Ca faisait longtemps qu’on n’avait pas eu de débat interne au Graoully, et chouette, en voici un beau sur un sujet que je suis loin d’affectionner. Le dernier du genre portait sur l’affiche d’un nanar dont j’ai déjà oublié le nom et qui volait à peu près à la même hauteur que la dernière vidéo de Rémi Gaillard.
Le dernier mot en était revenu à une rédactrice que je n’ai, elle, pas oubliée tant pour son talent que pour ses atours, et elle a aussi un avis sur le sujet qui nous intéresse, que vous pouvez trouver par ici. (pub gratuite pourvu que soient effacés ces horribles « s » dans le titre). Alors, m’sieurs- dames, qui est le pire salopard/crétin de l’électeur ou de l’abstentionniste?
J’ai souvent entendu pendant les municipales, dans la bouche de gens réputés de gauche mais dont la pensée politique s’élève au niveau de la fidélité de Mme Singer aux divers partis qu’elle a fréquentés, que les anarchistes ne votent pas, et que s’ils se présentent aux élections c’est qu’ils sont vraiment incohérents, ces enfoirés d’ennemis de la hiérarchie. Bien sûr, c’est une idée reçue. Proudhon a été plusieurs fois député, et dans une organisation anarchiste on passe pas mal de temps à voter. Sauf que, sauf que, on prend des décisions immédiates, les représentants s’il y en a sont élus avec un mandat impératif, et quiconque n’est pas jouasse peut se désassocier et aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte ou légale. Autre différence majeure: la démocratie, si c’est comme ça que vous voulez l’appeler, ne s’exerce pas seulement dans le but de choisir des représentants, mais aussi dans l’entreprise, dans les syndicats, et dans tous les domaines qui impliquent le partage d’une activité avec autrui. Dans les faits, les anarchistes sont des votants compulsifs. Il convient ainsi de ne pas confondre « votant » et « électeur ». L’électeur élit, le votant choisit, pas con le gars/la fille. La Suisse, de son petit nom Confédération Helvétique, ne s’y est pas trompée en appelant ses scrutins des votations, comme dans une vraie démocratie directe et fédérale, et pas bêtement participative.
Le terme de démocratie est d’ailleurs imprécis. Etymologiquement, démocratie ça veut dire « le pouvoir au peuple », ce qui fait déjà deux entités de trop: le pouvoir et le peuple. Liberté d’association serait plus juste, mais personne n’a daigné forger un terme héllénisant pour désigner l’expression d’une volonté et d’une liberté individuelle au sein d’un collectif. Démocratie « participative », ça fait un peu « t’inquiète biquette, on gère le truc et on te convoquera de temps en temps pour voir si t’as bien compris ce qu’on t’a dit à la télé ». Comparer démocratie directe et démocratie participative, c’est un peu comme assimiler décroissance et développement durable, ou musique et Yannick Noah. C’est dégradant.
De même, il faut distinguer l’abstention et le vote nul. Comme le dit Maude, le vote blanc (l’abstention) peut être utile pour atteindre un quorum de votants dans un référendum, ou une consultation sur une loi quelconque. Mais puisque nos braves gouvernants font bien ce qu’ils veulent une fois leur cul posé en haut du plus gros tas de bulletins de vote, je ne vois pas trop l’intérêt quand il s’agit de désigner un candidat. D’ailleurs, même le référendum, hein, t’as qu’à voir le dernier qui concernait l’adoption de la Constitution européenne (ou le traité de Lisbonne, j’ai oublié aussi), où c’est qu’ils nous l’ont coincé. En dernier ressort le vote blanc est une façon élégante de contempler l’offre politique et de marquer son dédain, un peu comme mon chat quand je me fends d’une boîte de pâté à dix balles qu’il reniflera à peine avant de s’en aller à petits pas, les oreilles dressées et la queue en étendard, ce petit ingrat de connard griffu.
Idem pour ceux qui ne votent pas mais qui aimeraient bien, comme le gnostique qui maudit Dieu de ne pas exister et idem pour ceux qui votent comme on entre en catéchisme pour un parti ou pour l’idée même de République.
Alors que le vote nul, c’est classe. A choisir parmi les catégories définies par le professeur Blequin, je me range sans hésiter dans celle des jemenfoutistes. Non par détestation de la République, c’est un système qui a fait preuve d’une remarquable stabilité, en tout cas tant que les affaires roulent. C’est peut-être le moins pire des systèmes, comme disait Churchill. Il n’empêche pas, de temps à autre, un fumier liberticide de prendre le pouvoir (pas mal de dictateurs du XXè siècle, dont un petit moustachu de l’autre côté du Rhin, ont été élus tout à fait démocratiquement; le plus dur c’est de leur faire rendre le pouvoir après), comme la démocratie directe n’empêche pas les Suisses de voter comme des cons parfois.
Mais franchement, les taux directeurs de la BCE, le taux de croissance, la profondeur du déficit public, le nombre de caméras de vidéosurveillance au mètre carré, le taux de chômage, d’auto-investissement des entreprises, la fusion de la Lorraine avec l’Alsace ou avec la Nouvelle-Calédonie ou n’importe quel patelin du monde, le rayonnement international de la France, l’importance des parings et a vigueur du petit commerce et tout le tremblement, je m’en tamponne, mais alors complètement; je veux dire par là que j’essaie de comprendre de quoi il retourne, mais je sais pertinnement que mon vote n’y changera rien. S’intéresser à la politique aujourd’hui, ça consiste à savoir qui du flic ou du comptable au pouvoir va te dépouiller d’une liberté publique, et comment tu vas faire pour essayer de la sauvegarder. Et pour tout dire, une bonne partie des électeurs s’en tamponne autant que moi, n’y entrave que couic, et vote pour leur gueule avant tout. Belle leçon de vivre-ensemble (encore qu’il suffit d’avoir un voisin pour savoir que le vivre-ensemble, c’est le nom civique de l’hypocrisie), mais rien ne leur interdit.
Le fait est là: le monde appartient aux comptables, aux gestionnaires. Platon et ta république de philosophes, tu l’as dans le baba. Aujourdhui, on vote pour des gens qui pensent en comptes 6 et 7, et qui ont depuis longtemps abandonné l’idée d’un projet commun. La sécurité est devenue la première des libertés. Le Premier Ministre est un gars qui prétend que sa mission est de permettre aux gens « de devenir ce qu’ils sont » comme dit Nietzsche, et qui en appelle en même temps à la responsabilité, ce qui prouve à quel point les dictionnaires de citations sont des fléaux de la pensée qui devraient être brûlés avec toute l’oeuvre d’Indochine (ça, c’est pour le plaisir). Donc clairement, j’en ai rien à foutre. Il n’y a rien de plus laid que d’avoir une fonction, alors imagine les gens qui ne vivent que pour avoir des fonctions. Comment veux-tu que j’imagine mon avenir et celui de mes contemporains avec ce type de personnes?
La plus grande partie des droits que l’on a conquis sont l’oeuvre de la lutte sociale et de la création, ce qui semble confirmer que le meilleur système serait une synthèse de l’individualisme et de la solidarité. On devrait passer plus de temps à exercer sa liberté qu’à la défendre.
Alors si je devais chercher un gouvernement de cons comme Platon, j’opterai pour une république d’artistes et d’intermittents du spectacle. On serait peut-être pas mieux gouvernés, mais au moins on ne s’ennuierait pas.