"Le collier rouge" de Jean-Christophe Rufin

Publié le 13 avril 2014 par Francisrichard @francisrichard

Pendant les années qui viennent, on lira et relira des livres qui ont un rapport plus ou moins étroit avec la Grande Guerre, cette guerre qui devait être la der des der et qui quelque vingt ans plus tard est réapparue, sous une autre forme, plus meurtrière encore pour certains peuples.

Le collier rouge, le dernier roman de Jean-Christophe Rufin se passe dans l'immédiate après-Grande Guerre, en 1919. Il est l'occasion de revisiter cette guerre sous un angle original. Ce qui n'est pas étonnant puisque basé sur une histoire vraie. Comme on sait, les histoires vraies - c'est un truisme - dépassent souvent les meilleures fictions.

En cette fin d'été 1919, un homme, Jacques Morlac, croupit en prison, dans une sous-préfecture du Bas-Berry, pour avoir commis un outrage à la Nation le 14 juillet de cette année-là. Quel outrage? On ne le saura qu'en fin du livre et c'est tant mieux.

Jacques Morlac est le seul prisonnier d'"une ancienne caserne transformée en prison pendant la guerre pour les déserteurs et les espions". Il est gardé par un seul homme, le sous-off Dujeux. Un juge militaire, le commandant Hugues Lantier du Grez, est venu spécialement s'installer dans cette petite ville pour instruire son dossier et comprendre pourquoi ce héros de la guerre des Balkans a commis son acte.

Jacques Morlac a un chien, Guillaume, qui le suit partout et qui ne cesse d'aboyer, jours et nuits, depuis que son maître est au trou. Or Jacques Morlac ne semble pas vraiment touché par la fidélité de cet animal qui l'a suivi pourtant partout au cours de ses périgrinations guerrières et dont le corps plusieurs fois blessé garde les cicatrices.

La vie du prévenu Jacques Morlac offre au commandant Lantier bien d'autres sujets d'étonnement.

Bien qu'ayant été décoré de la Légion d'Honneur, Jacques Morlac ne regrette pas son acte et souhaite même être condamné, sans circonstances atténuantes. Bien qu'il ait conçu un enfant avec Valentine, une jeune femme du coin, pendant une permission, il ne semble pas se préoccuper de son sort et de celui de son enfant depuis son retour. Bien qu'ayant quitté l'école de bonne heure, il aime lire et semble cultivé.

Au cours de son enquête le commandant Lantier va démêler cet écheveau d'apparentes contradictions.

Comme elle ne dévoile pas les véritables secrets de l'intrigue, je me permets de lever la dernière parce qu'elle éclaire tout le livre et lui donne toute sa luminosité humaine.

Jacques Morlac est un humble paysan, alors que Valentine est d'un milieu plus aisé, plus instruit. Or Jacques a donné à Valentine une preuve d'amour qui l'a émue et qui valait toutes les belles paroles qu'il ne savait pas dire. Quand ils se sont connus, il savait à peine lire: il a appris pour lui faire plaisir....

Le père de Valentine parlait de lutte des classes. Elle acceptait cette idée, mais elle se rendait compte que ce n'était pas suffisant:

"Il y a les êtres, aussi. Leur histoire peut les faire changer de classe [...]. Et puis, il y a ceux qui semblent vivre en dehors de tout cela, par eux-mêmes, en quelque sorte."

C'est cet aspect humain qui ressort du livre une fois refermé: il y les êtres, aussi.

Quelles que soient les valeurs auxquelles les êtres croient, ils ont leurs faiblesses. Ce sont bien souvent les émotions qui les guident au plus profond d'eux-mêmes dans leurs actions et c'est souvent par elles qu'ils s'avèrent attachants, n'agissant finalement pas comme des bêtes, ce que d'aucuns aimeraient pourtant qu'ils soient, pour mieux les contraindre.

Francis Richard

Le collier rouge, Jean-Christophe Rufin, 160 pages, Gallimard