Jugement de l'agresseur des roms de République rendu le 12 mai 2014

Publié le 11 avril 2014 par Asse @ass69014555

Le 16 janvier 2014, Iuliu et sa femme Florentina ont été victimes d'une agression par un homme qui a projeté sur eux un produit qu'ils ont décrits, ainsi que deux témoins, comme corrosif. Les rapports de la police avec les roms étant le plus souvent répressifs, le couple a attendu le 27 janvier pour porter plainte.
Extrait du procès verbal de plainte

Monsieur B. et sa femme s’étaient installés avec leur matelas au 178 de la rue du Temple dans le 3ème arrondissement, plus précisément devant le magasin (...) qui dispose d’un haut-vent permettant de s’abriter contre la pluie ou la neige.

Alors que ceux-ci étaient couchés sur le matelas et sous la couverture, Madame B. a été alerté par la présence d’un homme qui tournait autour de leur couchage et exigeant leur départ.

Madame B. a alors réveillé son mari, atteint de cécité, pour l’informer de ce que l’homme versait tout autour et sur le matelas un produit qu’elle n’arrivait cependant pas à identifier. Madame B. a eu le temps de se lever du couchage mais Monsieur B. resté couché n’a pu éviter le contact avec le produit qui avait été versé et qui s’est écoulé sur ses pieds.

Voyant que le produit commençait à attaquer ses chaussettes, Monsieur B. les a immédiatement retirées et n’a donc pas été blessé physiquement. En revanche, le déversement réalisé sur le matelas ainsi que les couvertures les ont endommagés. C’est à ce moment là que les époux B. ont été assistés des deux membres de l’association (...) dont les déclarations coïncident avec les faits rapportés par Monsieur B.

Entre le moment de l'agression et celui de la plainte, le matelas et les couvertures sont passés à la poubelle...

Extrait des auditions des témoins

Ainsi, Monsieur L., entendu comme témoin le 5 février 2014 explique :

« j’ai constaté la présence d’un homme debout devant un dès des matelas où étaient allongés ces personnes. Cet homme tournait autour d’un matelas en particulier. Alors que nous étions à environ 50 mètres de ces sans-abris, ce même homme nous a croisé et j’ai constaté qu’il tenait sous l’un de ses bras une bouteille de couleur blanche en plastique (…) En arrivant devant eux j’ai constaté la présence d’un liquide autour du matelas, ce dernier ainsi que la couverture étaient « rongés », apparemment ce liquide était corrosif ». Monsieur L. précise qu’il ne pourrait pas reconnaître l’individu formellement mais un autre sans abri installé dans le quartier lui a indiqué que l’individu résiderait au (...) rue Béranger, rue contigüe de celle du Temple. Il ajoute « en tout cas le matelas et la couverture était comme brûlé, la couleur au niveau des dégradations était foncée ».

L’audition de Madame G. confirme les propos de Monsieur B. et de Monsieur L. :

« nous avons croisé un homme que j’avais préalablement vu devant les sans-domicile fixe. J’ai vu que cet homme avait une bouteille blanche sous le bras. (…) alors que nous étions à plus de 50 mètres d’eux, j’ai vu une femme se lever et dire dégage à cet homme. En arrivant près des sans domicile fixe, j’ai constaté immédiatement qu’il y avait eu un problème avec lui. En effet, autour du matelas il y avait un liquide transparent et sans odeur. Je précise que la couverture et le matelas étaient comme rongés surtout au pied du matelas, le contact avec la matière a donné une couleur noire aux dégradations. (…) j’ai constaté que la lanière de ce dernier (le sac) avait été touchée par ce liquide, quand j’ai voulu nettoyer la lanière en la frottant parterre, j’ai moi-même été irritée au niveau d’un de mes doigts de la main droite en touchant cette lanière. En fait, j’ai ressenti au bout de 15 secondes comme une brûlure, mon doigt est devenu blanc et les jours d’après ma peau est devenue plus sèche avec une sorte de croûte de couleur foncée ».

Le sac de la bénévole a été "observé" à l'oeil nu par la police sans qu'aucune analyse ne soit pratiquée dessus...
Suite aux renseignements obtenus mis en balance avec plusieurs mains courantes pour des "indésirables" effectuées par Monsieur P. qui demeure (...) rue Béranger, l’identification de l’individu en question a pu être faite et Monsieur P. ainsi été convoqué par les services de police le 6 février 2014. Il s'est présenté le 10 février 2014 et a été placé en garde à vue.

Extrait de la première audition de Monsieur P.

Monsieur P. tout en reconnaissant son geste déclare :

« j’ai constaté la présence de deux couples de personnes entrain de s’installer en bas de mon immeuble côté rue du Temple (…) comme je le fais d’habitude je les ai salués et j’ai demandé au second couple de penser à partir le lendemain. La dame présente dans ce couple m’a invectivé dans une langue que je ne comprends pas. (…) j’ai regagné mon domicile. Puis je suis redescendu quelque temps après. J’ai répandu un mélange d’eau de javel de savon noir pour éviter que d’autres couples ne s’installent à nouveau. J’ai répandu ce liquide devant et à droite du matelas ».

Monsieur P. nie toutefois que le liquide ait pu atteindre le matelas et partant les violences contrairement à ce qui est soutenu par Monsieur B. mais également les deux bénévoles de l’association (...).

Extrait de la confrontation entre les témoins et Monsieur P.

Les policiers enquêteurs ont alors diligenté une confrontation entre les deux bénévoles de l’association et Monsieur P. Les dénégations de ce dernier sont moins affirmées.

« je suis d’accord avec mes déclarations précédentes qu’il est possible qu’au moment où la dame se levait vivement pour m’invectiver me demandant de partir elle ait pu déplacer sa couverture et qu’à ce moment là celle-ci soit entrée en contact avec le liquide répandu par terre, par contre je ne comprends compte tenu de nos positions respectives comment le liquide aurait pu toucher le matelas, mais un transfert de couvertures est toujours envisageable ».

L'association Entraides-Citoyennes a imméditament décidé de confier la défense du couple à son avocat, Me Gilles Devers représenté lors du jugement le 7 avril 2014 par son confrère Mehdi Mahnane.

Ce dernier a plaidé pour une réparation de 5000 € en vertue du préjudice subit en vertue de la loi :

L’article 2 du Code de Procédure Pénale qui dispose que :

l’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction.

L’article 222-13  9° du Code pénal qui punit de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende le fait de commettre des violences avec préméditation ou avec guet apens.

Il n’est pas douteux, tant en regard du caractère impressionnant des menaces qui ont été proférées à son encontre que l’agression physique qu’il a subie que l’exposant a personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction. Il est par conséquent bien-fondé à se constituer partie civile dans le cadre de la présente procédure.

Et par ailleurs du Code Pénal qui incrimine les violences sans les définir et la jurisprudence est venue en préciser le régime.

L’acte de violence est nécessairement un acte positif et matériel. Le contact peut quant à lui être immédiat ou médiat. L’auteur peut tout à fait commettre des violences par l’usage d’un objet ou d’un moyen, en l’espèce ici, le liquide répandu sur Monsieur B.

Extraits de plaidoirie

Il convient de noter que rien ne permet de corroborer les déclarations de Monsieur P. quant à la composition du mélange jeté sur les époux B. Or, les clichés des lieux produits par l’exposant montrent de longue trainée noirâtre sur le sol correspondant avec les constatations et déclarations des deux bénévoles. Le Tribunal ne se laissera pas tromper.

Cet acte est nécessairement positif puisqu’il implique une action de la part de l’agent, savoir Monsieur P. ce qui ne peut être contesté et qui ne l’est d’ailleurs pas. Peu important que Monsieur P. n’ait pas voulu atteindre physiquement Monsieur B. et son épouse, la jurisprudence applique les textes réprimant les violences à des situations dans lesquelles il n’y a pas contact entre la victime et l’auteur, que ce soit personnellement ou par l’intermédiaire d’un objet.


La Chambre Criminelle juge de manière constante que les violences étaient réalisées, lorsque sans atteindre directement et matériellement la victime, l’agression commise provoque sur elle une émotion aussi forte que des coups et blessures (Cass. Crim., 18 février 1892, DH 1892, 1 p.550 ; Cass. Crim., 6 février 2002, n°01-82.645 ; Cass. Crim., 2 septembre 2005, n°04-87.046). Or, lorsque les bénévoles ont trouvé les époux B., ceux-ci étaient particulièrement paniqués. De plus, l’action de Monsieur P. était destinée à les impressionner pour les faire partir.


Monsieur P. conteste également avoir déversé le liquide volontairement et directement sur Monsieur B. de sorte qu’il est impossible que celui-ci ait été touché par le produit manifestement corrosif. Là encore ce moyen de défense est inopérant et les juridictions ont eu l’occasion de préciser qu’il importait peu que les conséquences des violences soient plus grave que ne l’avait envisagé son auteur et que le caractère volontaire concernait les violences elles-mêmes et non le résultat.

L’élément intentionnel résulte nécessairement de la positivité de l’acte commis par Monsieur P.

La circonstance de préméditation ressort clairement des auditions de Monsieur P. puisque il déclare qu’après avoir été invectivé une première fois par le couple, il est remonté à son domicile puis en est redescendu avec une bouteille contenant le mélange non identifié et qu’il prétend être de la javel et du savon noir sans, il faut le rappeler, qu’aucune constatation policière ne puisse confirmer cette composition qui s’accommode mal avec les résultat de ce déversement. Or, la préméditation est définie comme le dessein formé avant l’action de commettre un crime ou un délit déterminé en l’espèce le délit de violences.

La procureure a également requis trois mois de prison avec sursis et 1 500 euros d’amende. Le jugement sera rendu le 12 mai 2014.

Entre temps, plusieurs personnes nous ont signalé que l'agresseur - qui a fait plusieurs fois état de ses menaces envers les roms auprès de nos bénévoles - continuait de jeter des produits par une fenêtre de son appartement donnant sur la rue du temple.
Nous invitons tout ceux qui seraient témoins de tels actes à se manifester sans délais auprès du commissariat de police et/ou de notre association.

En assistant au procès de Laurent P., nous avons été témoins de ses mensonges ! En l'absence de plainte - que la police dit ne pouvoir enregistrer sans passage à l'acte - nous n'avons pu témoigner des menaces d'agression clairement exprimées de cet homme à l'encontre de plusieurs personnes roms sans-abri.
Nous avons reçu à quelques jours du procès un témoignage spontané sur notre page Facebook qui va dans le même sens...

Fabrice Tassel & pierre Benetti
Libération 07 04 2014

L’homme qui avait projeté un liquide «corrosif» sur des sans-abri au pied de son immeuble, à Paris, encourt trois mois de prison avec sursis. « Savez-vous pourquoi il y a autant de journalistes ? » interroge l’homme au costume gris, barbe courte et lunettes rondes.

« C’est pour le procès de Laurent P., jugé pour avoir agressé des Roms place de la République…»

«… Laurent P., enchanté », répond-il.

Il sourit mais affiche un visage pâle en observant le banc de la presse se remplir. Ce quadragénaire parisien semble mesurer qu’en marge du volet judiciaire qui l’amenait hier devant le tribunal correctionnel de Paris, il lui faudrait affronter la dimension publique de son geste : jugé pour « violence volontaire avec préméditation, n’ayant entraîné aucune incapacité de travail », pour avoir « projeté un liquide corrosif » sur un couple de Roms, il saura le 12 mai si les réquisitions du ministère public, qui a demandé une peine de trois mois de prison avec sursis, ont été suivies

Le 16 janvier, peu avant 22 heures, Laurent P. promène son chien aux alentours de la place de République. Depuis un an, les travaux de « piétonnisation » de cette zone agacent ce propriétaire, depuis dix ans, d’un appartement rue Béranger. Il estime qu’ils ont accentué la sédentarisation de sans-abri, le plus souvent des Roms, et en a compté un soir « jusqu’à 18 au pied de son immeuble ».

Ce 16 janvier, il aperçoit un nouveau couple sur un matelas voisin d’une famille qu’il croise le soir depuis plusieurs mois. « J’indique à ce couple, a raconté à la barre Laurent P., qu’il serait bien qu’ils ne soient pas là trop souvent pour ne pas avoir à nettoyer. La femme réagit vivement. Je remonte alors chez moi pour prendre un mélange de savoir noir et de javel, non nocif, que j’ai répandu à environ un mètre du matelas, en aucun cas sur eux. La femme a de nouveau réagi vivement, alors pour qu’il n’y ait pas d’incident, je suis rentré chez moi tout à fait normalement. »

Le ton calme, les mots précis achèvent presque d’habiller son récit d’une forme de banalité. Schizophrénie. Une autre version des faits est présentée par les parties civiles. Lors de l’enquête, Iuliu, le Rom agressé, a affirmé que le liquide projeté par Laurent P. avait rongé le matelas et les couvertures, et fait fondre une chaussette qu’il avait enlevée assez vite pour éviter des brûlures, un geste dont il n’a pas reparlé hier. [note du webmaster : SI !]

Les maraudeurs d’une association arrivés peu après les faits ont jeté le matelas et les couvertures, tout en confirmant aux enquêteurs que ces maigres biens du couple de Roms présentaient des traces de corrosion. Quant à la police, saisie une dizaine de jours après, elle n’a pu retrouver le liquide lors de la perquisition menée chez Laurent P. Me Mahmane, l’avocat des Roms, confère au dossier sa juste dimension : « Laurent P. n’a peut-être pas voulu blesser mes clients, mais il a voulu leur faire peur, les impressionner. Or, il n’appartient pas à des citoyens d’exclure d’une rue des personnes qui ont le droit de circuler librement dans notre pays ! »

« On peut juger moralement le caractère désagréable de cette méthode, mais s’agit-il judiciairement d’une agression ? » s’est ensuite interrogée l’avocate du prévenu. L’histoire de Laurent P. est aussi celle d’une schizophrénie politique. « J’ai touché un symbole très fort dont je n’ai pas mesuré l’importance, et j’en suis désolé, a-t-il lancé. Vouloir blesser ces personnes aurait été en totale contradiction avec mon éducation. Mais est-ce parce qu’on défend des valeurs humanistes, qu’on est sensible aux questions d’accueil et d’intégration, qu’on doit tout accepter, notamment de tels problèmes d’environnement ? » Allusion à la présence régulière, dit-il, d’excréments et d’urine « au bas de chez lui », ce bout de trottoir à l’évidence sacré.

« Social-démocrate ». Quelques semaines avant ce procès, Laurent P. avait confié à Libération (tout en se démenant ensuite pour suggérer qu’un article ne paraisse pas avant l’audience puis, hier, pour que son nom ne soit pas divulgué) qu’il n’avait que 10 ans lorsqu’il participait en 1983 avec ses parents, un couple de militants syndicaux, à sa première manifestation : la Marche des Beurs, qui donna naissance à SOS Racisme. Diplômé de Sciences-Po en 1994, encarté au PS trois ans plus tard, Laurent P. a ensuite passé dix ans dans la fonction publique, dont une période comme chargé de mission au ministère des Finances. « Mes mentors sont à l’Elysée et à Matignon », nous avait-il glissé, en se qualifiant de « social-démocrate investi ».

Il se définit « en fin de reconversion professionnelle », et cherche, après plusieurs masters à l’Ecole des ponts et chaussées et à Polytechnique, « un projet qui (l)’intéresse ». « Je ne dépends pas des prestations sociales, je vis sur mes réserves », a-t-il aussi tenu à préciser, hier, au tribunal. L’ancien militant socialiste est devenu très soucieux de la propreté et de la sécurité de sa rue. Ces deux dernières années, il a appelé quatre fois le commissariat du IIIe arrondissement au sujet des sans-abri ou d’un coursier roulant en sens interdit. Laurent P. n’est pas tranquille : « Il y a trois jours, des personnes m’ont poursuivi en criant "savon, savon ! " et en montrant le sol. J’ai appelé la police, mais faute d’interruption temporaire de travail, je n’ai pas pu porter de plainte. » Laurent P. ira-t-il, un jour, jusqu’à envisager de déménager ?