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Aperçu de la social démocratie

Publié le 11 avril 2014 par Blanchemanche

Michel Rocard disait dans les années 9O : le capitalisme a gagné , la seule ambition des sociaux démocrates d'aujourd'hui est de le moraliser . François Hollande dès 1984, dans un texte intitulé « pour être modernes soyons démocrates » il écrivait « la gauche n'est pas un projet économique mais un système de valeurs . Elle n'est pas une façon de produire mais une manière d'être »

Donc plus que jamais pour remettre en cause le capitalisme financier triomphant et remettre de l'ordre à gauche, pour plus de justice social et une réparttion des richesses rééquilibrée pour les travailleurs et les plus démunis, il est urgent de proposer une alternative de gauche à la dérive libérale du PS.


La social démocratie des origines se réclame du marxisme mais très rapidement , elle va tenter de trouver une voie originale vers le socialisme qui ferait l'économie d'une rupture radicale avec les institutions et le capitalisme . Après la première guerre mondiale les partis sociaux démocrates européens sont confrontés au défi de gouverner en alliance avec d'autres forces politiques libérales ou de droite et se trouvent dans l'incapacité de mettre en oeuvre leur programme maximum qui reste officiellement la socialisation des moyens de production et d'échange Le keynésianisme va un temps sauver la mise des partis sociaux démocrates qui vont tenter de concilier l'initiative privée avec la défense d'un service public plus ou moins puissant selon les pays et un Etat conçu comme régulateur .

La social démocratie a connu depuis 1945 et jusque dans les années 70 , là où elle était au pouvoir , particulièrement en Europe du nord quelques succès : faibles inégalités de revenus, protection sociale développée. En France aussi les années 80 ont connu un train d'avancées sociales non négligeables : retraite à 60 ans, CMU, 35 heures, abolition de la peine de mort, parité, protection des libertés , même si toutes ces mesures inscrites dans un contexte d'économie libérale de plus en plus agressive ont rapidement perdu de leur substance . A partir des années 80 la mondialisation , l'autonomisation des marchés financiers, l'accroissement de la compétition internationale ont radicalement modifié le contexte ,rendant caducs les compromis nationaux d'inspiration keynésienne . Dès lors les partis socialistes européens ont choisi d'accompagner le libéralisme économique , plutôt que de le combattre, espérant en contrer les effets les plus pervers , mais comme on va le voir maintenant , ils ont aussi très souvent contribué à démanteler les dernières protections sociales contre lesquelles butait encore l'ultra libéralisme économique , quand ils n'ont pas tout bonnement devancé la mise en place de politiques très régressives sur le plan social .

Rocard le disait dans les années 9O : le capitalisme a gagné , la seule ambition des sociaux démocrates d'aujourd'hui est de le moraliser , vaste programme! Le même Rocard ,dans un article paru il y a quelques mois dans le Monde , a insisté sur la nécessité absolue de moraliser le capitalisme sans toutefois jamais dire clairement quelles mesures concrètes pourraient rendre effective cette moralisation . ..

Entrons maintenant dans le détail du bilan de la social démocratie européenne qui selon les dires de Mélenchon, qui n'a pourtant pas rompu avec elle , est « un désastre social » : « la vérité , c'est que , depuis une dizaine d'années , les sociaux démocrates de toute l'Europe démantèlent méthodiquement l'Etat social qu'ils avaient contribué à bâtir en un siècle de compromis et de rapports de force ....Il est essentiel de faire un bilan des résultats de la ligne sociale démocrate ...il faut en finir avec l'obligation de réserve admirative et complexée que nous imposent les dévots de l'Europe du Nord ».

Quelques exemples concrets et parlants

-le démantèlement des services publics
L'exemple du rail anglais est assez significatif . La privatisation et l'organisation de la concurrence dans ce secteur ont été mises en place par les conservateurs mais la même politique s'est poursuivie sous le gouvernement Blair . Aujourd'hui la Grande Bretagne détient le record d'Europe d'annulation des trains, sans parler des accidents
à répétitions qui ont fait 42 morts et plus de 400 blessés graves entre 1997 et 2000. Le bilan financier est tout aussi lourd : les compagnies privées ont opéré une véritable ponction sur les usagers pour maximiser les profits et les tarifs ont flambé , un aller retour Londres/Manchester coûtait 292 E en 2006 , une gestion du type SNCF le donnerait à 68 euros environ selon une enquête. Le gestionnaire du réseau , Rail Track , a fait faillite en 2001 et a du être re nationalisé au prix fort et aujourd'hui les subventions de l'Etat au rail sont 5 fois plus élevées qu'avant l'ouverture à la concurrence et plus qu'en France (13 cm contre 11 au Km voyageur) avec un trafic deux fois moins important et un réseau à grande vitesse quasi inexistant . Le rail n'est pas l'unique exemple de démantèlement des services publics par Blair qui a privatisé le contrôle aérien, les prisons, le métro etc..réduit de 60°/° les bureaux de poste ; des milliers de lits d'hôpitaux ont été fermés en neuf ans avec comme résultat aujourd 'hui un total engorgement du système et l'inscription sur liste d'attente des hôpitaux de 1,5 millions britanniques avec des délais dépassant parfois un an .

En Suède l'électricité est ouverte à la concurrence depuis 1996 , la confusion dans le secteur est à son comble avec une centaine d'entreprises qui proposent 256 secteurs tarifaires différents et bien sur une explosion des tarifs avec des différences de 1 à 4

-La fiscalité
Le Danemark , souvent cité en exemple, entre 1993 et 2001 a baissé l'impôt sur les sociétés , puis l'impôt sur les revenus et finalement supprimé l'impôt sur la fortune .
En Angleterre les 20°/° des britanniques les plus riches versent en moyenne 34°/° de leurs revenus en impôts tandis que les 20°/° les plus pauvres y consacrent 42°/° . Un pour cent des plus fortunés possédaient en 1986 18°/° de la richesse nationale , cette part atteint 23°/° en 2004 tandis que la part des cinquante pour cent les plus pauvres est passée de 10 à 5°/° de la richesse du pays ; le new labor a donc pris aux pauvres pour donner aux riches ! En Allemagne la majorité CDU/SPD a voté récemment un plan de 30 milliards d'euros de cadeaux fiscaux aux entreprises et aux plus riches tandis que le taux d'imposition des bénéfices a été abaissé de 25 à 15°/° .
Le chômage
Le modèle danois de flex sécurité est tout en trompe l'oeil : des centaines de milliers de salariés ne figurent plus sur le marché du travail grâce au système des pré retraites ( 12 fois plus de pré retraités au Danemark qu'en France) , 10°/° des actifs sont considérés comme invalides , tout cela dégonflant artificiellement les statistiques du chômage qui ,si on réintégrait ces cohortes d'inactifs ,n'atteindrait pas 6°/° comme reconnu officiellement , mais 14°/° ! C'est la même imposture en GB : depuis 1996 la courbe des demandeurs d'emploi décroît à mesure que celle des salariés en longue maladie ou invalidité augmente , les régions qui concentrent le plus d'invalides sont celles où la désindustrialisation est la plus forte ; en 1981 600 000 britanniques percevaient une pension d'invalidité , ils sont 2,7 millions en 2006 ! Le phénomène le plus visible qui concourt à minimiser le taux de chômage est l'augmentation des travailleurs pauvres , précarisés à l'extrême . De plus , parmi les actifs , 25°/° des travailleurs britanniques effectuent des semaines de 48heures , et 20°/° plus de 60 heures , cumulant plusieurs petits emplois pour vivre juste au dessus du seuil de pauvreté .
-le traitement du problème des retraites
En Allemagne dès 2001 Schröder a réduit notablement la part des retraites par répartition au profit des retraites complémentaires privées par capitalisation ; depuis, la grande coalition ,dont le ministre des affaires sociales est social démocrate, a relevé l'âge de départ à la retraite à 67 ans en 2007 (mieux que Fillon en 2003) .
Blair de son côté a relevé l'âge de départ à 68 ans en 2006. Idem au Portugal où le social démocrate Socrates a fait voter le relèvement progressif de l'âge de la retraite à 66 ans tandis qu'en Espagne les incitations à travailler au delà de 65 ans se multiplient .

Comment expliquer ces renoncements ?

Je ne pense pas que la social démocratie était génétiquement programmée pour échouer à transformer la société mais il est indéniable que la plupart des sociaux démocrates se sont convertis ces dernières décennies au «réalisme » jusqu'à mériter l 'appellation de gauche de renoncement . Renoncement face à l'évolution du capitalisme contemporain et à la sphère financière qui soumet à ses normes toute l'activité des sociétés , et même sanctuarisation du marché mis hors de portée des décisions collectives et démocratiques ; cette mise hors d'atteinte du marché , c'était précisément ce qui caractérisait la substance du traité européen défendu par tous les partis sociaux démocrates et rejeté par les peuples en 2005 .

Face au nouvel âge du capitalisme la gauche social démocrate a non seulement renoncé à résister mais elle a même théorisé ce renoncement . Le déclencheur de cette conversion au réalisme est venu d'outre Atlantique , du parti démocrate américain, la nouvelle ligne démocrate se propageant ensuite dans tous les partis socialistes , non sans un certain retard pour le PS français . En 1990 la déclaration de la Nouvelle Orléans par le Democratic Leadership Council dont le président est Bill Clinton introduit la notion de troisième voie . Une réunion internationale en 1999 à Washington popularise l'idée de troisième voie parmi les dirigeants sociaux démocrates européens ; la même année paraît le manifeste Blair -Schröder : « Europe: la troisième voie, le nouveau centre » . Toute la gauche européenne afflue à un nouveau séminaire sur la gouvernance progressiste en novembre 1999 à Florence : on y retrouve Blair, Schröder, Clinton, Prodi, d'Aléma, et pour la première fois Jospin lui même . 

Ce nouveau courant ,qui bien souvent ne se donne plus la peine de se référer à l'ancienne social démocratie, peut plus justement être qualifié de « démocrate » ou de post gauche , Anthony Gidden le théoricien anglais de cette ligne ayant lui même publié en 1994 un livre intitulé « par delà la gauche et la droite » .Pour cette nouvelle « gauche » , la question sociale n'est plus centrale , elle insistera plutôt sur les valeurs et sur « la gestion de l'économie qui n'est ni de droite ni de gauche mais [elle est ] bonne ou mauvaise »comme le proclame Tony Blair , cette gestion relevant d'un « gouvernement des meilleurs » (Clinton). Pour ceux qu'on appellera désormais « démocrates » la question du partage des richesses produites ne relève pas d'un choix politique, la part de richesse que l'on reçoit est le résultat d'efforts personnels et de la bonne santé de l'économie ; la société n'est pas lisible à travers le rôle des classes sociales mais des individus .

 François Hollande a très tôt théorisé ce changement , dès 1984, dans un texte intitulé « pour être modernes soyons démocrates » il écrivait « la gauche n'est pas un projet économique mais un système de valeurs . Elle n'est pas une façon de produire mais une manière d'être » et dans le même texte « la conception dogmatique de la classe ouvrière et la notion d'appartenance des individus à des groupes solidaires doivent être abandonnées ». Bill Clinton lors de son mandat mettra en pratique des politiques fondées sur la nouvelle croyance que la pauvreté n'est pas un problème social mais relève de la responsabilité individuelle d'où une loi très coercitive proposée par le président Clinton au congrès à majorité républicaine en 1996 qui prévoit l'obligation pour un chômeur d'accepter n'importe quel travail sous peine de suspension de l'aide sociale et la fin automatique de celle ci au bout de deux ans quelle que soit la situation de la personne concernée. Inutile de préciser que la pauvreté n'a pas été endiguée par ce genre de mesures au contraire , on est passé de 31 millions de pauvres au USA en 2000 à 37 millions aujourd'hui . Politique similaire en Grande Bretagne où Blair dès son arrivée au pouvoir déclare : « les temps des droits automatiques à l'allocation sociale sont révolus... A partir d'aujourd'hui on n'aura plus le droit de rester chez soi sans rien faire tout en touchant des allocations ». Cette politique a conduit à l'explosion du nombre des travailleurs pauvres sans réduire en rien la pauvreté .

Le cas français ou l'effet retard
L'union de la gauche , déjà quelque peu défaite ,arrive au pouvoir en 81 sur une ligne authentiquement social démocrate et keynésienne , prolongeant pour quelques années une stratégie de coopération avec le parti communiste et s'appuyant sur des textes encore d'inspiration marxiste revus et corrigés tout au long du siècle .

En effet les déclarations de principe au PS se succèdent sans nécessairement s'annuler : en 1946 le parti socialiste se définit comme « un parti essentiellement révolutionnaire qui a pour but de réaliser la substitution au régime de la propriété capitaliste d'un régime où les richesses naturelles comme les moyens de production et d'échange deviendront la propriété de la collectivité ... », en 1969 les socialistes estiment encore « qu'il ne peut exister de démocratie réelle dans la société capitaliste » et 3 ans après au congrès d'Epinay on évoque la « socialisation progressive des moyens de production » tandis que le but final reste « non d'aménager un système mais de lui en substituer un autre ». Ce n'est qu'en 1990 que le PS pour la première fois se dit favorable à une société d'économie mixte reconnaissant les règles du marché tout en continuant d'affirmer qu'il « s'inspire essentiellement de l'enseignement du marxisme ».

 En réalité on observe un net décalage entre les faits , la pratique et les textes de référence , tandis qu'au sein même du PS le nouveau courant démocrate est déjà à l'oeuvre autour de personnalités telles François Hollande , Jean Pierre Mignard, Jean Yves la Drian , Jean Pierre Jouyet (passé récemment par le sarkozisme) et Ségolène Royal signant ensemble un texte intitulé « tourner la page » et qui est bien la version française de la troisième voie théorisée par Blair . Ce courant est donc déjà ancien , il a mis du temps à percer, il est en train de s'imposer aujourd'hui sans fard Adieu à la social démocratie, vive le social libéralisme

La campagne de Ségolène Royal a ouvertement annoncé les mutations en cours encore implicites : alliance au centre, accent mis sur les valeurs et sur la responsabilité individuelle , critique de l'assistanat , sans parler de l'antienne de la sécurité et de la répugnance avouée à défaire ce que la droite a mis en place : « Je ne déferai pas pour le plaisir ce qu'a fait la droite . J'essaierai de régler les problèmes avec un souci d'efficacité » confie -t-elle au Parisien dans une intervew de février 2006 (Clinton lui aussi avait refusé d'abroger l'essentiel des mesures fiscales de l'ère Reagan et Blair n'a pas touché non plus aux lois anti grèves de Thatcher ). Sa démocratie participative a consisté à ériger le café du commerce en cadre d'élaboration , ou plutôt de non élaboration, de la doctrine politique , favorisant les séquences émotion qui sont une autre façon de dissoudre la question politique dans le magma des situations particulières , chaque individu devenant un cas particulier où les solidarités de classe n'ont plus de pertinence .

Depuis l'échec électoral de Ségolène Royal , le parti est en pleine ébullition pour la guerre des places sur fond de révision enfin affichée des principes . Il ne s'agit plus de substituer un système à un autre comme cela figurait encore dans les textes précédents , mais selon la nouvelle déclaration de principe de réguler le système actuel grâce à l'intervention de la puissance publique , garante des bons investissements et de la redistribution ; l'article 8 affirme vouloir « réactualiser l'Etat social » sans se poser la question de la réalité de cet Etat social qui apparaît de plus en plus comme un mythe et en oubliant que les sociaux démocrates au pouvoir ont abandonné ce prétendu Etat social aux appétits de la révolution conservatrice et ultra libérale désormais victorieuse aux USA et dans la plupart des pays occidentaux .

L'enterrement de l' Etat social , était au coeur même du traité constitutionnel européen que la PS a soutenu et dont , au delà de la sanction populaire, il a favorisé l'adoption lors du vote de février dernier , et cela en dépit de l'assurance donnée pendant la campagne de défendre la voie référendaire .

Aujourd'hui les ténors socialistes rivalisent de succès de librairie vite écrits qui entérinent l'inflexion social libérale du parti français enfin au diapason de ses homologues européens . . Ainsi Manuel Valls exhorte les socialistes français à « prendre pour modèle » le parti démocrate américain , il magnifie son acceptation du monde tel qu'il est au nom d'un réalisme efficace qui substitue le dialogue à la confrontation, feignant de croire que tout se joue entre partenaires raisonnables et égaux . Concernant les mesures très concrètes prises par le gouvernement Sarkozy tel l'allongement de la durée de cotisation pour les retraites et la loi sur l'autonomie des universités , il n'envisage pas une seconde que la gauche au pouvoir revienne sur ces lois au nom toujours du réalisme et de la seule politique possible , à charge pour la gauche d'apporter quelques compensations . Il est si peu critique tout au long de son ouvrage envers la politique actuelle qu'on se demande pourquoi il reste dans l'opposition , peut être parce que, comme il le dit lui même , son appartenance est une affaire d'émotion : « quant à ce mot , socialisme, il réveille toujours en moi des trésors d'émotion » avoue-t-il ! 

Mais comme Valls est un pragmatique qui ne se laissera pas étouffer par la sensiblerie , il n'hésite pas à renoncer au mot en même temps qu'à la chose puisque selon lui le parti socialiste ne devrait plus se définir par ce vocable un brin désuet et en tout cas si peu conforme à la réalité du parti d'aujourd'hui ; sur ce point Valls a peut être raison : le parti socialiste n' a plus rien de socialiste

Delanoë ne dit pas autre chose lorsqu'il revendique « une doctrine de la liberté et de la justice dans une société imparfaite et non une doctrine de luttes de classes qui nous promet une société égalitaire et parfaite ...il faut maintenant choisir clairement Jaures contre Guesde... » A la question de Laurent Joffrin : vous n'avez donc aucune objection de principe à l'économie de marché ? Delanoë répond : « Non. Je suis hostile à la société de marché . Mais pour ce qui est de l'économie , le débat est derrière nous . » On a bien compris que l'opposition des socialistes sera désormais d'ordre sociétal et non social puisque le capitalisme est l'horizon indépassable : « Seule l'économie de marché crée des richesses nécessaires au progrès social ...C'est le cadre dans lequel nous évoluons. Il faut l'accepter comme un fait , tout en le réformant . » On pourrait multiplier les citations qui vont toutes dans le même sens .

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