W1A (2014) : quand la BBC rit d’elle-même

Publié le 12 avril 2014 par Jfcd @enseriestv

W1A est une nouvelle comédie de quatre épisodes présentée sur les ondes de BBC Two depuis la fin mars. Le titre fait référence au code postal où sont situés les imposants locaux de la télévision d’État et la série débute alors qu’Ian Fetcher (Hugh Bonneville), ancien chef de la Délivrance olympique, vient d’être engagé en tant que chef des valeurs pour la BBC. Comme dans la maison qui rend fou dans Les douze travaux d’Astérix, le nouvel employé passe plus de temps en salles de réunion, en entrevues et à éteindre des feux que dans son propre bureau à faire son travail. Création de John Morton qui est aussi à l’origine de Twenty twelve (2011), laquelle mettait justement  en scène le personnage de Fletcher, W1A est un formidable exercice d’autodérision de la part d’une des chaînes télévisées  les plus connues du monde qui nous prouve à quel point celle-ci peut s’avérer audacieuse. Outre son aspect dérisoire, la série offre aussi une réflexion sur le concept de télévision d’État et explore habilement toutes les contradictions qui la hantent. À voir.

Autodérision

À son arrivée, Ian doit immédiatement se mettre en selle et rencontre une multitude de collègues pour le moins colorés. Il y a d’abord son assistant, Will Humphries (Hugh Skinner), qui effectue son premier stage. Ayant toujours des écouteurs dans les oreilles, il a une difficulté inouïe à retenir quoi que ce soit et certains des employés n’hésitent pas à profiter de sa nature affable en lui donnant une multitude de petites tâches qu’ils sont trop paresseux pour accomplir eux-mêmes. Il y a aussi Lucy Freeman (Nina Sosanya), une productrice qui perd la face chaque fois que sa supérieure Anna Rampton (Sarah Parish) change d’idée ou commet des impairs. Cette dernière est arrogante à l’extrême et n’avoue jamais ses torts. Notons aussi dans le département des communications Neil Reed (David Westhead) qui passe presque l’entièreté de sa journée à présenter des excuses formelles aux autres médias et Siobahn Sharpe (Jessica Hynes), affiliée à Ian et qui ne jure que par les médias sociaux. Au cours des épisodes, ces personnages doivent faire face à plusieurs controverses : le départ d’une présentatrice qui accuse la BBC de sexisme, changement de logo, salaire de cadres, couverture journalistique, un pitch de série à venir, etc.

Ce qu’il y a de plus amusant et surtout d’audacieux, c’est que BBC ait donné son accord pour la production d’une telle série. Puisque le tout est effectivement filmé dans les locaux de la société d’État, les épisodes prennent des airs de faux documentaires, encore qu’on ne sait jamais si les événements qui surviennent se sont déjà déroulés ou non. En entrevue, Morton explique : « Le principe clé est d’opérer à un degré de réalité qui se situe juste à la gauche ou à la droite des faits, pour créer des situations qui n’ont jamais existé, mais qui pourraient ou auraient pu arriver ». À titre d’exemple, lors du pilote, l’animatrice vedette Clare Balding claque la porte à un nouveau projet de variété et Anna fait appel à une autre célébrité, Carol Volderman, pour prendre sa place. Le problème est que Clare fait marche arrière et que c’est Carol qui finit par être évincée. Dans la réalité, ces deux femmes sont justement des présentatrices vedettes de la chaîne.

Du côté plus fiction,  l’immeuble est rempli de patrons aux égos démesurés tandis qu’une autre part d’employés se révèlent des flagorneurs hors pairs. En fait, personne ne s’écoute et on assiste à une culture de l’égocentrisme. La série y va aussi de sarcasme comme lorsque Siobahn crée un compte Twitter pour Ian… et que c’est elle seule qui l’utilise en son nom. Plus tard, elle dit à l’un de ses collègues « The thing with BBC Four, is it’s like a Marmite channel, and the thing with Marmite is it’s like no one eats that shit! »… Dénigrer (avec l’humour) sa propre chaîne avec de tels propos, il faut le faire! Enfin, la série n’épargne pas non plus les créateurs. L’un d’eux rencontre Anna et Lucy alors qu’il doit faire un pitch pour vendre son nouveau projet de fiction titré « Home truth ». Le concept des épisodes? On suit le quotidien de gens ordinaires qui vivent leur vie… Et les deux femmes d’adorer!

Bureaux de la BBC

La télévision d’État

Tout au long des épisodes, W1A nous offre une belle mise en abîme sur la télévision d’État puisque les protagonistes se rencontrent plusieurs fois en réunion pour parler de l’avenir de leurs chaînes. Bien entendu, Ian est au cœur de ces démarches puisque son poste le prédispose à promouvoir une image positive de la corporation. À plusieurs reprises, il questionne ses collègues : « What is the BBC for? » et il leur demande de décrire en un mot la compagnie. Une autre fois, il se questionne à savoir si la chaîne devrait donner aux spectateurs ce qu’ils veulent, ou les amener hors des sentiers battus pour leur faire découvrir de nouveaux horizons. Du côté critique, ils sont conscients (et le mentionnent) que la BBC traîne une certaine réputation de sexisme et d’âgisme et ils mentionnent qu’ils ont reçu quelques plaintes. Ian doit constamment s’assurer et promouvoir sur diverses plateformes que ses employés lavent plus blanc que blanc et il est lui-même mis sur la sellette lorsqu’un quotidien concurrent dévoile son salaire.

Bureaux de la CBC

Cette série trouvera sans peine écho dans tous les pays ayant une télévision d’État. Au Canada par exemple, la perte de la diffusion des matchs de hockey sur la CBC l’an prochain (les matchs étaient diffusés depuis 1952 sur la chaîne) force la corporation à se remettre en question quant à son avenir et son mandat. Dans W1A, Siobahn engage une équipe en vue de changer le logo de la chaîne et lui donner une image plus jeune (avec des résultats hilarants). La même chose s’est produite l’été dernier (mais pour des raisons différentes) chez Radio-Canada alors qu’on voulait tout simplement renommer la chaîne « ICI »; provoquant un tollé politique et au sein de la population. Enfin, la question des salaires sera toujours épineuse dans une télévision d’État, puisque financée par le public. C’est que pour être compétitives, ces chaînes doivent offrir les mêmes salaires que dans le privé et W1A nous montre bien à quel point ses dirigeants marchent sur une corde raide.

Bien que cette comédie vaille le coup d’œil, il y a certaines références typiquement anglaises qui peuvent échapper au téléspectateur étranger. Par contre, l’adaptation de la série par tous pays ayant une chaîne équivalente pourrait donner quelque chose d’intéressant, en supposant qu’elles fassent preuve de l’audacenécessaire. Et pour tous ceux qui croient que le concept de télévision d’État n’a plus sa place en 2014, il suffit de s’arrêter aux chiffres. La BBC par exemple a enregistré 11 millions de visionnements sur sa plateforme en ligne l’an dernier durant un seul jour férié… comme quoi le modèle anglais est loin d’être désuet.