C'est un peu mal reveille, car j'avais encore mal dormi, que j'ai quitte la sympathique albergue de la Tor del Sabre ce matin. La quietude de ma nuit avait ete bien troublee par mon madrilene de voisin, gentil mais sans doute champion d'Espagne de ronflement.
Mes premiers pas sont un peu rassurants. J'ai moins mal aux pieds qu'hier soir. Je partage quelques hectometres avec Ulrich, qui va, comme presque tous les pelerins aujourd'hui également a Zamora, avant de prendre mon rythme.
Le paysage est un heureusement un peu plus agreable qu'hier. Pas de bords d'autoroute, le chemin n'est pas "straight like a die". On voit des arbres. Je suis decidement tres, peut-etre trop, sensible au decor quand je cours et je marche. Il dicte presque mes sensations et le fil de mes pensees. Mes emotions en sont presque inseparables, même si d'autres facteurs les influencent aussi, comme la souffrance physique ou les bonnes et mauvaises nouvelles venues de l'exterieur. Recemment, dans un dossier du magazine Sport et Vie sur la marche, je lisais un interview du marcheur Y. Diniz qui expliquait se foutre totalement du decor. Il s'entraine ainsi tous les jours au bord de la même nationale, sur une ligne droite denuee de tout intérêt. Seule l'interesse sa performance. Je suis a l'oppose de cette demarche. Je cours, je marche, pour m integrer au paysage. Ce que je recherche, c'est ce moment de plenitude quand on fusionne, par le deplacement, le rythme, avec le paysage en mouvement.
Bon, aujourd hui ce n'est pas encore l'extase. Au pied d'une descente, mes yeux decouvrent une large vallee. Jusqu a present, je cheminais sur un plateau, a pres de 1000 metres d'altitude.
Le temps de doubler quelques pelerins, de discuter un peu, et me voilà dans un petit village ou je m accorde une pause et un cafe. L'etape est courte et j'espere ainsi arriver tôt a Zamora pour me reposer un peu.
Cependant, après ce village, c'est le retour des longues lignes droites d'un ennui aussi plat que les champs qui les bordent. Je m enferme dans mes pensees, je mets de la musique pour distraire et rythmer mes pas, qui sont a nouveau de plus en plus douloureux. Je me concentre pour eviter les gros cailloux ronds qui parsement le chemin et me font mal.
Toujours est il que j'avance, mais j'arrive toutefois a perdre la bonne trace. Est-ce parce que je revais aux fees, je me concentrai sur ces satanes cailloux ou parce que je me laissais porter par ma musique, je ne sais, mais en levant la tete j'apercois la ville de Zamora sur ma droite et me dis qu'il faut que je repique dans cette direction.
Un petit detour pas bien agreable sur la route et je retrouve le chemin a 4 kilometres du but. Mes pieds me brulent carrement, mes sandales sont trop legeres pour proteger autant de kilometres, elles ne sont d'ailleurs pas prevues pour. Comme le modèle que j'avais emporte était un peu trop prevu pour des chemins moins agressifs et surtout moins boueux, mes chaussures de depart ont donc rendu les armes a Salamanque. Une de mes missions ce soir sera de trouver une paire de remplacantes qui me meneront jusqu'à Compostelle car je ne peux raisonnablement continuer ainsi.
Le soleil est chaud mais moins brulant que les derniers jours quand j'atteins le pont romain de Zamora. Il est tôt encore, a peine 15h, car mon etape a ete courte, 34 kilometres avec la rallonge. Mais mon etat n'est pas terrible. J'ai les pieds en feu et la fatigue est la.
Je devore quelques tapas pres de la Cathedrale avant de tenter d'admirer un peu les beautes de cette ville au riche patrimoine. Mais je suis vraiment fatigue et après avoir fait un tour dans le centre ancien je n'ai qu'une idee: trouver un hostal bien tranquille pour me reposer un peu. D'ailleurs a cette heure la ville est deserte et la sieste est de rigueur. J'applique donc ce plan.
Deux heures plus tard, lorsque je ressors, les rues sont déjà envahies de monde. Les magasins ont ouvert.
Je trouve, après quelques recherches, un magasin de sport. Le choix est tres reduit, mais le gentil et bien age patron finit par me trouver une paire d'adidas assez basique mais qui devraient tenir sans me gener, je l'espere. Le prix reflete bien l'etat economique de l'Espagne: 40 euros pour une paire de running, c'est assez rare quand même. En prime, le patron vient me donner un petit tour de coup porte-carte muni d'une carte reunissant les chemins de Saint-Jacques...a l'exception de la Via de la Plata! Mais comme c'est tout gentil, je l'emporterai a Saint-Jacques.
Non loin de la plazza Mayor, j'ai le plaisir de rencontrer Ulrich, qui m avait d'ailleurs envoye un message que je n'avais pas vu. Nous dinons agreablement ensemble dans un petit bar pres de la: quand nous entrons il n'y a pas encore grand monde mais ensuite c'est bonde. L'endroit semble apprecie des locaux, toutes generations confondues. D'ailleurs nos raciones ne sont pas mauvaises du tout. Zamora est une ville de taille moyenne, sans trop de touristes mais tout a fait interessante. La bonne taille pour profiter d'une bonne animation après deux jours dans la pampa.
Autour d'une Estrella (la biere de Galice que l'on commence a trouver ici), nous discutons. Ulrich evoque ses chemins, son premier Saint-Jacques qui correspondait pour lui a une epoque d'intense réflexion personnelle après une deception sentimentale et qui lui a permis de bien repartir dans la vie. Celui ci, plus serein sans doute, un instant pour soi d'un medecin, marie et pere de famille, a l'aube de la cinquantaine. J'aime bien sa demarche et sa bonhommie pelerine. Notre discussion est agreable et interessante.
Pour moi, qui ai fait de ces chemins et de mes voyages quasiment un mode de vie, ils constituent tout de même des moments bien particuliers, hors de l'ecoulement normal du temps. Des periodes de travail, des voyages de presse si interessants soient ils. Ce sont aussi des moments d'intense reflexions et d'introspection: je me pose toujours beaucoup de question, faut dire.
Après ce repas amical, nous restons dehors car mon ami suisse m a indique que ce soir, une grande procession est organisee. D'ailleurs, le passage est facile a reperer: tout le monde, jeunes (c'est etonnant mais ainsi), vieux... La semaine sainte est d'une immense importance ici.
A attendre dans le froid (j'ai evidemment omis de prendre un vetement chaud) car la nuit est fraiche, je suis a la limite de regretter ma chambre d'hotel quand enfin la procession arrive. Le spectacle me laissera pantois.
Ils sont en fait des centaines, habilles de blanc, sous une grande capuche pointue, a marcher en tenant une lanterne contenant une bougie. Certains portent de lourds chars, soutenant une cloche ou un crucifix. Le passage dure pas loin d'une heure.
L'habit des "Hermanos de L'Esperitu Sancto" est inspire de celui des moines cisterciens. Aujourd hui defilent hommes, enfants et même des femmes, bien que l'age et le sexe soit difficile a deviner sous l'habit.
Dans la nuit de la vieille ville, cette procession est tres impressionnante. Toute la foule se tait d'un coup, ce qui s'entend tres bien, surtout en Espagne ou le niveau sonore est un cran au-dessus de chez nous. Seul le tintement des clochettes et les crecelles actionnees par certains penitents, et quelques murmures, brisent le silence.
Je me sens aussi tout a fait depayse par ce spectacle. Autant qu'en assistant a certaines ceremonies traditionnelles ou religieuses dans les pays lointains que j'ai pu visiter. Pour un francais, qui plus est de cette France presque totalement dechristianisee, mais de toutes facons jamais ce genre de ceremonies n'a eu lieu de cette facon chez nous, c'est une experience troublante d'une autre culture et aussi d'une chretiente qui celebre la souffrance de facon solennelle et impressionnante. C'est bien le "vierdes de dolores" que l'on celebre ici et la procession est toute l'expression de la durete de la vie, de la proximite de la mort, de son caractere implacable. Le funebre ne me semble pas loin.
Après cette experience tout de même bien interessante et marquante, je me traine jusqu a ma chambre ou m attend un bon lit et une vraie bonne nuit sans ronflement pour me permettre d'esperer mettre un pied devant l'autre demain!
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