Je passe mon temps à prendre des notes sur le petit carnet quadrillé gainé de cuir noir qui partout m’accompagne. Ça commence à faire une paye que je trimballe ce carnet avec moi, je ne saurais même plus compter les années ; peut-être ne vaudrait-il mieux pas d’ailleurs. Toute la sainte journée je note des trucs bizarres là-dessus ou alors des pensées qui viennent zigzaguer à travers ma cervelle cabossée et que, dans l’instant, je trouve prodigieuses. Si je croise dans la rue un éléphant triste je le note, si j’aperçois un touriste japonais trafiquant dans une pharmacie de Knokke-le-Zoute je le note aussi. Réflexions, maximes, sentences et aphorismes c’est par kyrielles que je les aligne ; d’une page l’autre j’en fais d’étourdissants chapelets de saucisses fumées. Rien ne m’échappe en somme, mais de toutes ces notes je ne fais rien non plus. Elles restent figées dans mon carnet comme des litrons renversés sur un hérisson à bouteilles. Inutiles.Et les Editions des Carnets du dessert de lune venaient de rééditer Chroniques des faits, un livre bien dans sa manière:
Sous son œil effrayé quelque chose subitement se referme dont personne n’a la clef. Il dit apercevoir à travers les persiennes pourries, dehors, comme un combat de chiens en plein soleil. L’horrible grincement des roues bringuebalantes d’une vieille charrette. Une flèche de foudre en plein ciel d’été… De ceux-là mêmes qui croient s’en approcher, nul cependant ne peut saisir semblable délire.