ENRAGÉE (d'après Maupassant)
Tu me demandes de te raconter
Mon voyage de noce.
Comment veux-tu que j’ose ?
Enfin, bon.
Après la traditionnelle collation,
La voiture nous attendait
Lorsqu’on tira ma robe tout à coup.
C’était mon petit chien Bijou.
Lui aussi voulait me dire au revoir.
(Je l’avais délaissé depuis la veille au soir !)
Je l’ai embrassé,
Couvert de baisers.
Il était comme fou.
Et moi, je savourais ce plaisir si doux.
Il remuait ses pattes dans tous les sens.
Il me mordillait,
Me léchait.
Il semblait en transe !
Soudain, il m’a mordu le nez.
Il me fit mal, l’effronté !
J’ai même un peu saigné.
Mon mari accourut pour me soigner.
Certains invités se montraient désolés.
Quand le sang cessa de couler,
Nous sommes partis,
Comme prévu, pour la Normandie.
À l’hôtel, mon nez me gênait.
Pendant que je me déshabillais.
Je fis passer mon mari
Dans la pièce d’à côté.
Il a cru que je me moquais de lui.
Puis couché près de lui, je me débattais,
Le repoussais, tant je craignais
Qu’il découvre mon nez âbimé.
Dans ces moments-là,
On ne raisonne pas.
Il choisit cet instant
Pour me révéler soigneusement
Le secret que l’on cache aux jeunes filles.
Le lendemain, en arrivant à Trouville,
J’apprenais
Qu’une femme venait de mourir enragée.
Je frissonnais
Et souffrais du nez.
Je n’en ai pas dormi de la nuit,
…Oubliant mon mari !
Moi aussi, j’allais mourir enragée !
Je m’enfermai
Pour regarder ma plaie.
On ne la voyait plus et pourtant
Elle me faisait un mal effrayant.
J’écrivis à mes parents
Pour savoir si Bijou n’était pas souffrant.
Ils ont dû me trouver un peu dérangée !
Le lendemain, je n’ai rien pu manger.
J’ai refusé de voir un médecin.
Mais, à tout instant, je portais la main
À mon visage pour tâter mon nez.
Ma nuit fut horriblement agitée.
Mon mari en profita !
Ma mère ne me répondant pas,
Je lui ai envoyé dans l’après-midi
Une carte postale : « Bijou est-il en vie ? »
Je me voyais perdue. J’avais la rage,
L’horrible, l’épouvantable rage.
La nuit suivante, je n’ai pu rester au lit.
Après quelques heures de répit,
Une nouvelle crise me saisit.
J’ai poussé d’effroyables cris.
J’avais envie de mordre. Je hurlais.
J’attendais la mort. J’y étais résignée.
Cinq jours après,
Mes missives l’ayant effrayée,
Maman arrivait à notre hôtel d’Étretat.
Elle tenait un grand panier. Je l’ouvris.
Bijou sauta sur le lit !
Tu ne me croiras pas.
C’est à cet instant que j’ai compris.
Oh ! L’imagination, ma chérie !
Comme ça travaille ! Et dire que j’ai cru… !
Et songe aussi : si mon mari l’avait su !!