Titre original : Cheap Thrills
Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : E.L. Katz
Distribution : Pat Healy, Ethan Embry, Sara Paxton, David Koechner…
Genre : Drame/Comédie
Date de sortie : 23 avril 2014 (DTV)
Le Pitch :
Menacé d’expulsion, Craig, un jeune père de famille, vient en plus de perdre son boulot. N’osant pas rentrer chez lui, il décide de faire un crochet par le bar du coin, où il rencontre par hasard un vieil ami d’enfance. Alors qu’ils prennent des nouvelles l’un de l’autre, les deux amis sympathisent avec un couple. Un homme et sa jeune et séduisante épouse qui leur proposent de petits défis en échange d’importantes sommes d’argent. Au début relativement innocent, le jeu prend une tournure pour le moins sauvage. Un jeu qui pourrait bien sortir Craig de ses problèmes financiers…
La Critique :
On avait beau être prévenu, la baffe est quand même de taille. Elle claque méchamment et laisse une belle trace rouge, histoire de pas l’oublier de sitôt. De temps en temps déboule ainsi un film qui surprend. Qui prend à revers et qui tient bon sur la longueur. Cheap Thrills est de cette trempe !
Premier film d’E.L. Katz, Cheap Thrills s’appuie sur un scénario (un poil remanié par le réalisateur et un autre scénariste du nom de David Chirchirillo) de Trent Haaga, un transfuge de l’usine à délires « comicosupertrash » Trauma. Haaga qui a aussi écrit le bien glauque Deadgirl, dans lesquels des étudiants « profitaient » d’une zombies canon enchainée à une table dans un squat dégueulasse. Pas étonnant dans ces conditions-là que le spectacle offert par Cheap Thrills soit bien borderline.
Pour autant, si son pitch pouvait laisser craindre un énième film d’horreur bien crado, riche en amputations et autres séquences chocs, au final, il n’en est rien. Et par là, il faut comprendre que Cheap Thrills n’est pas complaisant dans sa violence. Oui, ça claque, mais non, ce n’est pas ultra glauque, ni plombant. E.L. Katz se refuse à tomber dans la boucherie à la Saw ou dans le cul super cru propre à certaines productions portées par une cruauté gratuite.
Car la violence dans Cheap Thrills n’est pas gratuite. Elle est payante. L’argent est au centre de tout. Deux types, dont un sérieusement aux abois, accomplissent des défis et se voient récompensés par de belles liasses de biftons. Au début, il s’agit de faire des trucs rigolos, comme parvenir à se faire gifler par une fille dans un bar en la provocant, puis ensuite ça dérape. Pas forcement dans la direction attendue (redoutée) mais quand même…
Le couple en question qui dilapide son fric dans l’espoir de pousser deux pauvres gus au plus près de leurs limites, désire passer une soirée inoubliable pour l’anniversaire de madame. Lors d’une tirade particulièrement bien vue, l’époux souligne la difficulté de trouver un cadeau adéquat à une femme qui a déjà tout. Et c’est là que ça fait vraiment mal. Bien plus que toutes les images gerbantes que les films d’horreur peuvent bien nous mettre en face des mirettes dans le seul but de nous dégouter. Ça fait mal, car le film renvoie directement à la lutte des classes. Au fossé qui sépare les privilégiés de ceux qui n’arrivent plus à payer le loyer. L’argent est au centre de tout et peut tout régler en un rien de temps. Un fossé que la crise économique creuse sans relâche et qui rythme Cheap Thrills. Que ce soit dans l’horreur de situations tangibles (que feriez-vous pour 25 000 dollars ?) ou dans la comédie, dont les ressorts très efficaces rebondissent à merveille sur la gravité croissante des défis proposés.
Avec sa construction narrative basée sur une succession de sortes de scénettes remarquablement imbriquées les uns aux autres, qui voient les deux participants se tirer la bourre au cours de mises à l’épreuve plus ou moins sadiques, Cheap Thrills trouve rapidement son rythme de croisière et ne se repose jamais sur ses lauriers. Toujours il cherche à surprendre. On rigole et BOUM, dans l’instant d’après on est sur le cul. Tout ça grâce à une écriture fine, incisive et tragiquement pertinente.
Il faut garder à l’esprit qu’il s’agit d’un premier film. Un long-métrage tourné dans un laps de temps très court, avec un budget très modeste. Des conditions qui ont permis aux acteurs et au réalisateur, de se frotter à leurs propres limites. C’est dans ce genre de situations qu’on sépare les hommes des petits garçons. E.L. Katz ne se démonte jamais. Il multiplie les plans inspirés, prend des risques, rue dans les brancards avec une fougue en somme toute rock and roll, lorgne du côté du drame âpre et hardcore à la Funny Games ou à la Lars von Trier, et fait preuve d’un savoir-faire qui fait de lui l’homme à suivre. Superbement abouti, Cheap Thrills jouit en outre d’un quatuor de comédiens absolument fantastiques. David Koechner, vu chez Judd Apatow (Présentateur Vedette), fait un maître de cérémonie troublant car à la fois sympathique et sadique, accompagné par une Sara Paxton, plus belle que jamais, elle aussi parfaitement mystérieuse en femme fatale libidineuse aux intentions troubles. Du côté des participants, on remarque Ethan Embry, éternel second couteau du cinéma américain, ici déchaîné et bien sûr Pat Healy. La vraie révélation de Cheap Thrills c’est lui.
Vu au premier plan dans quelques perles du cinéma indépendant, comme Compliance ou The Innkeepers et aperçu dans des blockbusters, dont Captain America 2, et Pearl Harbor, Pat Healy trouve ici un rôle en or, taillé pour sa carrure. Parfait dans les pompes d’un gars désespéré, dans un premier temps presque résigné puis beaucoup plus hargneux, Healy n’en fait jamais trop. Il trouve le ton juste et gère avec maestria le virage trash qui s’impose à son personnage quand celui-ci passe de « l’autre côté ». On peut s’identifier à ce gars sans problème et là est la grande force du talent de cet acteur en pleine ascension.
Beaucoup de réalisateurs débarquent en tentant de marquer les esprits. De temps en temps, on voit éclore un cinéaste avec la rage, mais rarement cette rage est canalisée. E.L. Katz a bel et bien la rage. Le truc, c’est que lui, reste concentré et modeste. Il garde le cap et ne franchit jamais la ligne jaune qui sépare les films coups de poings malins, des coups d’éclats foutraques. Il vit avec son époque, il est drôle, cruel, poignant et sait mettre les formes. Notamment lors de son final, avec un plan que l’on n’est pas prêt d’oublier. Outch !
@ Gilles Rolland