A propos de l'économie africaine, il y a beaucoup de points de vue différents. Il y en a au moins quatre. Le premier parle de l’ « Afrique émergente », peu importe ce que cela peut signifier. Le second point de vue reconnaît que l'Afrique enregistre une croissance de plus en plus rapide, mais il s’agit d’un faux décollage. Le troisième point de vue dit que l'Afrique est en croissance, mais de quelle Afrique parle-t-on ? En dépit de la croissance, il y a peu d’emplois créés, et peu d’opportunités. Bref, nous sommes loin de la transformation. Le quatrième et dernier point de vue est que l'Afrique n'est pas un seul pays : ce sont 54 économies avec des dotations différentes les unes des autres.
Ces versions reflètent toutes une certaine réalité. Une chose est certaine cependant, autour de laquelle il existe un large consensus : les gens sont d'accord sur l'impératif que l'Afrique monte dans les chaînes de valeur régionales et mondiales, et en fournisse tous les services qui leur sont associés. À titre d’illustrations, prenons le cas des avions Airbus. Il est confectionné dans de nombreux pays. Surtout, regardez comment les Européens ont fait de l'intégration économique une réalité, avec chaque pays ayant sa part du gâteau. Ainsi, l'Airbus est fabriqué dans plus de 12 pays européens. C'est une expérience qui doit inspirer les dirigeants africains quand ils parlent de l'intégration économique.
Les choses vont plus vite quand chacun y trouve son intérêt. Peut-être que nous pouvons commencer avec ce produit omniprésent, le minibus. Regardez d'où il vient maintenant . Bien sûr, je peux dire la même chose pour le cacao et la poudre de café. Ce sont des produits qui vous sont familiers. Nous savons ce que l'Afrique doit faire pour relever le défi du déficit énergétique affligeant, du développement des compétences, de construction d’États engagés dans le développement plutôt que dans la recherche de rente. Ce sont des ingrédients qui constituent le cœur de la compétitivité.
Parlons des activités de la Banque (BAD) dans le secteur privé. Au cours des dernières années, la Banque a renforcé et intensifié ses financements au secteur privé de l'Afrique qui a décuplé. Sur le chemin, nous avons appris des leçons, à la fois bonnes et mauvaises. Permettez-moi de vous donner quelques exemples.
La première est que le bouclage des projets et le traitement des dossiers prennent du temps : il faut des mois, et parfois plus d'un an. En conséquence, il y a souvent un décalage entre les montants promis et ceux décaissés. Sur un projet agroalimentaire mon équipe travaille sur l'Afrique de l'Est, un projet avec un impact potentiel exceptionnel de développement, mais nous sommes confrontés à des litiges fonciers, et à la capacité limitée du gouvernement à les résoudre rapidement. Au Mali, nous avons été impliqués dans le projet de transformation de sucre Markalla, d'une valeur d'un milliard de dollars. Le montage de ce projet n'a pas été facile, mais il a été presque fini, quand le chaos a éclaté au Mali, et les sponsors se sont retirés. J'espère que, lorsque les problèmes de sécurité seront résolus, nous saurons comment redémarrer ce projet.
D'autre part, nous avons de très bonnes expériences, en particulier dans le domaine des infrastructures. Les partenariats public-privé (PPP), comme nous le savons tous, ne sont pas faciles à démarrer. Nous l'avons vu à l'aéroport de Dakar et l'autoroute à péage de Dakar : deux projets sur lesquels la BAD est à la tête. Nous avons montré que les PPP - quoique complexes - ne sont pas un jeu à somme nulle. Au contraire, ils permettent de canaliser les synergies entre le secteur privé et le secteur public.
La deuxième leçon que nous avons apprise, c'est la façon de fournir des instruments robustes de gestion des risques qui peuvent débloquer des projets complexes. Ce fut le cas au Kenya, lors du projet d'alimentation du lac Turkana. Le Kenya, quatrième ou cinquième plus grande économie de l'Afrique sub-saharienne, est en croissance rapide. Mais il faut plus d'énergie. Il dispose d'un secteur de l'énergie relativement bien réglementé, capable d’attirer des producteurs d'électricité privés pour investir dans le plus grand parc éolien en Afrique. La fourniture d'une garantie partielle de risque par la BAD est ce qui rassure à la fois les bailleurs de fonds et la société nationale d'électricité. Nous faisons la même chose au Gabon et au Nigeria, où nous avons fourni une garantie de plusieurs millions de dollars pour soutenir la réforme du secteur de l'énergie.
À l'avenir, je vois quatre domaines d’intervention prioritaires. Tout d'abord, l'approfondissement des marchés de capitaux pour mobiliser l’épargne propre de l'Afrique. Deuxièmement, l’intégration de l'Afrique dans les chaînes de valeur mondiales, en particulier dans le domaine des ressources naturelles. Troisièmement, la promotion de l'inclusion financière en soutenant les femmes et les petites entreprises. Quatrièmement, l’innovation financière afin de financer nos besoins en infrastructures. En effet, des unités spécialisées ont été mises en place à cet effet. Cela inclut l’« Africa50 », un fonds dédié aux infrastructures que nous sommes en train de monter.
Permettez-moi de conclure en vous ramenant à l'image que je vous ai montrée au début. Nous devons trouver une façon d’amener l'Afrique à l'étape suivante : de « désespérée », puis à « émergente », à « prometteuse ». Ensemble, nous allons porter l'Afrique au niveau supérieur.
Dr. Donald Kaberuka, Président de la Banque africaine de développement. Article initialement publié en anglais par African Executive – Traduction réalisée par Libre Afrique - Le 9 avril 2014