Dans ce recueil, Prendre feu, écrit par Zéno Bianu et André Velter, et publié par Gallimard en 2013, j’ai choisi quelques extraits de la première partie Ce qui se veut, qui a le ton d’un manifeste.
Qui va là, sinon le meilleur de nous-mêmes ? Le soir s’allonge, les cloches bourdonnent au ralenti, les crotales ont des reflets cuivrés. Qui s’avance ainsi, sinon celui qui veut prendre feu ? Prendre feu sans un seul cri, sans même un murmure.
Il est temps, grand temps, le sable remonte dans les sabliers, grain après grain. Là-bas, dehors, il fait un tel bruit que l’on n’entend plus rêver les âmes des morts. Trop de casques, trop d’écrans, trop de carapaces. Où sont les grands déboussoleurs, les transperceurs d’ennui ? L’azur est peuplé d’une volée de flèches enflammées.
Voici le moment de sortir des rituels vides et de l’autosatisfaction vertueuse. Enfer ou paradis, cela se joue dans un espace de naissance infinie. Voici le moment de transformer nos démons en gardiens. Dans une justesse amoureuse de l’instant, sans relâche, nous pouvons tout remettre en jeu : nos mots, nos gestes, nos vies.
La marche ne peut être qu’ascendante. Avec l’insouciance revivifiée d’un passer outre qui, en vérité, exige de penser outre. (…)
Après avoir jeté le gant, nous avons repris la main. Et le défi d’aujourd’hui n’a plus à se soucier des défaites, des impasses, des impostures, des effets de mode qui n’ont jamais été les nôtres. Du siècle passé, il nous reste les marges singulières, les avancées foudroyantes et parfois suicidaires de quelques uns, face au laminage industriel des esprits et aux plus atroces commotions de l’histoire. Mais ces repères et ces alarmes, si rien ne peut les occulter, n’ont pas à trop baliser la route. Il est urgent de se défaire de tant d’oripeaux et d’idées, de tant de douceurs salvatrices accrochées au décor, de tant de mauvaises fortunes qui juraient d’avoir bon cœur.
Qui est là ? Qui n’est plus là ? Tout à coup, nous sortons du labyrinthe, nous changeons d’échelle, nous sommes traversés par le tempo fiévreux du duende, ce chant des origines qui résonne déjà au fin fond de l’avenir. L’art n’est rien s’il n’est pas cet appel du large. L’art n’est rien s’il cède un seul arpent de son cœur. L’art n’est rien s’il n’est pas le ferment d’une république de l’esprit. L’art n’est rien si nous oublions la raison pour laquelle Alice a suivi les entrelacs foisonnants du lapin blanc. L’art n’est rien s’il délaisse le fil bleu-rouge du Grand Jeu, entre fil d’Ariane et fil du rasoir.