Melanie De Biasio - No Deal
I’m So Lonesome I Could Cry, où l'hymne country de tous ceux qui ont le cafard pendu aux glandes lacrymales, qui se flétrissent faute d’épaule, de temps, de solutions. Aux oreilles alertes des laissés pour compte, la musique a toujours pu offrir un placebo, un dérivatif. Au pire pour calfeutrer en gamme mineure les peines d'une plainte trop grande, au mieux pour inviter à quelque chose de plus profond, colmaté, interrogatif.
Celle de Melanie De Biasio, sobre belge aux crêtes italiennes, est particulière : jazz, dépouillée, fondamentale, elle n’illustre pas, elle incarne. L’âme nébuleuse, lassée des beats et du vernis. En témoigne l’incipit I Feel You : beau préalable au questionnement rêche qui fait toute la sublime de ses compositions. Je me suis demandé parfois pourquoi le blues ou le jazz épurés ne touchaient que les oreilles patinées. Peut-être parce qu’il faut avant tout du grain à moudre. Peut-être parce que Sweet Darling Pain ne s’entend que comme ça, de nuit. Peut-être parce que Kerouac ou Jaccottet ne se comprennent qu’après Rimbaud ou Fitzgerald. Peut-être qu’après tant de notes en trop, tant d’enthousiasmes, seule Nina Simone fiance Joni Mitchell, et que Melanie De Biasio rectifie le tir d’un désespoir sûr de toucher les abords de la cible. Peut-être parce que No Deal semble une énième ascèse vue de loin.
Mais vue de près, sans aucun parasite, c’est une ode chaleureuse près de l’os. Il faut un peu de langueur et de disposition bien sûr, mais comme le titre éponyme, l’œuvre ne transige pas : No Deal with Love. Et de s’abandonner dans un ad libitum vaporeux. Pas de pathos ici, juste un lyrisme utile, confident, même pas faussement susurré. I’m gonna Leave You est doucement frondeur, comme la maturité qui n’a pas besoin d’hurler pour se faire entendre. La résignation, le dard sans venin, la sereine morgue envers tout ce qui pigne sans souffle. Et dans une suprême élégance, conclure par With All My Love, pause finale pleine d’espaces, d’ouvertures et d’espérance. Retour intime à la case départ : I Feel You. Et vue l'économie, la densité, la grâce, 33 minutes s'écoulent sans l'once d'un doute. Bien d'autres seront nécessaires pour saisir en temps voulu toute la poésie et l'exigence de ce bijou intemporel.
l Melanie de Biasio sera présente au festival Art Rock début juin. A suivre...