprenait) et surtout ma confiance dans les êtres. Que me cachait-on ? Pourquoi ?
Au fil des ans, je passai en revue bien des hypothèses : on me protégeait, on voulait que je ne revive pas ce que la génération précédente avait vécu (Oh, ce livre que je compulsais dans la bibliothèque « A nos martyrs » avec les photos terribles des camps de la mort !), etc.
Le stade suivant fut plus clair : puisque rien n’était évident, je devais donc chercher et apprendre par moi-même. « Certes, l’apprentissage des choses et des êtres reste essentiel, mais il faut aussi apprendre à apprendre, apprendre à douter. Familiariser les jeunes avec la légitimité du scepticisme et de la contestation est une autre mission du système éducatif. Ce n’est cependant pas encore assez ; les familles, les écoles et les universités failliraient à leur tâche si elles ne s’efforçaient pas d’inculquer enfin aux futurs citoyens le sens de leurs responsabilités dans l’utilisation des pouvoirs découlant des savoirs acquis » écrit Axel Kahn dans « Raisonnable et humain ? ».
Enfin, le fruit de mes recherches se devait de servir non seulement à moi-même mais aux autres. Et ce fut la ligne de conduite de ma vie entière.
Chaque soir quand je me plonge dans la lecture d’un savant, d’un philosophe, d’un penseur religieux ou pas, du récit d’une vie, d’un roman à clés, je note ce qui me frappe, ce qui m’interpelle pour que le lendemain ou un peu plus tard je puisse y réfléchir à tête reposée. Tous les aporismes y passent, mais aussi les controverses, les polémiques, voire les certitudes, s’il en existe : la naissance de l’univers (Je découvrais, par exemple, cette proposition d’Edgar Gunzig qu’on appelle le « bootstrap », une théorie d’auto-création de la vie), Dieu bien sûr, l’évolution de la nature, des animaux, de l’être humain (le progrès a-t-il vraiment cessé d’être biologique pour devenir culturel ?), nos comportements et les gènes, etc.
Comme je suis optimiste, le plus souvent, je retiens cette phrase de Francis Bacon : « Si on commence avec des certitudes, on finit avec des doutes. Si on commence avec des doutes, on finit avec des certitudes. »
J’aime aussi ceci, extrait de « La science et l’hypothèse » de Henri Poincaré : « Douter de tout ou tout croire sont deux solutions également commodes, qui l’une et l’autre nous dispensent de réfléchir. »
Mais pour conclure sur une citation plus légère et souriante, – ne jamais oublier l’humour et la légèreté ! – voici encore un mot d’Ernest Renan : « Le doute est un hommage que l’on rend à la vérité. »