Les anniversaires se multiplient cette année : après Cocteau, après la Grande Guerre, c’est au tour du fondateur de la Cinémathèque de bénéficier d’une vastes série d’événements (exposition, projections, conférences, etc.). A l’occasion des cent ans de sa naissance, Henri Langlois est mis à l’honneur par l’institution qu’il a initiée et à laquelle il a donné sa réputation.
Au-delà du simple hommage, l’exposition « Le musée imaginaire d’Henri Langlois » promettait donc de (re)mettre en lumière le rôle majeur qu’a joué ce personnage attachant dans l’affirmation du cinéma au rang d’art. Le pari n’est malheureusement pas entièrement tenu.
© Eurozoom
L’exposition se compose de sept sections séparées par des cloisons de couleur, certaines recouvertes de coupures de journaux ou de photographies. Le contenu de l’exposition est donc assez dense, et les différents éléments présentés, ajoutés à la diversité des sections, permettent de brosser un portrait élargi de Langlois. La section biographique resitue Langlois en rappelant les grandes dates de son parcours, depuis sa naissance en Turquie jusqu’à l’« affaire » dont il fut la victime en 1968, en passant, bien entendu, par la création de la Cinémathèque française. Au-delà de ces seuls repères biographiques, l’exposition aborde des facettes moins connues du parcours de Langlois : les cinéastes qu’il a connus et défendus, bien sûr, mais aussi son goût pour les avant-gardes. Les archives présentées, très diversifiées (lettres, carnets de notes, listes de films, tableaux de Matisse, Picabia, Léger, extraits de films, photographies de Langlois en compagnie des plus grands noms du cinéma mondial, et jusqu’à son Oscar) replongent le visiteur dans la vie de ce fou de cinéma, et même elles émeuvent et amusent : la baignoire débordant de pellicules de films rappelle son célèbre caractère désorganisé.
Ce portrait élargi de Langlois a le (grand) mérite de faire connaître la diversité du travail de Langlois. Surtout, l’exposition insiste sur le caractère novateur et inédit de sa démarche en la remettant dans un contexte où, alors, ils sont peu à considérer le cinéma comme un art, et encore moins la possibilité pour lui d’entrer au musée. Le travail de Langlois n’a ainsi pas seulement consisté à archiver le cinéma, mais également à le hisser au rang d’art. Une véritable politique culturelle du cinéma, donc, qui lui a valu de nombreux problèmes et mérite d’être rappelée, tant elle n’allait alors pas de soi.
Mais malgré cette ambition documentaire, l’exposition ne tient pas toutes ses promesses. Impossible, d’abord, de ne pas remarquer les défauts de la scénographie : couloirs étroits dont les murs débordent d’informations qu’on découvre en faisant la queue, structure en entonnoir pour l’« affaire Langlois », pourtant un épisode majeur de sa vie et de celle de la Cinémathèque… On sait que les locaux actuels ne sont pas particulièrement propices aux expositions, mais la réussite de certaines (« Tati : deux temps, trois mouvements », « Pasolini-Roma ») nous faisait espérer la généralisation de l’effort de présentation.
En outre, malgré l’intelligence de la diversité de ses approches, la structure de l’exposition ne fait pas vraiment sens, passant un peu trop du coq à l’âne sans tentative de synthèse ou de transition : de l’hommage des artistes aux artistes défendus par Langlois, en passant par des repères biographiques pour finir avec des organigrammes de la Cinémathèque, cet enchaînement décousu pourrait passer pour un hommage à la désorganisation de Langlois, mais l’exposition se veut beaucoup trop structurée pour rendre sensible une telle démarche.
Démonstration d’amour en 68, par Chabrol et Godard
Surtout, le projet s’avère en définitive assez trompeur. Le titre de l’exposition (« Le musée imaginaire d’Henri Langlois ») et de l’une des sections (« L’architecture utopique du Musée du Cinéma ») nous promettaient de s’interroger, avec Langlois et Malraux, sur la notion même de musée et, plus encore, sur la possibilité d’un musée du cinéma. Pourtant annoncée dans le titre, la célèbre notion de « musée imaginaire », initiée par Malraux, est complètement occultée dans l’exposition ! Bien entendu, Malraux est présent, mais seulement en tant que ministre de la culture, dont il est rappelé la démarche paradoxale vis-à-vis de Langlois, l’écrivain ayant ouvert avec lui la Cinémathèque française pour mieux l’en priver quelques années plus tard lors de la fameuse « affaire ».
Il y avait de quoi faire avec une telle relation, mais l’exposition passe à côté, considérant peut-être que la notion de « musée imaginaire » est désormais trop bien connue pour nécessiter un paragraphe explicatif… Et si la section consacrée au « Musée du Cinéma » dont rêvait Langlois nous laisse un moment espérer une vraie interrogation sur ce qui peut constituer l’objet-à-montrer du cinéma, on est vite déçu par un simple aperçu factuel des expositions organisées par Langlois. Le célèbre logo créé par Vasarely est bien là, mais c’est comme si toute la réflexion qui a précédé l’élaboration du projet avait disparu. La similitude entre les problématiques d’un « Musée imaginaire » et d’un « Musée du Cinéma » était pourtant frappante, tant ces derniers supposent tous deux une interrogation sur l’objet à exposer. L’exposition ne se pose pas la question, on reste donc sur notre faim. On est d’autant plus frustré que le commissaire, Dominique Païni, est lui-même spécialiste de la question mais, semble-t-il, l’exposition n’est pas le lieu adéquat pour interroger la possibilité du musée…
Non seulement l’exposition risque de rater une grande partie de son public en refusant toute explicitation – à laquelle est substituée une franche tendance à l’extrapolation délirante, les organigrammes de Langlois se métamorphosant en « images fantastiques » dignes d’« un autre Xanadu » ! – mais elle déçoit aussi l’amoureux de Langlois qui aurait voulu aller plus loin et questionner la démarche même du fondateur de la Cinémathèque.
Histoire(s) du Cinéma, de J.-L. Godard
Bien sûr, l’exposition demeure très instructive, voire émouvante, et a le mérite de souligner le caractère inédit de la démarche de Langlois, mais le paradoxe est frappant : tendant à l’auto-hagiographie en célébrant le créateur du lieu qui l’accueille, l’exposition passe pourtant à côté de la grande question qu’a dû se poser Langlois : comment exposer le cinéma pour le constituer en mémoire ? Le fabuleux « musée imaginaire » du fondateur de la Cinémathèque (et du cinéphile), où Garrel et Marilyn rencontrent Charlot, Murnau et Léger, ne se donne peut-être à voir que dans une salle de cinéma… et dans les fameuses Histoire(s) du cinéma d’un compagnon de route de Langlois : un certain Jean-Luc Godard.
Alice Letoulat
La Cinémathèque française – musée du cinéma
51 rue de Bercy
75012 Paris
Exposition du 09 avril 2014 au 03 août 2014
Nombreuses projections, et notamment des classiques à (re)découvrir du 16 avril au 26 mai
Commissaire de l’exposition : Dominique Païni