Au dessus de mon écran informatique, se trouvent trois photographies en noir et blanc, celles de mon enfant à l’âge d’un an et au milieu, celle de mon père et de son ami, le poète hongrois Gyula Obersowsky.
J’ai déjà parlé de lui dans une de mes notes, mais chaque jour, je les regarde, mes deux pères, et je vois dans le regard de Gyula tant d’amour et de respect pour mon père, son frère d’âme, que j’en suis touché aux larmes. Les amitiés hongroises sont à la vie, à la mort, rien à voir avec les fausses amitiés à la Française déclamées avec de bons sentiments littéraires alors que l’on ne le pense même pas, une amitié, cela se confirme dans les actes, pas dans les paroles, les paroles qui se perdent dans le vent et qui rassurent ceux qui les ont dites pour se donner de la prestance et un honneur qu’ils n’ont pas, qu’ils n’auront jamais.
Ces deux hommes quêtaient mon père et Gyula méprisaient l’argent et n’en n’avaient jamais, toujours les poches vides, ils avaient un crayon et un cahier d’écolier sur lequel ils prenaient des notes sur la vie, sur lequel, il écrivaient de magnifiques poèmes qu’ils se récitaient tout en les corrigeant ensemble pour les rendre parfaits. Ils se livraient à de merveilleux moments d’amitié fraternelle sans jalousie aucune, juste pour l’amour de la poésie et de la beauté du monde.
Ils s’asseyaient autour d’une table à boire le fameux vin du pays « le coup de taureau », de la « Palinka », l’alcool d’abricot fabriqué par l’Oncle Andrei, du café et des cigarettes françaises, des brunes, « des cigarettes d’hommes », ils discutaient avec György Faludy, un autre grand poète, ami des deux compères, les idées fusaient comme des étoiles filantes qu’il fallait saisir au vol, les crayons crissaient sur le papiers, les rires et les nuages de fumée meublaient les heures lorsqu’ils étaient ensemble, et puis, ils ne se voyaient plus pendant un moment, ils avaient besoin de solitude pour construire de nouvelles histoires, de nouveaux poèmes et alors, ils se donnaient à nouveau rendez-vous et mon père prenait l’Orient Express pour aller lire ses poèmes à ses amis à Budapest.
Gyula et lui avaient connu les privations et les prisons politiques en Hongrie pour avoir osé dire la vérité, pour avoir osé parler contre l’autorité communiste, mais comment faire autrement, c’était inscrit dans leur ADN, dans leur âme, leurs ancêtres s’étaient battus et avaient défendu la Hongrie contre les Ottomans durant des siècles, puis contre les Autrichiens, ces hongrois appartenaient à une race de guerriers fiers et solides, comment avec un sang pareil se taire et courber l’échine, mieux valait mourir que de vivre dans la honte et tous les deux ont payé un cher tribut pour la liberté, la prison, les tortures, l’exil, tout ce que les français ne connaissent pas, n’ont pas connu depuis la guerre et l’occupation, mais en Hongrie, cette occupation a duré 72 ans, malgré les tentatives de courageux poètes et d’hommes et de femmes épris des idées de la Révolution Française, un exemple pour le monde.
En 1999, la Hongrie était débarrassée de ses démons communistes, elle était libre, enfin le pays allait découvrir le bonheur de la Démocratie et mon père qui avait été considéré comme un traitre et un révolutionnaire pendant 50 ans, était à présent reconnu officiellement comme un héros de la révolution, il fut même invité par le gouvernement Hongrois qui lui remit une médaille pour service rendu à la patrie en 1956. Cette médaille qu’il jeta négligemment sur mon bureau en me disant :
- Tiens petit, c’est pour toi…
- Qu’est-ce que c’est ?
- Tu pourrais la mettre avec les médailles de ton grand-père.
- Mais tu l’as eue où ?
- C’est le gouvernement hongrois qui me l’a donnée, pendant 50 ans j’étais un salopard pour mon pays, mais aujourd’hui je suis un héros national, range ça, je ne veux pas voir ce truc, il y a top de sang dessus…
Il a donc fallu 50 ans, 50 ans de haine et d’insultes, 50 ans à ne pas pouvoir rentrer dans son pays, à ne pas pouvoir enterrer sa mère, ma soeur, 50 ans à ne pas pouvoir se fondre dans l’âme de sa famille, lui qui venait d’une lignée de princes et de rois bien plus ancienne que celle des monarchies européennes actuelles qui ont bâtit leur fortune sur le pillage des nations étrangères, mon père aristocrate pauvre, n’était en France, qu’un sale Hongrois, qu’un sale émigré, un étranger parmi tant d’autres et donc, peu digne de respect et pourtant, il était fier comme un seigneur et il l’a toujours été, même dans ses état de beuverie collégiale avec tout le monde et n’importe qui, même à rouler par terre sous la table comme un vulgaire ivrogne, il savait qui il était, et d’où il venait, on ne peut pas dire cela de tout le monde.
Depuis mai 2004, la Hongrie a rejoint la Communauté Européenne en tant que République Démocratique libre, après 72 ans de domination soviétique et de privation, la Hongrie, enfin, était libre, mais aujourd’hui en 2014, la Hongrie construit une fausse démocratie qui se rapproche de plus en plus du Nazisme avec les subventions européennes, Viktor Orban, le premier Ministre veut redonner à la Hongrie ses quartiers de noblesse, à l’heure ou elle était jadis l’un des états les plus puissants d’Europe et les plus respectés. Viktor Orban a donné la nationalité Hongroise aux Hongrois de Transylvanie pour obtenir des voix supplémentaires et pour motiver son électorat déjà disposé à reprendre à la Roumanie, cette région que le Traité de Trianon a donné aux Roumains, le 28 juin 1919.
Sa volonté nationaliste est telle, que l’on ne fait plus la différence entre un état dit socialiste et un état de type « National Socialiste », où les factions d’Extrême Droite, comme les SA ou les SS en leur temps, se pavanent sans honte de meeting en meeting, d’actions punitives contre les Rom, les « Juifs » et oui, que faire contre tous ces « juifs responsables de la crise », les parfaits boucs émissaires pour une nation qui comptait avant la guerre 39/45, plus d’un million de juifs à Budapest au point de la surnommer « Judapest » car la Hongrie de tous temps, a été une terre d’accueil pour les persécutés du monde et pour les juifs d’Europe Centrale.
Mais aujourd’hui, c’est le populisme qui prime, la Hongrie aux Hongrois de pure souche, certains groupes extrémistes ont même établi une liste des juifs de Hongrie, pourquoi faire ? Pour les exterminer en tant et en heure, comme les nazis l’ont fait avant eux ? Pourtant, l’Amiral Horthy avait refusé à Hitler la possibilité d’utiliser les voies de chemin de fer pour véhiculer les Juifs déportés vers les camps de concentration, un certain temps seulement.
Mais que deviens-tu Hongrie de mon père, Hongrie de mes ancêtres, pays de culture et de connaissance, de musique et d’art, où sont tes valeurs humaines, qu’as-tu fait de tes valeurs d’accueil ? Veux-tu nous rejouer la grande scène du totalitarisme ? N’as tu pas encore assez souffert des extrémismes ?
Or, ce qui touche la Hongrie à présent, touche la France de la même façon, l’Angleterre, les pays baltes, l’Allemagne, l’Autriche, toute l’Europe est touchée par ces relents de haine nationaliste et les démocraties se retrouvent victimes d’un système perverti par les politiques de tous bords pour autoriser les excès des néo-nazis qui se prennent pour de faux démocrates avant d’agir lâchement une fois que le pouvoir est dans leurs mains.
Quand je pense que mon père, Gyula, Faludy et des milliers d’autres se sont battus pour la démocratie, ils ont souffert dans leur chair, dans leur âme pour que nous, frères humains, nous puissions vivre libre et aujourd’hui, cette liberté doit être à nouveau muselée ? Tous ces sacrifices, tous ces sacrifiés ont ils été vains ? N’avons nous rien appris ? Sommes nous donc incapables d’en tirer les leçons ?
Il y a deux jours, le nouveau Maire de Fréjus vient de refuser le local attribué précédemment à la Ligue des Droits de l’Homme, voilà comment on muselle les droits fondamentaux des démocrates, en les faisant taire, en les empêchant de s’exprimer, de pratiquer ; c’est exactement ce qu’ont fait les nazis sous Hitler, les médecins juifs ne pouvaient plus exercer, les enseignants, les artisans, on leur retirait leur moyen d’expression dans la vie publique, exactement comme à Fréjus aujourd’hui, en France, dans une démocratie ? Et personne ne bouge ?
Et comment est-il arrivé à gagner son siège de maire ce représentant FN ?
À cause de deux listes UMP qui ne voulaient pas s’entendre entres elles, bravo, quelle preuve d’intelligence, alors que la liste PS s’était, elle, retirée pour les laisser agir avec intelligence, mais l’histoire à parlé, l’intelligence dans ces deux listes était absente, la preuve, le FN est passé.
Le FN ou l’opportunisme politique, étrangement l’UMP n’a pas souhaité s’exprimer sur cette triste réalité, que ce parti ne nous parle plus de démocratie, car elle est aujourd’hui en danger en France et en Europe.
Jadis nous avions peur des Russes qui étaient en RDA, en Hongrie, en Tchécoslovaquie… Mais à présent, c’est du « National Socialisme » qui adopte de nouvelles identités dont nous devrions avoir peur, car, il est dans nos murs, à l’intérieur de nos frontières, c’est un cancer qui s’est installé et qui s’étend comme une pieuvre malfaisante au cœur même de nos institutions.
Voilà à quoi me font penser mes deux pères défunts aujourd’hui…
Nous vivons une époque formidiable…