Au fond sur le mur on devine le tableau de Léonard de Vinci. Mona Lisa, floue, doit vraisemblablement sourire . Entre nous et cette apparition incertaine, des mains sont tendues vers l'objet de toutes les convoitises. Les smartphones aimantés vers la Joconde se succèdent à un rythme effréné devant l'icône. L'un d'entre eux capte un autre smartphone photographiant le même sujet.
Photographie de Martin Parr
Face à cette ferveur sans répit, à toute heure de la journée, Mona Lisa sourit. Les visiteurs n'ont pas vu le tableau, ils n'ont pas regardé une peinture. Il ont pointé leur appareil sur l'apparition. Ils ont pointé comme à l'usine ou au bureau, attestant de leur présence devant l'image idolâtrée.
Une vague après l'autre, ils brandissent leur arme électronique en direction de Léonard dans une vénération collective sans cesse renouvelée. Combien de clichés se sont multipliés jour après jour, semaine après semaine, mois après mois ? Que reste-t-il du sourire de Mona Lisa ? Est-il visible, compréhensible? Où vont ces milliers d'images? Dans le sac d'un enseignante de Tokyo? Sur l'album d'un retraité de Montauban ? Ou peut-être immédiatement diffusées sur Facebook à l'attention des amis de Stockholm ou Philadelphie ? Où encore déjà effacée par un geste maladroit ?
Depuis 1982, l'association Paris Audiovisuel puis la Maison Européenne de la Photographie confie à de grands photographes le soin de livrer leur vision de Paris. Après Henri Cartier-Bresson, Édouard Boubat, Ralph Gibson, Duane Michals, Mimmo Jodice, William Klein, Bruce Davidson, c'est à Martin Parr qu'est offerte cette carte blanche.Dans l'exposition "Paris" de Martin Parr, c'est à cette unique vue que j'ai souhaité consacrer ce "moment privilégié". Pendant deux ans, Martin Parr a photographié Paris, les parisiens, les touristes, le 14 juillet, les défilés de mode, le salon de l' aéronautique du Bourget, Paris Plage, les musées, les foires d'art, le salon de l'agricuture.... Au-delà de ce regard porté sur nous-même par un photographe Anglais, cette photographie unique choisie ici cristallise l'irrépressible désir d'adhésion culturelle.
Et encore, le geste sommes toutes modeste du touriste photographiant La Joconde semble peu de chose au regard de l'expérience réussie l'an passé : un voyage d'environ 390 000 kilomètres qu'ont offert au sourire de Mona Lisa des ingénieurs de la Nasa, depuis le Goddard Space Flight Center situé dans le Maryland, aux États-Unis, jusqu'à la sonde Lunar Reconnaissance Orbiter (LRO) en orbite autour de la Lune, à une cinquantaine de kilomètres de la surface du satellite de la Terre. " Les scientifiques ont d'abord dû décomposer la toile de Léonard de Vinci en une image de 30 400 pixels et la "simplifier" en la convertissant en un dégradé de gris. Ils ont ensuite attribué à chaque teinte une valeur entre 0 et 4 095, en fonction de son intensité, de manière à envoyer les données correspondantes à chacune d'elle lors de 4 096 impulsions laser émises dans un laps de temps très court, généralement utilisées pour déterminer la position de la sonde."
A Paris, les visiteurs du Louvre peuvent continuer sereinement à capter jour après jour "leur" Joconde, bousculer quelque peu leur voisin et concurrent, repartir l'esprit satisfait de la mission accomplie et témoigner, le cœur léger, de leur face à face avec Léonard.
Chaque jour, à Paris, Mona Lisa sourit.
Martin Parr "Paris"
Du 26 mars au 25 mai 2014
Maison européenne de la photographie
5/7 rue de Fourcy
75004 Paris