Magazine Régions du monde

Méditations auprès de Julie Bessard. Par Patrick CHAMOISEAU.

Publié le 13 avril 2014 par Aicasc @aica_sc

Bessard A

INCOMMENCEMENTS
MEDTITATIONS AUPRES DE JULIE BESSARD
Par PATRICK  CHAMOISEAU.

© Patrick CHAMOISEAU – Janvier 2007

MEDITATION – Toute œuvre de l’art m’ouvre à méditation. La méditation est une fréquentation de l’ombre et de la lumière, entre conscience et inconscience, entre pulsion et volonté, entre imagination et construction. Elle peut se murmurer ou battre informulable. Elle va, entre connaissance et intuition, entre le dedans de soi, et le dedans de l’œuvre, et l’errance au dehors. Elle s’offre ainsi (sans explication, sans interprétation, donc sans rien mettre à mort) au rayonnement de l’œuvre. Elle la respecte ainsi, la vit pleinement ainsi, confronte ainsi le changement qu’elle suppose….

L’ABSENCE – Les plasticiens des Amériques connaissent cette lancinance. Comme une absence avec laquelle ils sont forcés d’œuvrer. Comme une amputation. C’est que, dans les plantations esclavagistes américaines, le signe et le symbole ont été interdits. Les esclaves pouvaient et devaient se projeter dans les signes et les symboles du maître, son blason, sa croix, ses icônes, ses chants, même ses récits de genèse et de prééminence. On leur refusait d’élaborer la moindre forme qui aurait pu réactiver les dieux perdus de la terre africaine.

Nos ustensiles (couis, chaudrons, coutelas, carafes ou canaris) sont restés vierges de toute marque. Une nudité de fonctionnalité pure. Celui qui fabriquait la forme était réduit à le faire sans sacré. Et pire : il n’allait pas à l’œuvre, il sacrifiait à la besogne. Dans l’inquiétude du maître, toute inscription, toute forme inspirée, renvoyait à l’Afrique. Et tout sacré venu d’Afrique était dangereux pour l’ordre esclavagiste : le rappel des esprits et des dieux relevait d‘une tentative de réhumanisation, en clair : d’une résistance. Les tambours (et avec eux des débris de danses et des miettes de chants) se sont maintenus car ils permettaient d’améliorer l’ardeur au travail. Mais le tambour, si puissant, s’est maintenu dénudé, sans un signe, sans une marque, sans une forme qui dépasserait la stricte utilité. Si la musique et la danse sont immédiatement vivaces en caraïbes, et dans les Amériques, les arts plastiques sont longtemps demeurés dans la corolle d’un impossible, la chrysalide d’un informulable. Au lieu fixe d’une absence. Une absence infiniment présente que le geste de chaque plasticien, antillais, caribéen, créole américain, soupèse encore.

Les installations de Julie Bessard me renvoient cette lancinance. La forme est là, aérienne, comme libérée par son fil, en suspens, en envol migratoire, elle ne se donne pas, ne se forme pas, elle informe en secret, et fait secret. Comme la parole du conte créole, comme les poèmes de Césaire, les textes de Faulkner ou de Glissant, elle obscurcit en révélant, elle s’obscurcit dans sa révélation même.

Chaque forme commerce avec son ombre dans l’espace d’une absence. Elle se retient. Et quand l’ombre s’efface, elle creuse dans cette absence.

MAGIE – Il n’est pas étonnant que la reconquête de l’Afrique (reconquête du signe, du symbole, de la forme perdue) ait constitué l’énergie même de presque toute la formulation artistique de l’Amérique des plantations. C’est la dynamique de la chose littéraire, du roman, de la poésie, du théâtre. La danse et la musique n’ont pas échappé à cet incontournable : la mémoire du corps avait d’emblée réinstallé l’Afrique dans les rythmes et les danses et les chants, d’une sorte invisible, indémêlable aussi. Des restes de sacré, des mailles de cosmogonies, des spectres de forces anciennes, se sont maintenus autour du tambour et des chants de travail, en s’alliant aux besognes même des plantations, et en ne contestant pas ouvertement leur bonne exécution. Mais, ils prenaient leur sens au débouché de ce détour : dans le feu d’une révolte, à chaque éclat d’une liberté.

Ce sont des formes arquées sur un détour. Les ombres attendent et la forme veille. L’ensemble avise.

Les signes, les symboles et les formes devront se réfugier dans la pratique de ces résistants que furent les quimboiseurs. Dans la géhenne des plantations, ces sorciers hélaient les divinités anciennes, s’acharnaient à les réactiver (synthèses, symbioses et autres transmutations) dans les dieux imposés. Et, là encore, le signe, la forme plastique, sera très peu présente, pour ne pas dire jamais. Les objets usuels du quimboiseur sont nus. Le travail de la forme surgira juste dans les quimbois –– ces constructions magiques, ces petits assemblages, plus ou moins inspirés du vaudou, qui se placent aux carrefours, qui se suspendent aux arbres, et qui concentrent pour mieux les disperser le mal que l’on veut vaincre ou expédier. Nos premières formes proclamées ont donc toujours été magiques : assiettes composées, animaux de sacrifice liés à des objets, des matières et des signes du religieux dominant. Ces petites « installations » sont les seules qui aujourd’hui frappent les imaginations populaires, et diffusent du sens, dans la crainte, le respect et la sidération. Les formes et les ombres de Julie Bessard me renvoient à ce vieux saisissement. Je me tais et je m’immobilise. J’entre en concentration attentive. Je suis en face d’une saisie de forces invisibles, devant une concrétion d’énergies impossibles à identifier, et qui s’agencent sans se souder, et qui rayonnent sans se répandre, et me subjuguent autant.

Ce sont des formes, ombres informées, qui présagent, dans tous les sens, tous les temps, passés et à venir. Tous les espaces aussi.
*
L’INVISIBLE – Pas étonnant que les œuvres de nos arts, celles de nos premiers plasticiens, et sur plusieurs générations, iront à cette recherche identitaire avec des signes ostentatoires. Il fallait vaincre l’absence primordiale. Réduire l’amputation. Qu’est-ce que cela veut dire d’être antillais ? Que s’est-il ajouté a la matrice africaine, et comment cela fonctionne t-il ?… Et les signes, les symboles et les formes d’Afrique ont longtemps été les oriflammes de cette recherche, comme le sont aujourd’hui les signes amérindiens, ou les symboles Saramacas, ou même les liturgies du vaudou, sur lesquels quelques plasticiens fondent leurs explorations. Les éléments culturels identifiables permettaient à l’artiste créole américain d’enraciner son discours. De prendre sol et racine pour son exploration.

Chez Julie Bessard, les signes ostentatoires ne sont pas là. Pourtant, je sens qu‘elle est d’ici. Quelle parle d’ici. Comme si elle avait intégré cette nécessité de l’invisibilité pour exprimer sans dévoiler, montrer sans monstration, dire sans exprimer quoi que ce soit d’audible à l’oreille convenue. Ce qui fait qu’elle est d’ici, c’est justement l’informe de ses formes, leur indécidé, leurs surgissements qui vont et bougent comme des incommencements. La racine, ici, est devenue un souffle, un liquide amniotique, une absence portée. On a le sentiment d’être arrivé là juste après un désastre génésique, un big bang générique, qui a lancé la vie, entraîné de neuves compositions, des agglutinations et des possibles indéchiffrables –– exactement comme dans la matrice des plantations où les humanités durent se recomposer, produire du neuf humain, avec toute les présences culturelles raciales linguistiques sacrées… qu’elles avaient perdues, qui leur avaient été données, qu’elles avaient dérobées…

La paille va comme une nasse, un piège végétal, qui naît et qui avorte, qui se noue et se défait, qui prend et qui libère, et qui cherche toujours. Une errance structurelle…

Chapeaux sans tête, oiseaux qui nagent, poissons qui planent, aigles défaits en vol, semblances végétales et animales, suggestions lentes… l’imaginaire s’émeut dans cette effervescence de possibles et de sens… Une errance structurelle, qui signifie ainsi.

EMERGENCES – La mémoire de l’esclavage n’est pas là comme on se souvient. Surtout pas comme on se lamente. Julie Bessard y puise une savante dispersion, d’ombres et de lumières, de configurations et de fluidités, de facettes qui s’offrent dans une spirale, d’ombres qui supportent et qui emportent aussi. L’espace est happé sur différents plans et lâché dans l’instant, la figure est esquissée à différents niveaux et libérée tout de suite. Chaque forme est une petite genèse, une inouïe renaissance, un évènement improbable qui s’est produit, qui se produit encore, que l’on rencontre, et que l’on sent sur le départ. Comme une alerte qui nous force à la capter très vite, la deviner en urgence comme on peut. Je songe : dans ce deshumain grandiose qui fut notre fondation, l’humain a germé de mille sortes, sous mille formes qui de prime abord nous furent indéchiffrables. C’est de cet instant, de cet immense mystère, dont Julie Bessard se souvient peut-être, qu’elle a oublié sans doute, sans qu’elle en fasse souci, et qui fait suggestion là.

CONCENTRATIONS – Les installations de Julie Bessard semblent ralentir le temps et retenir l’espace. Elles nous renvoient à des temps primordiaux de fusion avec le monde, et de fascination pour l’existant végétal, minéral, animal, pour toutes les formes naturelles dont la beauté informulée forçaient l’Homo sapiens à imaginer qu’elles recélaient des forces et des esprits, et qui, avant même que d’être de l’art, ouvraient à des esthétiques secrètes que le combat contre la mort, l’appel aux innombrables esprits (des petites divinités jusqu’au grand dieu unique) allaient formaliser.

Cette fusion des humanités avec les existants du monde força l’œuvre de la forme à des analogies fécondes, à des saisies incantatoires, possessives, conjuratoires, où le végétal, le minéral et les formes animales allaient l’hybridation à des formes humaines. L’hybridation transmettait à la forme l’aptitude ou la force désirée. Le monde et ses mystères se laissaient apprivoiser ainsi, par la forme hybride médiatrice, médiatisante. La forme hybride permettait de ramener la puissance du vieil arbre, l’éclat de l’animal, le rayonnement de la pierre imposante, dans des concentrations de sens. L’hybridation disparaîtra, mais la force de la forme restera dans nos imaginaires. Et sa magie aussi. Toute forme est une concentration incantatoire. Le dégagement d’un sens. C’est pourquoi les esclavagistes craignirent tant et les formes et les signes. Et c’est sans doute pourquoi Julie Bessard, quitte souvent le cadre de sa peinture, pour retrouver cette concentration maximale, la primordiale surtout : celle qui installe sa signifiance nouvelle dans la chair même du monde, son temps et son espace. Ses formes ne sont pas hybrides. Elles sont d’avant et d’après toutes les métamorphoses, c’est à dire au-delà… Leur informe laisse affleurer une variété de formes (feuillages, filets, oiseaux, becs, ailes, poissons, corsages, tissages, corsets, chapeaux, paniers, nasses…) sans les amener à naître. Leur informe appelle, épelle toutes les formes, les égrènent, les égrappent et les récapitulent –– comme des archétypes qui ne seraient d’aucun lieu, d’aucune culture, d’aucun imaginaire précis, mais qui les connaîtraient tous. Et c’est cela leur magie.

Ce que chaque forme suggère sans rien imposer c’est une invitation à s‘ouvrir aux possibles, l’infini des possibles, chaque possible exprimant la plénitude d’une variation, l’existence d’une nuance à rechercher, d’un autrement à découvrir, en fait d’une différence à vivre.

FORMES PRIMORDIALES – Il n’est pas anodin que Julie Bessard renvoie mes songes à ces temps primordiaux. Ces temps de fondations. Aux Amériques (comme dans le monde qui aujourd’hui confronte sa propre totalité dans le fracas et la douleur) nous sommes dans des temps refondateurs. Refondation pour ces cultures et pour ces dieux qui doivent vivre l’emmêlement. Refondation pour ces humanités dont le berceau (la terre) va (par le réchauffement) vivre une nouvelle jeunesse. Nous sommes sortis de ces postulations identitaires qui avaient besoin de signes et de symboles, de signalisations ethno-territoriales, du rapport formalisé a une culture, à une histoire, à une conscience de communauté, à la monstration et la démonstration des absolus de l‘Être –– cette manière d’exister à la verticale exclusive dans l’existant du monde. Saint John Perse l’avait compris : arc-bouté dans son universel, échevelé dans le désir de ne relever d’aucun temps, d’aucun territoire, d’aucune culture, d’aucune chaussée du monde, il s’était efforcé d’habiter et son nom et la poésie ; et pour cheminer, il mobilisait les archétypes mythiques, symboliques ou religieux du monde entier, comme si sa poésie avait su d’emblée que les temps primordiaux recelaient des énergies qui nous seraient utiles, à nous tous aujourd’hui, et qu’ils nous permettraient de réinstaurer des relations de connivences avec le monde, la nature, les peuples et les imaginaires. Des relations de connivence avec des équilibres invisibles que nous avons perdus en gagnant tant d’autres possibles. Chaque poème de Perse pousse cette étrangeté. D’une forme à son ombre, d’une ombre à sa forme, Julie Bessard invoque cette même étrangeté où rôde les signes anciens, des ombres animales, des formes au-delà de l’hybride que l’on croit reconnaître, qui se déroulent sans fin, comme un récit, et qui reste ouvertes comme des chants et des fables, et qui nous disent que le monde qui fait monde est en train de renaître, qu’il va a de nouvelles enfances, et qu’il faut nous tenir prêts à vivre cette aventure. Nous maintenir en devenir.

POETIQUE – Julie Bessard m’emporte dans l’idée que la question de l’identité relève d’une poétique, pas d’un raidissement proclamé. Toute poétique explore une profondeur, et vise à connaissance de cette profondeur. Maintenant, l’identité exprime d’abord l’énergie singulière d’une profondeur qui s’ouvre et qui va vers d’autres profondeurs. Chaque forme le chante dans son infime irrémédiable mouvement.

Elle me ramène au sentiment que l’identité est Relation, comme le propose Glissant, c’est-à-dire : interaction constante entre l’Être et l’étant, qui restent ensemble, qui commercent et se nomment, et fondent (dans leurs difficultueuses harmonies) la vitalité de toute présence, c’est à dire sa beauté..

Les installations de Julie Bessard concentrent nuances de formes et variations de formes. L’espace ainsi capturé est constitué d‘une variété de formes (de possibles), avec leurs ombres et leurs mouvements. L’espace ainsi capturé ouvre à cette présence diffuse qui ouvre au tout-possible, c’est-à-dire comme le propose Glissant, à l’infini des différences –– leur liaison magnétique qui fait se lever, presque de partout et sans limite précise, le sentiment de la beauté.

Chaque forme n’est pas un commencement mais un incommencement. On a toujours la sensation que quelque chose commence, jamais que quelque chose s’achève, ni que quelque chose s’est installé. Mais l’instant du commencement est saisi au vol, maintenu en suspens, déconstruit de cette sorte, dans une relation inouïe au tout-possible ouvert. Se crée un espace générique où les agglutinations se mettent en branle vers des organismes évolutifs, complexes, qui devront s’adapter à des temps et des espaces encore à naître. Et, au passage, tous les archétypes sont mobilisés, tous les signes, tous les symboles, toutes les marques, mais sans qu’il soit possible de les identifier. Il sont justes invoqués, suggérés, et mieux : précisément poétisés.

Et on le sent bien : toutes ces formes sont vivantes. Elles sont déjà achevées tout en relevant de l’incommencement. C’est comme si l’Être (cette conscience d’exister) avait perdu son absolu pour fréquenter les devenirs incessants de l’étant (cette manière très fluide, très disponible et très ouverte de vivre). Cet achèvement et ce suspens de l’étant sont une concentration qui, dans chaque forme, invente sa musique et son mouvement.

IMMOBILITES – C’est vrai que l’on a spontanément envie de leur imprimer un mouvement mécanique. De les envelopper d’une musique. De les filmer en leur imprimant des rapprochements, des élections de zoom, des éloignements ondoyants. Il faut le faire sans doute pour mieux deviner leurs énergies secrètes. Mais il faut sans doute savoir aussi suspendre ces interventions. Tenter de les vivre dans l’immobilité. De les laisser vivre dans l’immobilité et le silence, à l’immobilité et au silence, jusqu’à percevoir combien leur immobilité est un pur mouvement, que leur silence est musique insondable.

L’OMBRE ECHO – J’avais songé que l’emmêlement inextricable de l’Être et de l’étant était bien suggéré par cette adjonction de l’ombre-des-formes aux formes elles-mêmes. Mais cette complexité impalpable qu’amène l’ombre-forme est déjà dans la forme-source elle-même. L’ombre-forme est ici, pour chaque forme, l’épaisseur, la profondeur, l’opaque qui chemine de ce qui flotte au premier plan, comme un écho qui continue la forme, la parachève avec du fluide, de l’instable, du mouvement qui engendre du mouvement : c’est le processus même du devenir dans le temps et l’espace, du concert inarrêtable de l’Être et de l’étant.

L’ombre-forme ici ne porte pas, ne se porte pas, elle emporte et déporte.

L’ombre-forme n’est pas seulement une projection, un prolongement différencié, mais la capture d’un autre espace, lui-même en devenir. La forme rayonne ainsi, dans sa propre ombre-forme, comme dans un écho qui ne relèverait pas de la sonorité mais d’une germination…

TRACES – Le mot qui me vient auprès de ces formes (prises une à une, prises aussi dans leurs ensembles qui se relient et se relaient d’une sorte inexplicable) est celui de Traces. La Trace est, pour Glissant, ce par quoi le tremblement avance. Le tremblement, et sa pensée, n’est pas la crainte, ou la timidité : c’est la jeunesse ouverte d’une pensée qui se préserve des systèmes de pensées et des pensées de système. Trembler c’est fréquenter le doute, l’incertain, s’attendre à l’imprévisible, vivre avec l’inexplicable, assumer l’improbable. La Trace transporte et magnifie ce tremblement. Sous l’interdit des plantations, les esclaves ont laissé plus de Traces que de démonstrations florissantes, plus d’agglutinations ouvertes et fragiles que de synthèses triomphantes, plus d’hésitations chercheuses et mobiles que de proclamations. La Trace ouvre à l’infini. Glissant répète que sa fragilité est ce qui fait sa résistance, que sa fugacité garantit sa durée.

La Trace est conforme à l’absence originelle. Elle est conforme à notre expression plastique empêchée, à notre esthétique qui fut d’abord du Détour (du déguisé et du secret). Il a fallu survivre et résister dans l’extrême deshumain, s’exprimer sans montrer, exister sans trop battre, tenir raide sans mollir, agir par en-dessous pour transformer la vie. C’est pourquoi le dit de nos profondeurs n’a jamais été littéral, et ne pourrait l’être. Ni direct, ni évident, jamais spectaculaire, toujours opaque, concentré, détourné, toujours dans l’extension horizontale de mille douze signifiances. Toujours en Traces. C’est dans cet informe, et par lui, que Mme Bessard est profondément, martiniquaise, caribéenne, créole américaine. Et c’est dans cet informe même qu’elle se débarrasse de tout cela pour confronter l’inextricable du monde : artiste à Traces, artiste en Traces…

TOTAL – Chaque forme supporte la longue contemplation, le déport de l’esprit. Échappant aux carcans des croyances, l’esprit se retrouve libre, se voit forcé d’élaborer de nouvelles perceptions, sans doute d’autres croyances, dans une nouvelle jeunesse. Mais si chaque forme installe une plénitude, il faut tenter de deviner les liaisons mystérieuses qui les rassemblent sans les confondre, les renouvellent ainsi, et qui nourrissent et leur mouvement et leur musique informulée.

Dans sa relation aux autres, ce que chaque forme avait suggéré se défait continûment, se reforme autre chose que l’on devine toujours imprévisible. Une naissance-renaissance continuée.

La forme que met en œuvre Julie Bessard, ne se montre pas. La forme danse. La forme chante. La forme fait des dessins et songe à des couleurs. Elle raconte aussi. Elle écrit tout. Elle ne s’expose pas, elle diffuse une douce gaîté, pleine de clins d’œil et de sourires. Paisible et sans limite, elle nous incline vers elle.

Toute beauté est un lien entre des profondeurs irréductibles, invoquées, suggérées, convoquées, qui se signalent et se recherchent ainsi dans ce seul rayonnement. Qui fait présence ainsi. Et qui donc fait beauté.

Julie Bessard fréquente la source, là où la forme énonce son histoire, son passé, avec toutes les histoires, avec tous les passés, et tout cela dans le paisible bouleversement de l’informe, la déroute sereine de l’incommencé, le rapport épuré, concentré, respectueux et tranquille à la beauté. Beauté, par essence, toujours en devenir, inarrêtable toujours, initiant sans cesse aux horizons de l’improbable.

Julie Bessard, comme une entrée sur de nouvelles jeunesses et bien d’autres innocences.

Patrick CHAMOISEAU


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