L'article a depuis été retiré mais vous pouvez le retrouver en cache ici et lire l'article de René Greusard sur le sujet.
Plusieurs points en préalable à cette analyse.
Qu'est ce que la culture du viol ? J'ai essayé d'en faire une définition courte : "culture dans laquelle les idées, les média, les coutumes, les pratiques sociales, les institutions normalisent, naturalisent et érotisent la violence sexuelle contre les femmes. La culture du viol blâme les victimes et déculpabilise les coupables. L'objectification sexuelle des femmes fait partie de la culture du viol. La culture du viol véhicule des mythes autour du viol (mythe de l'inconnu qui viole la nuit des jeunes femmes par exemple..), apprend aux femmes à avoir peur de ces mythes sans pour autant leur donner les moyens de se défendre (inhibition de l'agressivité féminine). Les mythes autour du viol visent à maintenir les femmes dans la peur." Elle est forcément parcellaire mais on m'avait demandé de résumer l'idée en quelques phrases courtes.
Il ne s 'agit pas de dire que quelqu'un qui a écouté, lu, regardé, une production culturelle ou journalistique, ou un-e ami-e tenant des propos de l'ordre de la culture du viol, va immédiatement se mettre à violer des femmes. Il s'agit simplement de comprendre que nous baignons tous et toutes dans une culture où des idées fausses, des préjugés, des mythes sont véhiculés autour du viol, que nous les véhiculons à notre tour. Tout ceci explique donc pourquoi aussi peu de victimes portent plainte, pourquoi on reporte la faute sur les victimes au lieu des coupables.
Il peut y avoir culture du viol sans viol ; une mère qui dirait à sa fille "ne sors pas habillée ainsi tu vas avoir des problèmes" alimente la culture du viol pourtant - dieu merci - sa fille ne va pas forcément être violée.
Il peut y avoir culture du viol et viol. Un violeur qui dirait que sa victime l'a bien cherché en s'habillant ainsi tient des propos de l'ordre de la culture du viol.
Donc que dit cet article.
On apprend qu'un homme a agressé sexuellement 3 mineures en quelques jours.
Dés le chapeau le ton est donné "un homme qui ne supportait plus l’absence de rapports imposée par sa femme" puis même chanson au premier paragraphe "Accaparée par son enfant, il arrive que la mère délaisse le père."
Il n'est pas choquant pour moi de faire entendre ce que l'accusé a à dire ; ouvrir un article en disant "l'accusé a dit qui" me semble logique. C'st rapporter des faits lors d'un procès pour aussi dégueulasses qu'ils peuvent paraître ils sont utiles à connaître. En revanche cela n'est pas ce qui est fait ici puisque le journaliste semble prendre partie et trouver normal, non pas qu'un homme agresse bien sûr, mais que la période post accouchement d'une femme soit une période un peu difficile pour un homme (sans se demander 5 minutes si elle ne l'est pas pour une femme).
Les choses sont d'emblée posées ; l'homme a agressé MAIS sa femme refusait des rapports sexuels. Notez d'ailleurs le vocabulaire "l'absence de rapports imposée". On parle de "rapports imposés" pour un viol, parler d'"absence de rapports imposée" me semble faire un parallèle a minima dangereux.
Nous est donc mis en tête que cet homme avait quelques excuses, voire que cela n'est pas totalement de sa faute. Forcément on peut être tenté de se dire - sinon pourquoi parler de sa femme - qu'elle est pour quelque chose dans cette affaire à ne rien faire d'autre que refuser des rapports sexuels à ce brave Jérôme.
L'auteur de l'article accrédite une thèse communément répandue ; un homme ne saurait se passer de rapports sexuels. Si sa femme les refuse, il prendra une maîtresse ou ira agresser des mineures car les hommes sont faits comme cela, l'absence de rapports les rend quasi dingues. On accrédite ici la thèse qu'un homme n'est qu'un pénis, mu par lui et incapable de raisonner par ailleurs. Souvenez vous des thèses idiotes autour des prêtres pédocriminels ; "s'ils violent c'est qu'ils sont célibataires". Cela ne tient pas compte du fait que l'immense majorité des pédocriminels ne sont pas célibataires et cela nous dit qu'un homme en manque de sexe fera n'importe quoi y compris violer des enfants. On est toujours sur le même vocabulaire "ce que leur femme leur refuse". Il n'est pas considéré ici qu'une femme puisse avoir des envies sexuelles à égalité avec son partenaire ; elle a à satisfaire ses besoins à lui peu importe qu'elle en ait ou pas. Peu importe que l'accouchement soit un moment particulier, peu importe qu'elle soit épuisée, peu importe qu'elle ait peut-être des points d'épisio, peu importe qu'elle n'ai tout simplement pas envie, voilà ce qu'il se passe quand une femme dit "non" à son mari, il va agresser. Dans tous les cas, et le journaliste ne semble pas envisager autre chose, un homme qui n'a pas de rapports sexuels souffre ; c'est forcément un problème car les hommes sont faits comme cela.
L'homme est appelé par son prénom: "Jérôme" et c'est un "papa" qui a connu "un moment fort". Comment dans ce contexte là ne pas plaindre notre pauvre Jérôme ? sa femme n'est définie que par rapport à lui et les victimes également. En personnalisant l'agresseur, en lui donnant un prénom, des motivations, on fait forcément basculer la sympathie ou du moins la compréhension de son côté.
Nous ne saurons d'ailleurs ce qu'il a réellement fait que par l'article de rue89 ; l'accusé a donc exhibé son pénis et touché les fesses d'adolescentes de 15 ans, par trois fois en quelques jours.
Ce genre de propos est très courant et on l'a tous et toutes entendu, voire véhiculé. Il ne s'agit pas de pointer le journaliste en particulier mais de faire la démonstration - puisqu'on me le demande souvent - de ce qu'est la culture du viol.
Nous avons tous entendu de nombreuses fois que les hommes "ne pensent qu'au sexe" et que cela explique qu'ils violent par exemple tellement c'est quelque chose qui est incontrôlable en eux. Typiquement ce genre de propos doit être déconstruit et analysé.
On doit aussi analyser la menace qui pèse sur les femmes de manière inconsciente "si vous ne donnez pas ce qu'il veut à un homme, alors il violera (vous ou quelqu'un d'autre). On suppose beaucoup les féministes misandres mais, je ne cesse de le répéter c'est la société patriarcale qui est profondément misandre. Supposer qu'un homme est tout entier réduit à son pénis qui le conduit à faire n'importe quoi, est complètement sexiste et cette idée doit être combattue. Reporter le viol commis par un homme sur une femme (la victime ou l'entourage féminin du coupable) est une idée communément employée dans la culture du viol. Elle doit également être analysée et combattue.