Etre chaman n'a donc rien à voir avec nos modernes pourvoyeurs de stages chamaniques. C'est un destin douloureux contre lequel l'élu se rebelle d'abord, qui le voue à une vie marginale, errante (il est parfois à la limite de la folie) dont la communauté se méfie autant qu'elle en a besoin. Il est souvent épuisé symboliquement et physiquement par des heures de transes et de danse et où il " joue " réellement sa vie ou du moins sa santé psychique . Le chaman est un " passeur ", un médiateur reconnu par la communauté parce qu'il est lui-même un être à part " border line ".(mais le noaidi sâme ne se distingue pas par son costume à l'encontre du chaman sibérien) qui par dons et une initiation , longue et pénible au cours de laquelle il doit faire de nombreuses preuves de son pouvoir réel, est capable de voyages " extatiques "dans l'au-delà ou l'Ailleurs .Dans un cosmos à plusieurs niveaux et parce qu'il existerait, comme dit, une entité spirituelle qui peut sortir du corps, il serait capable de manipuler et maitriser certaines forces cosmiques aidé en cela par des esprits animaux auxiliaires ou en se métamorphosant lui-même en animal. Il se sert d'un tambour et d'autres instruments, et il connaît la musique, le chant, le rythme et le mouvement grâce auxquels il entre, lors d'une transe, dans un autre état de conscience. Pour cela, le noaidi doit battre du tambour et chanter ; pour soutenir son inspiration, il se peut que, comme ses collègues sibériens, il avale des psychotropes ; Le jeûne fait aussi partie de ses préparatifs. Le chaman appelle ses esprits auxiliaires en chantant et en s'accompagnant de roulements de tambour monotones.
" Venons-en maintenant au chamanisme, où la transe est comme dans le dhikr, conduite, puisque le chamane est le musiquant de sa propre entrée en transe (qu'il soit aidé dans son rôle par un assistant qui, le moment venu, le relaie, en particulier lorsqu'il perd conscience, ne change rien à la règle).
Les relations de la musique avec la transe s'organisent, ici encore, suivant un système particulier, mais les choses se présentent de façon plus complexe que précédemment. L'instrument de musique du chamane est chargé de significations symboliques en rapport avec son voyage, ou plus exactement avec le ou les mondes où il se rend pendant la transe. Si le tambour - quand tambour il y a car, rappelons-le, même en Asie centrale ce n'est pas toujours lui qui est en jeu - a un rôle dans le déclenchement de la transe, contrairement à ce qui a pu être dit ce n'est ni par suite de je ne sais quelle action neurophysiologique propre à cet instrument, nous en avons assez parlé, ni par le biais d'une monotonie " obsédante " qui n'existe, elle aussi, que dans l'imagination de certains auteurs. Musicalement, le tambour chamanique - ou tout autre instrument qui en tient lieu - a pour fonction essentielle de soutenir le chant, de marquer le rythme qui est le grand appui de la danse et de dramatiser l'action ou de la ponctuer. Bref, son rôle est celui qui est le sien dans n'importe quelle musique de théâtre, à ceci près, encore une fois, qu'il est chargé de signification symbolique et que celle-ci est à son tour chargée, sans aucun doute, d'un certain pouvoir émotionnel. Mais là encore nous sommes sur le plan psychologique et culturel. Quant au chant, il a plusieurs aspects différents, tantôt invocatoire lorsqu'il s'agit d'appeler les esprits auxiliaires, tantôt descriptif ou narratif lorsque le chamane raconte son voyage, mais sa caractéristique propre est d'être incantatoire.
..." Au fond de tous nos états mystiques ", écrit Mauss (1936), il y a des " techniques du corps ", des " moyens biologiques d'entrer en communication avec le Dieu ". Remplaçons, pour généraliser plus commodément, les mots " états mystiques " et " communication avec le Dieu " par " transe religieuse ", il est clair que pour les Bochiman d'Afrique du Sud comme pour les chamanes d'Asie centrale, pour les Chlustes de Russie, les Soufi du Proche-Orient ou les Shakers des États-Unis, la transe est très largement une affaire de technique du corps, dont le chant et la danse, conjugués, sont les deux principaux moyens. Mais ce serait i une erreur fondamentale que de réduire ces diverses formes de transe à diverses formes de techniques du corps, utilisant diverses combinaisons du chant et de la danse. La technique, n'opère que parce qu'elle est au service d'une croyance et parce que la transe constitue un modèle culturel intégré à une certaine représentation générale du monde. Il y a là une donnée intellectuelle qui est essentielle et qui sous-tend aussi bien la psychologie que la physiologie de la transe. C'est ce qui fait que l'entrée en transe semble toujours suspendue à une sorte de clause restrictive : si bien préparé qu'on y puisse être, physiquement et psychologiquement, encore faut-il qu'on y soit prêt intellectuellement et qu'on ait décidé (plus ou moins inconsciemment) de s'y abandonner " Gilbert Rouget La Musique Et La Transe. Tel Gallimard.
Le tambour- en sâme goavddis comportait des accessoires un marteau en forme de T, taillé en os de renne, ainsi qu'une breloque fixée à la peau du tambour, que l'on agitait pour la prédiction et que l'on nomme généralement en Laponie finlandaise arpa (" sort ").
le tambour sâme aurait donc été donc un véritable Microcosme symbolisant la conception d'ensemble du Macrocosme.
" Pendant le récit de Jensi, Jovva était resté étendu sur le plancher. Certes, ils se connaissaient depuis longtemps, depuis leur jeunesse. Ils s'étaient rencontrés chaque été, mais ils ne s'étaient jamais ouverts l'un à l'autre comme ce soir-là. Cela tenait sans doute à ce que Jensi comprenait que, bientôt, ils se quitteraient pour de bon. Il voulait confier à son ami d'été ce que toute sa vie il avait gardé secret. Jensi poursuivit :
- Récemment, il y a eu un bateau de pêche en péril et mon frère était à bord. Couché ici dans ma maison, j'ai entendu clairement ses appels de détresse.
Pendant que Jensi parlait ainsi, Jowa, qui le regardait, remarqua le tambour qu'il tenait entre ses mains. Ce tambour avait l'air vivant, il semblait vouloir s'envoler et quitter Jensi, et la sueur perlait au front du vieil homme. Jovva eut soudain peur de toutes ces puissances inconnues rassemblées autour de son ami. Jensi s'en aperçut et essaya d'apaiser Jovva en lui remettant le tambour. Il entendait ainsi l'initier au secret.
Quand il se réveilla dans l'après-midi, Jovva était encore en pensée chez Jensi, cet homme extraordinaire qui lui avait confié de tels secrets qu'il ne les avait jamais soupçonnés. Il ne se sentait pas encore la force d'en parler. Il voulait rester seul jusqu'au moment où il se déciderait à livrer les secrets de Jensi à ceux de la Sita (communauté). Il évita donc, pendant plusieurs jours, la compagnie des autres., un soir, Anta et Marie vinrent le trouver dans sa kota, bientôt rejoints par tous ceux de la sita. Ils voulaient avoir des nouvelles du village. Alors, Jovva raconta qu'il avait passé une nuit chez Jensi, le nojd du village. S'agissait-il vraiment d'un nojd ? demanda Anta. Avait-il bien accompli quelque chose d'extraordinaire ? Jowa répondit :
- Certainement ! Il n'est pas seul. Quand on le regarde de face, il est laid comme un pou. Mais, de dos, il a beaucoup d'allure. Tu ne l'as pas remarqué, Anta ? Anta sursauta et déclara : - Ce doit être comme tu le dis, bien que je n'y aie pas pensé.
Marie écoutait avec attention. Elle s'exclama :
- Vous avez donc un nojd vous aussi ? Mais c'est terrifiant. Il faut surtout n'en rien dire. J'avais entendu parler de ces gens-là, dans la sita où je suis née, mais je n'avais jamais habité si près de l'un d'eux.
Anta regarda calmement Marie et dit :
- Il n'y a pas à avoir peur d'un nojd. Il n'y a pas si longtemps le nojd était notre prêtre, le prêtre qui s'exprimait dans notre langue. Son art lui permettait de secourir les personnes en danger et de punir les voleurs et les filous.. Plongé dans une profonde méditation, Jovva bourra sa pipe avec lenteur et saisit dans le foyer un morceau de braise, puis il se ravisa et le reposa avec précaution. Il déclara.
Jadis le nojd était un homme qui inspirait la confiance et le respect, non seulement dans la sita mais aussi dans tout le pays. On allait le chercher avec un renne et une pulka par n'importe quel temps, à n'importe quel moment.
Anta écoutait dans le recueillement chaque parole prononcée par Jovva. Ainsi, pensait-il, le nojd doit être un homme très fort et très sage, pourvu d'une foi si profonde qu'elle lui suffit pour vivre et lui permet de secourir un grand nombre de malheureux. Anta demanda, si Jensi lui avait raconté comment l'art du nojd s'était manifesté au tout commencement. Jovva répondit
-
" Pendant de longues années, de nouveaux nojd furent contraints de rechercher le support le plus approprié pour graver leurs marques.
En tout cas, le nojd pouvait l'emporter dans son sac et entrer en communication avec les puissances quand il avaitjeune renne dut être utilisée sur le tambour à la façon d'un index qu'on promenait sur la peau. Plus tard, quand on commença à se servir du couteau, on tailla cet index dans des bois de renne ; il fut gravé et décoré. Il s'agissait pour le nojd de diriger l'index à sa guise. Quand l'index s'arrêtait sur le signe choisi, le nojd savait qu'il tenait en main le pouvoir d'agir, et il commençait alors à " jojker " : il invoquait bonheur, malheur, succès, échec, amour, mort. L'art du nojd était un art très difficile, expliqua Jowa. Le nojd avait conclu un pacte avec les puissances, les bonnes et les mauvaises ; il s'était engagé à ne jamais se servir d'un signe à mauvais escient, à ne jamais tenter d'infliger de souffrances à un innocent. S'il y contrevenait, les puissances mauvaises se retournaient contre lui et il mourait d'une mort très douloureuse.
Anta, qui avait suivi avec attention, demanda alors à Jowa :
- Et après ? Que sont devenus ces hommes qui étaient si étroitement liés aux forces spirituelles lapones ?
- Quand la nouvelle religion s'établit dans la vallée de Kaitum, le pasteur interdit à tous ceux qu'il rencontrait de croire au tambour. Il eut des paroles dures, essayant de faire peur à tous afin d'être obéi. Les faibles et les lâches embrassèrent la nouvelle religion et se prirent de haine pour l'ancienne, crachant leur tabac dans les yeux du nojd et menaçant de le pendre. Ils brisèrent, brûlèrent tous les tambours qui tombèrent entre leurs mains.....
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Certaines peintures sont de l'artiste finnois d'origine Sâme:KALERVO PALSA(1947/1987).On on rapproché son art de celui de Frieda KAHLO.
Merci à l'aimable correspondant qui vient de m'adresser cette video: