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Avec Tolstoï

Publié le 14 avril 2014 par Pralinerie @Pralinerie
La lecture de La Guerre et la paix m'a donné envie de sortir de ma PAL cet essai de Dominique Fernandez. Loin d'être une biographie de l'écrivain, ce livre propose de visiter son oeuvre. Il contient des éléments biographiques, notamment en introduction, mais ce n'est pas son objet principal. champs paysan Van Gogh Cet opus commence par une confrontation, celle de Tolstoï et Dostoïevski. Le second est vu comme le grand tragique de la Russie, l'intransigeant, l'homme libre. Il séduit les jeunes gens entiers. Et si Dostoïevski ne se plait que dans les extrêmes, Tolstoï y préfère la vie comme elle va. Il ne refuse pas la médiocrité. Il l'intègre, il la raconte. "Si Dostoïevski fait penser à la tragédie, à la tragédie grecque, Tolstoï est dans la lignée de l'épopée, de l'épopée grecque [...] En lisant l'Odyssée, nous ne sommes pas plus pressés d'arriver au bout du périple qu'Ulysse de rejoindre Ithaque. Nous n'avons aucune hâte de mettre fin à un voyage qui nous réserve de continuelles surprises, de continuels bonheurs. Nous nous laissons porter, de-ci, de-là, séduits, charmés par le chatoiement de multiples épisodes. Aucune chose ne compte plus qu'une autre, car tout compte. Il n'y a aucun incident, aucun détail qui ne soit plus important, comme il n'y en a aucun qui soit insignifiant [...] Tolstoï, comme Homère, ne s'écarte jamais du ton juste. Je crois même que ce sont les deux seuls écrivains au monde dont l'oeuvre, tout en étant souverainement belle, ait cette parfaite adéquation à la vie, à ce que la vie a de positif, à ce qu'elle a de négatif, à ce qu'elle présente d'amusant, de gai, de douloureux, de terrible - le plus souvent de banal". Rapprochement qui ne peut que me parler. Et me séduire. Cette intemporalité, cette facilité à rendre la vie, on la retrouve effectivement avec cette même simplicité chez ces deux écrivains (si toutefois Homère est un seul, ce dont je ne vais pas débattre ici).  D'autres comparaisons sont faites, avec Stendhal par exemple. D. Fernandez leur trouve un même style impersonnel, juste et simple. Une écriture qui préfère retrancher plutôt qu'ajouter. Contrairement à Balzac, qui commence par décrire cadre et personnages dans ses romans, nos deux auteurs révèlent les caractères, les hommes et les lieux à travers le regard d'un personnage. Cela est particulièrement intéressant lorsque l'auteur souhaite insérer une critique. Plutôt que de vilipender une pratique, il la décrit à travers l’œil naïf d'un personnage (l'opéra par Natacha, par exemple). Il en montre ainsi le ridicule ou l'outrance par une ironie soigneusement dissimulée.  Néanmoins, pour qui a lu Tolstoï récemment, on ne peut considérer cet effacement de l'auteur derrière ses personnages comme permanent. Bien au contraire, les descriptions de Napoléon et la théorie fataliste de l'histoire que comporte La Guerre et la paix laissent tout à fait paraître l'écrivain. Pour D. Fernandez, cela traduit le déchirement intérieur de Tolstoï qui hésite sans cesse à s'engager. Pris entre sa condition de riche gentilhomme campagnard et sa volonté de pauvreté, entre ses passions et son désir de les restreindre, entre liberté et fatalisme, Tolstoï négligerait dans la fin de La Guerre et la paix son art au profit de sa philosophie. Et c'est là que ça commence à me gêner. On sent très bien la différence de ton entre les différents volumes, mais doit-on tout rapporter à la vie et à la psychologie de l'auteur ? D. Fernandez peine à m'en persuader. Nous donnant des pistes pour la lecture de La Guerre et la paix et Anna Karénine, l'auteur met en lumière certains passages et propose des analyses fines du texte. Il attire notre attention sur des constructions, sur des thèmes. Et il s'intéresse aux autres écrits tels que Le Diable, Les Cosaques, Résurrection, etc. Il déplore que beaucoup de ses essais ne soient plus édités en France comme Ce qui fait vivre les hommes, En quoi consiste ma foi, La religion et la morale, L'Argent et le travail, etc. Il rappelle ainsi que loin d'être cet auteur classique vénéré (voire embaumé), Tolstoï propageait des idées dérangeantes pour le début du XXe siècle (polémique contre l'église, l'armée, la justice, pacifisme, fatalisme, mysticisme, ascétisme, socialisme...). Et il pourrait encore déranger s'il était publié de nos jours. Voilà qui donne envie de découvrir ces textes oubliés, non ? Enfin, cet essai nous fait visiter les maisons de Tolstoï, à Moscou, lieu de sa vie mondaine, et à Iasnaïa Poliana, lieu de sa vie de gestionnaire de domaines immenses et isolés. Pour D. Fernandez, ces endroits reflètent la lutte perpétuelle entre Léon et Sophie, son épouse, voire entre les différents aspects de la personnalité de l'écrivain. Il étudie longuement la vie conjugale des époux, via des extraits de leurs journaux intimes (qu'ils  se montraient et commentaient l'un l'autre sans gentillesse) et La sonate de Kreutzer. C'est un amour-haine bien connu de l'histoire littéraire auquel D. Fernandez n'ajoute pas grand chose... à l'exception d'allusions à un penchant refoulé de Tolstoï pour l'homosexualité. Les indices ne pèsent pas bien lourds. Je suis sceptique. Ainsi, cet essai est à la frontière des genres entre l'analyse de texte, l'hagiographie ("Impersonnel comme Homère, impersonnel comme Dieu") et la biographie : c'est bien la promenade que nous annonce la quatrième de couverture. S'intéressant aux contradictions de l'homme et de l'oeuvre, cet opus est peut être trop versé dans l'analyse psychologique pour me convaincre totalement mais il est impeccable sur les analyses purement littéraires. Aux lecteurs que ce livre tente, je conseillerai de lire une biographie de Tolstoï plus neutre avant d'ouvrir celui-ci. Simplement pour garder la distance raisonnable par rapport aux assertions de l'auteur qui plus d'une fois m'ont semblé aller trop loin. Mais dans l'ensemble, je suis sous le charme ! Et si vous avez une bonne bio à me recommander, je ne dis pas non...

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