La Corée du Sud, 15ème économie mondiale (Source : Trésor), est le second importateur mondial de GNL (gaz naturel liquéfié) (49.7 milliards m3 en 2012, soit 15% des importations mondiales) derrière le Japon (118.8) (Source : BP). Bien que le pays soit dénué de ressources gazières, les entreprises sud-coréennes comptent parmi les acteurs incontournables sur le marché mondial du GNL. Devant ce constat, il est intéressant de se pencher sur les enjeux et perspectives de la stratégie de Séoul.
Entre Corée du Nord, Chine et Japon, le territoire étroit et montagneux de la Corée du Sud ne dispose que de très peu de ressources naturelles. En 1953, elle était l'un des pays les plus pauvres du monde, mais la politique volontariste affichée par Séoul à partir du coup d'État de 1961 la hisse rapidement au rang des grandes puissances mondiales. La Corée du Sud conserve pourtant le caractère spectaculaire d'une économie émergente, presque inébranlable devant les crises de 1997 et 2008 (+4% par an en moyenne, ralentie à +0.2% en 2009 mais qui remonte à +2% en 2012) (Source : Trésor). Une économie dynamique portée par les secteurs industriels et des nouvelles technologies, mais par conséquent fortement dépendante des approvisionnements étrangers. Car si la Corée du Sud ne dispose d'aucune énergie fossile, elle en est pourtant l'un des plus grands consommateurs mondiaux. Sa facture énergétique équivaut à 27% de ses importations (Source : Sénat), le pays étant le 9ème importateur mondial de pétrole. Notons par ailleurs que la Corée du Sud fait actuellement face à « une crise énergétique qui sera peut-être la plus grave », selon le ministre de l’Energie Yoon Sang-Jick (Source : Libération), suite à l’arrêt de deux de ses centrales à charbon. Six de ses vingt-trois réacteurs nucléaires étant déjà à l’arrêt, cette situation révèle la réelle vulnérabilité des réserves énergétiques sud-coréennes.
Le gaz naturel est la troisième source d’énergie consommée dans le monde, derrière le pétrole et le charbon. Les premiers producteurs mondiaux sont les Etats-Unis, la Russie, l’Iran, le Qatar et le Canada pour une production mondiale de 3363.9 milliards m3 en 2012 (Source : BP). Mais son acheminement par gazoduc implique de nombreuses contraintes à des États importateurs rendus dépendants par la nécessaire proximité géographique et la concentration des sources d'approvisionnement. La crise du gaz de 2009 en illustre les dangers, dans une Europe victime collatérale du conflit entre le russe Gazprom et l’Ukraine. Le GNL est l’état liquide du gaz naturel par un refroidissement à -160°. Le bassin Asiatique est le premier marché du GNL, qui concentre 71% de la demande mondiale (Source : GIIGNL). Cela s’explique par sa relative insularité, par la croissance économique soutenue des pays de la zone ainsi que par la proximité géographique de grandes régions productrices. L’explosion de la demande asiatique entraine une hausse des prix mondiaux, hausse exacerbée en Asie où les prix sont traditionnellement supérieurs. L’accroissement rapide et spectaculaire de la demande indienne et chinoise, l’arrêt des centrales nucléaires japonaises après la catastrophe de Fukushima conjugués à la hausse des besoins en électricité sont à l’origine de ces tensions. Les importations sud-coréennes, afin d’alimenter les industriels mais aussi le réseau électrique national représentent 15% des importations mondiales de GNL, majoritairement en provenance du Qatar (14.2 milliards m3 en 2012), d’Indonésie (10.3), d’Oman (5.7), de Malaisie (5.6) et de Russie (3)(Source : BP). La Corée du Sud possède quatre usines de regazéification, trois d’entre elles sont sous la gestion de la compagnie nationale sud-coréenne KOGAS et la dernière appartient à Posco. KOGAS a conclu en 2012 quatre nouveaux contrats long-terme avec Rasgas, Shell, Eni, et Sabine Pass ; et s’est également engagé dans cinq nouveaux contrats à court-terme (Source : GIIGNL).
Le positionnement économique de la Corée du Sud sur le marché du GNL relève de deux objectifs stratégiques: l'accroissement de sa puissance et la réduction de sa facture énergétique. Incontournable, Séoul concentre 85% du marché de la construction de méthaniers et domine ainsi le transport maritime de GNL, maillon névralgique sur la chaîne de valeur du GNL. Seuls une dizaine de chantiers disposent des capacités pour construire ces bâtiments extrêmement sophistiqués (Source : Total), dont le prix moyen avoisine les 205 millions USD (Source: BRS). Les acteurs dominants du marché mondial sont ainsi tous sud-coréens, avec en premier lieu les chaebols Samsung, Hyundai, Daewoo et Hanjin. Cette position permet notamment à la Corée du Sud d'être intégrée aux consortiums mis en place au début des projets gaziers, aux côtés des producteurs et importateurs. Les chaebols restent étroitement liés à l'État, et se révèlent alors comme l'arme de puissance de Séoul pour peser sur la scène internationale du GNL. Notons malgré tout que l'État est parfois considéré comme trop dépendant de ces conglomérats, l'outil de croissance économique risquerait alors de devenir une menace pour la puissance sud-coréenne (Source : Infoguerre). Face à l’essor du gaz naturel dans la consommation mondiale d’énergie, on peut facilement prévoir un accroissement de la construction neuve de méthaniers. Dès lors, la Chine et le Japon qui se partagent respectivement 9% et 7% du marché tenteront certainement une pénétration plus offensive. Les chantiers sud-coréens disposent de l’avantage concurrentiel nécessaire (acquis notamment grâce à un transfert de technologie offensif avec le chantier Français de Saint-Nazaire) pour miser sur une diversification de l’offre et maintenir leur position dominante.
On distingue le marché traditionnel du GNL et le marché spot (contrats à court-terme), alimenté entre autres par la recherche de flexibilité des grands acteurs mais sur lequel les prix sont plus élevés et les quantités disponibles restreintes. L’articulation entre ces deux marchés permet au GNL de devenir un « instrument de convergence » des prix du gaz au niveau régional et mondial (Source : SIA). La Corée du Sud et le Japon pourraient unir leurs forces afin de peser davantage sur le marché mondial. De plus, la proximité géographique impliquée par un gazoduc n'est plus inévitable, ce qui favorise la mise en compétition des acteurs. L’intégration horizontale est l’autre grande tactique utilisée dans le secteur afin de s’imposer parmi les acteurs influents, l’implication sur l’ensemble de la chaîne de valeur permettant de pérenniser sa position et de réduire ses coûts. Dans cette optique, la compagnie KOGAS participe à ce jour à vingt-six projets internationaux, dont cinq projets d’exploration et dix projets de production (Source : KOGAS). L’objectif pour le pays est donc de pérenniser ses approvisionnements de GNL tout en réduisant sa facture énergétique, mais surtout de s’imposer comme un acteur majeur sur le marché mondial. KOGAS affirme cette stratégie d’acquisition d’intégration horizontale en prenant part à sept projets de pipelines, ainsi qu’à des projets d’usines de regazéification et de retail.
Au-delà des enjeux économiques, la Corée du Sud compte sur le GNL pour une réduction des risques et de la dépendance énergétique, avec en premier lieu la diversification et la sécurité des approvisionnements. La flexibilité offerte par le GNL est toute relative, car les installations requises pour l’acheminement par méthaniers nécessitent de lourds investissements qui sont en général sécurisés par des contrats à long-terme portant sur de très gros volumes. Le GNL permet néanmoins de s’affranchir des limites géographiques et donc de diversifier et sécuriser davantage ses sources d’approvisionnement. Ce positionnement fait partie d’une stratégie plus globale de la Corée du Sud, qui mise sur une réduction de sa dépendance aux énergies fossiles et sur une diversification de son mix-énergétique. Séoul met en effet un point d’honneur à minimiser sa dépendance envers ses partenaires commerciaux, et ainsi éviter de revivre la crise de 1997. Il est intéressant de soulever que la Russie et la Corée du Sud ont signé un accord pour la construction d’un gazoduc traversant la Corée du Nord, un projet à 5 milliards de dollars. Mais face aux tensions entre les deux Corées il est difficile de prévoir comment Pyongyang fera face et quelles seront les éventuelles conséquences sur les prix du transit. La construction du gazoduc devrait débuter dès 2013, car malgré les risques liés à la sécurité de l’approvisionnement par gazoduc, il pourrait réduire de 30% la facture gazière de la Corée du Sud (Source : Commodesk), et constituerait un nouvel élément dans la stratégie de diversification des sources d’énergie du pays.
Conclusion
Séoul a bien compris que les liens déjà étroits entre énergie et puissance vont se resserrer face à la diminution des réserves mondiales. Faute de posséder ses propres ressources naturelles, l’Etat a décidé de s’imposer sur la scène internationale en devenant un des acteurs incontournables sur l’ensemble de la chaîne GNL, et maintient une position dominante sur le marché des méthaniers. Cette stratégie permet ainsi de soutenir le développement économique du pays en enrichissant ses compagnies nationales telles que KOGAS et ses chaegols comme Samsung. Le positionnement sud-coréen sur le marché du GNL répond par ailleurs à une stratégie de réduction des risques et de la dépendance énergétique, en misant sur la diversification des sources d’approvisionnement. Enfin, l’enjeu économique du GNL est aussi la réduction de la facture énergétique nationale et l’instrumentalisation du marché par la mise en concurrence des acteurs pour arriver à une stabilisation des prix.
Camille Martin
Références
- BP Statistical review of world energy, June 2013.
- Sénat, Rapport d’information n°388, Cornu, LeCam, Maurey, Nicoux Février 2012.
- The LNG industry in 2012, GIIGNL, www.giignl.org
- Libération, Grave crise énergétique en Corée du Sud, Août 2013.
- Commodesk via Boursorama, Le gazoduc trans-coréen inquiète Séoul, Février 2007.
- Total, Les méthaniers, maillon essentiel de la chaîne GNL, total.com
- Infoguerre, Les chaebols, l'État et la puissance coréenne, Déc 2011.
- Barry Rogliano Salles (BRS), Revue annuelle 2013, Chapitre 6 : Le marché du transport maritime de GNL (p60-65).
- Direction Générale du Trésor, Publications des services économiques, Corée du Sud : présentation générale de l’économie.
- SIA Partners, Energie et environnement, Impacts du développement du GNL sur les prix du gaz, 2006.