Coïncidence, au moment même où, sur le conseil de l'auteur de thrillers Joe Konrath, je suis en train de lire The Gift of Fear, de Gavin de Becker, ma femme se met en arrêt maladie (15 jours) pour overdose de stress au boulot. Bien qu'un surcroît de stress ne signifie pas dans son cas qu'il y ait harcèlement au sens strict du terme, cela m'a amené à me poser des questions à ce sujet. On sait que dans nos sociétés, il est beaucoup plus difficile de changer de boulot, ce qui génère une souffrance énorme au travail. Les Trente Glorieuses sont loin. On dit qu'une personne sur trois en activité sera victime de harcèlement au travail, c'est énorme. Le fait de ne pas avoir de "p'tit chef" est d'ailleurs une grande motivation pour moi en tant qu'auteur. Or, le livre de Gavin de Becker parle non seulement de psychopathes et autres tueurs en série, mais aussi de harcèlement au travail. Et certains rapprochements peuvent clairement être établis entre psychopathes et harceleurs.
Chaque homme porte en lui-même la forme entière de l'humaine condition, disait Montaigne. L'un des points importants qu'il faut retenir à propos de The Gift of Fear est que Gavin de Becker met en garde contre l'étiquetage. Ainsi, en nommant certains "psychopathes", on met l'étiquette "monstre" et "anormalité" sur ces personnages, alors que l'on devrait pourtant rechercher ce que nous avons en commun avec eux, pour mieux les connaître et les contrer.
Une phrase en particulier m'a mis en éveil. La traduction est de ma pomme, n'hésitez donc pas à vous faire votre propre opinion en lisant le livre dans sa version originale.
Certaines personnes fonctionnent sans écouter leur conscience; elles ne se soucient pas du bien-être des autres, point. Dans les salles de conférence en entreprise nous pourrions appeler ceci de la négligence; dans la rue nous nommons cela criminalité. La faculté d'agir au mépris de sa conscience ou de son empathie est l'une des caractéristiques que l'on attribue aux psychopathes. Le livre clairvoyant de Robert Hare, Without Conscience, identifie plusieurs autres caractéristiques. Ces personnes sont:
- désinvoltes et superficielles
- égocentrique et grandiloquentes
- dépourvues de remords (scrupules) ou de culpabilité
- fourbes et manipulatrices
- impulsives
- en quête d'excitation
- dépourvues de sens de la responsabilité
- émotionnellement creuses
Est-ce que certaines personnes dans votre entourage au travail répondent à certaines de ces caractéristiques? Je pense que le fait de s'en rendre compte peut remettre les choses en perspective, et vous aider à déculpabiliser, tant il est vrai que ce sont les personnes qui mettent le plus de coeur à l'ouvrage qui sont les plus à même de se retrouver en arrêt maladie pour cause de stress, sans même parler de harcèlement caractérisé.
Là où il existe des métiers qui privilégient en principe l'empathie, ou qui devraient en tout cas le faire (par exemple assistante sociale), certains autres métiers, et je pense à "trader", privilégient le manque d'empathie. Le problème, c'est que si ces personnes sont amenées à occuper d'autres postes, cela nuit gravement au "vivre ensemble".
Peut-on corriger les défauts d'un psychopathe? Je n'en suis pas sûr du tout quand ce sont des non-spécialistes du sujet qui l'ont en face d'eux. Gavin de Becker cite à un moment dans son livre l'exemple d'une femme enlevée dans la voiture de sport de son petit ami par un inconnu, et qui à force de lui parler d'elle, a réussi à susciter en quelque sorte son empathie, et à faire en sorte qu'il ne la tue pas. Mais il s'agissait d'une situation ponctuelle, et non de contacts quotidiens au travail.
Néanmoins, je suis convaincu que le fait d'identifier très clairement le problème peut déjà permettre de contrer une partie de ses effets dévastateurs.