On a beau être content de dérouiller l’ASNL deux fois par saison pour la plus grande gloire de la Lorraine, on est parfois obligé de se sentir solidaire de nos voisins de la banlieue sud . Pour les non-Lorrains qui nous liraient, la rivalité entre Metz et Nancy est au municipalisme ce que la rivalité entre le vide intégral et l’oeuvre de Christophe Maé est au rien. Le Messin ordinaire déteste encore plus le Nancéien que je déteste les choux de Bruxelles, et le Nancéien moyen pense que le Messin est une variété de Prussien mal assimilé. Pour les Lorrains qui nous lisent, pas la peine de brailler pour dire que c’est un cliché: ça s’appelle du storytelling. Et sérieusement, je connais des gens tellement chauvins que si la lapidation était légalisée à Metz, ils ne balanceraient que de la pierre de Jaumont. Alors attendez la fin de l’histoire pour vous plaindre.
Bref, on se sent parfois obligé d’être solidaire, disais-je. A 700 électeurs près, Metz serait passé aux mains d’une rombière qui promettait de poster un schmitt à chaque coin de rue, et l’histoire qui suit eut pu se produire chez nous. Nos amis nancéiens n’ont pas eu cette chance. Ils ont cru bon de placer à l’Hôtel de Ville un garçon fort antipathique du nom de Laurent Hénart. Comme à peu près tous les candidats de droite, il a placé la sécurité au centre de son projet. Les citoyens de Stan-city, sans doute séduits par l’audace de ce programme et par le slogan « un maire nouveau » après 872 ans de règne d’André Rossinot, passent donc à l’UDI.
Vient le printemps joli. Les terrasses se déploient sur la place Stan. Le soleil, après une année d’éruptions spectaculaires pour peu qu’on s’intéresse plus à l’astronomie qu’à la prochaine scène de cul de Game of Thrones, se décide à sortir de sa cachette. Le/la salarié(e) sent poindre le congé payé, et l’infortuné(e) lycéen(ne), après une douzaine d’années d’incarcération obligatoire et gratuite sait que la quille est proche. Cent jours avant le baccalauréat, il/elle s’adonne à une vieille et joyeuse tradition qu’on nomme le Père Cent. Cette immémoriale coutume, qui n’a pas peu fait pour ma brillante carrière dans l’alcoolisme, consiste à se déguiser et à racketter les bourgeois pour s’acheter à boire, ce qui vous en conviendrez, est nettement plus honorable que de s’user la santé 39 heures par semaine pour payer les traites d’une bagnole hideuse.
Donc c’est le Père Cent. La place Stanislas est le point de ralliement idéal pour des festivités à Nancy. (il y a aussi la Pépinière, mais c’est là que les membres du GUD font poser leurs boudins le bras tendu pour affirmer qu’ils préfèrent être fachos que pédés. Donc c’est franchement dégueulasse). Le maire de Nancy est un homme qui tient ses promesses: il se sent donc obligé de mobiliser des bataillons de la police nationale sur la place qui fait la fierté de la ville, elle est même répertoriée dans Lonely Planet dis donc. La fête bat son plein, les jeunes sont estimés à environ 700 têtes de pipes par les condés, la CGT n’a pas compté parce que la fête c’est bourgeois. Dans les 700, un gros quart ne serait inscrit à aucun bahut et se serait juste agglutiné au mouvement pour faire grimper les statistiques de l’insécurité. Parmi eux, qui sait, peut-être un djihadiste ou un rescapé de la secte du Temple Solaire qui prévoit de faire un barbecue géant avec toute la populace alentour.
Et là, c’est le drame. Un dizaine de joyeux drilles fomentent le projet de couronner la statue de Stanislas d’un plot de signalisation. La République vacille sur ses bases, ma bonne dame. Encore une fois, pour ceux qui l’ignorent, Stanislas était une vieille baderne déchue de son trône polonais qui a eu le bon goût de donner sa fille à un roi de France. En échange de quoi, on lui a refilé un marécage au coeur de la Lorraine. Il y bâtira un joli château à Lunéville, et la place qui porte son nom pour fayoter auprès de son gendre. Nancy a aussi donné à la France un prestigieux mathématicien, un président de la République, un pharmacien tordu qui a inventé la méthode Coué ou encore la délicieuse Simone Weber, mais non, les gens qui choisissent les symboles ont préféré un roitelet d’opérette pour représenter leur patelin. Et on ne met pas de chapeau à Stanislas, sinon c’est toute la Lorraine qui pleure parce qu’elle n’a que ça à foutre, cette sale chômeuse.
Donc, on ne grimpe pas sur la statue de Stan’, c’est dangereux et c’est blasphème. S’ensuit une bataille rangée avec projectiles pour les lycéen(ne)s et lacrymos pour les schmitts. Vous trouverez le détail des faits dans n’importe quel canard local. Enfin, juste la version de la préfecture, mais si quelqu’un a celle du camp opposé, j’aimerais bien la connaître.
Malheureusement, bien que peu éloigné de l’action, j’étais coincé dans un burlingue, sans quoi j’aurais bien aimé jeter des boutanches aux roussins avec ces braves gosses. Je me garderais bien d’essayer de déméler l’écheveau de responsabilités pour savoir qui a jeté la première salve, d’un petit con trop bourré ou d’un agent trop zélé (ou l’inverse). En tout cas, neuf ou onze personnes selon les sources sont allées en garde à vue, et c’est regrettable.
Mais le pire là-dedans, c’est Laurent Hénart. Pour bien montrer qu’il est un bourgmestre droit dans ses bottes, il a décidé de porter plainte pour réparer « le coût financier de ces opérations, le préjudice subi par la collectivité et les contribuables ». Toujours selon lui, ces péripéties « éclairent la justesse et la nécessité des engagements pris durant la campagne des municipales ». Et encore, pour la bonne bouche: «La vidéosurveillance, la lutte contre les addictions et la consommation d’alcool sur les espaces publics seront les piliers de mon mandat en matière de sécurité». Ce qui est très amusant, c’est qu’avant de présider aux destinées de la vice-capitale de Lorraine, Laurent Hénart a été secrétaire d’État chargé de l’Insertion professionnelle des jeunes dans le gouvernement Villepin et adjoint au maire chargé de la culture et de la jeunesse sous Rossinot.
J’ai hâte de voir ce qu’il fera quand de vrais criminels, comme ceux dont on parle quotidiennement dans l’Est Républicain, investiront Nancy (Cherche pas, ils y sont déjà. Mais ça fait moins de spectacle). En tout cas, camarades lycéen(ne)s de Nancy, même si je vous souhaite d’obtenir le précieux sésame et une fiesta du feu de Dieu pour célébrer ça, ne vous croyez pas sortis d’affaire. Laurent Hénart a beaucoup oeuvré pour rapprocher l’université de l’entreprise. Ce n’est donc que le début des emmerdes.