La Fabrique culturelle : on a besoin d'un débat!

Suite à la lettre rédigée par le Regroupement des artistes en arts visuels intitulée "La Fabrique culturelle de Télé-Québec : un vecteur d’exploitation des artistes?" et dénonçant le projet de la Fabrique culturelle, j’avais envie de proposer quelques réflexions. Il se peut que je sois à côté de la track et je serais ravie d’en débattre et de discuter avec quiconque souhaite échanger sur la question.Lorsque le projet a fait son entrée glorieuse sur le Web, j’étais vraiment enchantée. La plateforme est superbe, l’idée est emballante. Je m'y suis laissée happer comme dans un vortex, sans trop réfléchir. C'était presque un rêve (bon, j'exagère). 

La Fabrique Culturelle propose aux artistes d’y téléverser leurs vidéos : « portraits, entrevues, performances, œuvres en création, courts métrages » pour leur offrir « une vitrine de choix, dans la sphère publique ». Je me suis immédiatement abonnée au compte Twitter. Le lendemain, je me suis créé un profil sur leur site. J’ai commencé à télécharger des vidéos d’entrevues que j’avais faites avec des commissaires. Avant d’accepter la publication, j’ai lu le contrat : frissons dans le dos. J’ai rebroussé chemin. Les passages les plus intenses sont cités dans le texte de la RAAV. Pour résumer : on cède tous tous tous les droits de ce qu'on téléverse et Télé-Québec fait tout tout tout ce qu’il veut avec les éléments téléversés, et cela, sans rémunérer les créateurs. Sur un mode anecdotique (allons-y, au risque de passer pour une mémère stalkeuse), quelques jours après son lancement, La Fabrique Culturelle publiait un tweet contenant un #FF (Follow Friday). Le #FF est l’occasion d’offrir une visibilité à l’autre. C'est l'occasion de le mettre en valeur. N’est-ce pas le rôle de La Fabrique? La Fabrique, grande généreuse, y est allée d'un #FF à tous ses abonnés, sans les nommer, juste en les chiffrant. Et il y en avait déjà des centaines, donc c’était absurde. Ces abonnés sont majoritairement des artistes et des travailleurs culturels. Ce qu’il y a de bête, c’est que la Fabrique n’était pas abonnée au quart d’entre eux. Je n’ai jamais vu quiconque utiliser le #FF pour se faire de l’autopromotion. Faut être motivé en chien. 
Bon, c'est juste de la maladresse, vous me direz, mais moi, ça m'a titillée. Je suis de même. Je suis allez voir leurs abonnements à l'époque : on y retrouvait que des journalistes, des chroniqueurs, des blogueurs, des directeurs, des coordonateurs. Bref, on y retrouvait que des gens qui étaient susceptibles de faire de la promo. Est-ce un reproche ? Non. C'est un constat.À ce moment-là, j’ai compris (je suis lente des fois, mais j’écris ce texte au cas où je ne serais pas la seule tortue). C’est un projet de promo, mais vraiment JUSTE DE PROMO. En fait, c’est clairement indiqué dans leur description.Donc, quand on cède ses droits à un projet de promo, idéalement, on ne cède pas les droits d’une œuvre, genre, une vidéo d’art. Il faut faire la distinction entre l’œuvre entière et un petit extrait qui vise à en faire la promo. Mais parfois, la frontière est mince, par exemple, lorsqu’il s’agit d’une entrevue. Le RAAV, critiquant le projet de La Fabrique, parle de youtubisation de la culture et, là aussi, il faut faire attention. J’ai remarqué que la majorité des vidéos publiées sur La Fabrique Culturelle se trouvait déjà sur le Web : YouTube, Viméo…etc. La plateforme est un relais et il faut l’utiliser de cette manière, sans plus. Vu comme ça, c'est chouette.Mais ça me titille encore. Surtout pour les arts visuels.La Fabrique Culturelle invite les artistes à téléverser leur stock dans son bassin. Ensuite, elle fait un tri, un montage, avec le meilleur. Le "meilleur" équivaut souvent à ce qu’il y a de plus accessible ou de plus facile à digérer, si l’on se fie à la page d’accueil. Après tout, c'est ça le rôle d'une fabrique : 

Établissement de moyenne importance ou peu mécanisé qui transforme des matières premières ou des produits semi-finis en produits propres à la consommation. (Antidote)

J'ai un peu mal au coeur, mais bon, c'est juste une métaphore. Elle est forte, tout de même. 

Si on explore le site Web, on comprend que, comme sur le web, les éléments de culture se perdent aisément dans la masse s’ils ne sont pas sélectionnés et mis en valeur. On voit bien que, pour la plupart des artistes, La Fabrique culturelle ne servira pas de vitrine.  Elle n’aura été qu’un espace de transaction, un lieu virtuel où l'on téléverse ses productions et où l’on cède ses droits, en un clique de souris, dans l’espoir d’être sélectionné. Je trouve ça un peu beaucoup pas mal aliénant. Mais bon, c’est ça la game. Et ça coûte rien, han ? C'est là qu'on se trompe (j'y reviendrai).Pour d’autres artistes, les productions seront effectivement mises de l'avant sur la page d'accueil, sur Twitter, sur Facebook et peut-être même à la télé (jackpot?). Et là, on est en droit de se demander si la visibilité offerte est réellement susceptible de générer une reconnaissance pour les artistes et, indirectement (parce que directement, on sait que non), une rémunération ? Ou si, au contraire, le contenu ne fait que mettre en valeur le projet de La Fabrique?On pourrait rétorquer que si le projet est mis en valeur, les artistes aussi. Je répondrai aussitôt que ce qui émane de ce projet, malheureusement, c’est la gratuité de la culture et que, par là, on est loin d'offrir une visibilité qui est susceptible de se transformer en reconnaissance, ou en une rémunération pour les créateurs. En ce sens, la participation à un tel projet coûte quelque chose. Elle coûte à la communauté artistique en échange d'une petite part de capital symbolique individuel qui, au final, ne veut pas dire grand chose. 

Ainsi, le slogan de La Fabrique Culturelle "La culture autrement" n'est pas très représentatif de leur "utilisation" de la culture. Rien de plus banal, à l'heure actuelle, que de s'approprier le travail des autres pour faire mousser son propre projet en faisant passer ça pour de la Web Curation altruiste. 

Peut-être que je me trompe...Mais tout de même, si on voulait vraiment suivre cette idée d'une "culture autrement" à l'ère des technologies numériques, au Québec, il faudrait plutôt se pencher sur l'établissement d'une "culture libre", c’est-à-dire une culture équitable. Celle-ci passe par l'utilisation massive des licences Creative Commons ou Copy Left plutôt que par des licences Copy Right que l'on cède à ses risques et périls. Mais ça, c'est un autre débat qui tarde à éclore dans notre belle province...Libérale! 

Sans doute suis-je un peu trop idéaliste et qu'il me faut davantage tenir compte du contexte dans lequel la culture évolue en ce moment. Je dois avouer que j'ai bien du mal à me résigner. Mais à ce propos, les propositions de la RAAV (licence partielle...etc.) sont peut-être plus réalistes qu'une refonte complète du système économique actuel. ;-)Cela dit, je ne crie pas au scandale. Je ne fais pas d’appel à la non-participation. Chacun décide pour lui-même et, je l'espère, un peu pour sa communauté. La reconnaissance de son travail, ça commence par ce genre de décisions. Mais pour que cette décision soit éclairée et que la communauté artistique en ressorte gagnante, il me semble, à l'instar du RAAV, que le projet mérite d’être analysé, discuté, débattu...