LAURENCE DEQUAY - MARIANNEGrand reporter au journal Marianne En savoir plus sur cet auteur
Les économistes ont beau multiplier les études sur la rémunération exorbitante des actionnaires, les patrons s'entêtent à faire fonctionner ce système néfaste.
C'est une devinette, telle que les aime Pierre Gattaz, le président du Medef. Qu'est-ce qui, en France, coûte indûment plus de 50 milliards d'euros par an aux entreprises, déséquilibre les caisses sociales et fiscales et prive le pays de centaines de milliers d'emplois ? Le coût du travail, comme s'entêtent à le clamer la Commission européenne, le FMI et le Medef ? Raté. Le sur
Pourtant, les économistes hétérodoxes, ceux du Centre lillois d'études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé) ou de l'Institut européen d'administration des affaires (Insead), à Fontainebleau, ont beau multiplier les études sérieuses quantifiant cette dérive* - dans le monde, les dividendes ont dépassé la barre symbolique des 1 000 milliards de dollars en 2013 ! -, impossible d'ouvrir ce débat décisif que réclament les syndicats, tout particulièrement la CGT.
«Le gouvernement qui a taxé plus fortement les dividendes ne s'y refuse pas, assure Benoît Hamon, le ministre de l'Economie sociale et solidaire, qui jugeait dès cet automne, dans Marianne, inacceptable que les marchés prélèvent un écot de plus en plus élevée sur les entreprises. Mais, lorsque je cherche à lancer ces discussions, notamment dans le cadre du pacte de responsabilité, mes interlocuteurs extérieurs tentent de m'engluer dans des débats comptables techniques.»
RAISONNEMENT FILANDREUX
Dernier épisode en date de ces esquives ? Alors que le ministre soulignait, dans une tribune publiée par les Echos, que la part de richesse rétrocédée par les entreprises tricolores à leurs actionnaires avait crû de 50 % entre 1999 et 2008, quand elle fondait de 10 % en Allemagne, Benoît Hamon s'est vu répondre par Pierre Gattaz qu'il était naturel que les dividendes s'envolent en période de crise. Parce que cela coûte moins cher aux entreprises d'émettre des actions que de s'endetter auprès des banques.«Le monde entier fonctionne comme ça. Les Chinois, les Indiens, les Coréens, les Allemands, les Anglais...» a même énuméré le président du Medef. Or, nombre d'experts contestent ce raisonnement filandreux.
«Les cadors du CAC 40 comme les entreprises de taille intermédiaire [ETI] n'ont aucun problème pour se financer à bas coût sur les marchés financiers, confie l'un d'eux. Seules les petites acquittent une dîme trop élevée au profit de leurs banquiers. Or, elles versent peu de dividendes !» En revanche, lorsqu'elles émettent massivement des actions sur des marchés instables, les multinationales et les ETI gaspillent une montagne d'argent pour soutenir leur cours de Bourse en rachetant leurs titres : plus de 6,6 milliards d'euros en 2013 en France pour le seul CAC 40, un montant en hausse de 44 % !
Il est donc grand temps, comme le propose Benoît Hamon, d'en finir avec cette idéologie néfaste de la création de valeur pour l'actionnaire, héritée du thatchérisme, pour discuter enfin du coût du capital et des investissements des entreprises !
* Maximising shareholder value : a new ideology for corporate governance, de William Lazonick et Mary O'Sullivan, University of Massachusetts-Insead.