Ce groupe du Sahara, qui oscille entre blues des sables et rock occidental, mêle adroitement les styles et les instruments qui s’y accordent mixant batteries, guitares, calebasses et djembés. Les musiciens affichent ainsi la preuve d’un renouvellement, d’une tradition touarègue qui sait faire peau neuve tout en conservant son ancrage. Quand modernité et tradition roucoulent en parfait adage.
L’enjeu s’il est bien sûr artistique, ne l’est de loin pas seulement, le groupe milite en effet pour son peuple dans une visée pacifiste. D’ailleurs, son nom signifie rassemblement. Ils viennent de la région de Kidal, au Nord du Mali, bafouée actuellement par la guerre et l’occupation islamique. Vu la situation de conflit, le groupe a été contraint d’enregistrer ce troisième album au dix titres envoûtants à Prague et non à Bamako. Les artistes chantent d’abord avant tout pour les leurs même si la portée des chants est devenue internationale. En tamasheq (la langue des Touaregs) CHATMA signifie d’ailleurs « mes sœurs ». Il est un hommage à toutes les femmes touarègues meurtries, qui endurent les blessures du conflit. La traduction du refrain de "Tisnant an Chatma" affirme sa révolte : Qui peut comprendre la souffrance de l’âme de celui qui observe ses sœurs épuisées par la contrainte de vivre entre les frontières dans la profonde douleur et l’oppression quotidienne ?
L’effigie de l’album met en image la photographie d’une jeune femme au regard fixe et transperçant, dont le visage bien qu’impassible et silencieux, semble vouloir raconter toute l’histoire qui la traverse. Une puissante évocation au-delà des mots. Tamikrest témoigne d’un militantisme pour retrouver la liberté perdue des femmes, pour enrayer la peur de perdre des proches, pour retrouver une vie normale.
Des idéaux de respect des femmes mis en œuvre concrètement. En effet, la choriste Wonou Walet Sidati, membre historique de Tamikrest, n’a jamais été placée sur le coté de la scène ni à l’arrière avec un micro pendant les concerts. Elle danse et chante au milieu de la troupe, souvent en première ligne. Illustrant à merveille le refus de l’humiliation de se retrouver subordonner à qui que ce soit. Marginalisés au sein de leur propre pays en citoyen de seconde classe, les Touaregs occupent ici toute la scène avec talent, les voix des uns et des autres se répondant en s’enrichissant.
Voilà des gens enracinés qui arrivent encore à pousser, luttant contre l’oppression et la douleur en la sublimant dans ce partage musical hypnotique. Leurs chansons nous permettent d’entrer en lévitation, entre enivrement et extase, en espérant que leur pays retrouve la sérénité méditative qui règne à l’écoute de leur musique.