Valls débute sa campagne à l'Assemblée

Publié le 09 avril 2014 par Juan

Il a beaucoup négocié, mais il a eu sa majorité, par 306 voix contre 239 contre, et 26 abstentions. Le faux suspense n'avait que trop durer. Manuel Valls peut donc gouverner. On attend la salve de nominations de secrétaires d'Etat qui devait suivre cette opération de politique et de communication.

Vérité, efficacité, confiance. Le triptyque était alléchant. Il nous était présenté en titre. Mardi à l'Assemblée nationale, Manuel Valls a eu son moment, une déclaration de politique générale d’un gouvernement pour lequel il cherchait la confiance auprès de ses propres troupes. Il y eut quelques récalcitrants, rares, pour s’abstenir. Mais pour le reste, le grand cirque de la fronde a fait long feu.

Terminez, circulez, il n’y a plus rien à voir. Il faut attendre.


Il faudrait juger les actes, mais pour l’heure nous ne pouvions commenter que le verbe.
Commentons donc.
Manuel Valls a séduit "sa majorité", de nombreux éditocrates, le centre-droit et même plus loin à droite. La critique, de l'autre côté de l'hémicyle, fut molle. On attaqua un "catalogue de bonnes intentions" - Vous avez bien lu... un catalogue de "bonnes intentions".
Manuel Valls a trouvé de belles formules, bien ciselées, touchantes ou frappantes, c'était selon. le discours ne fut pas trop long, on cherchait l'axe. On le compris vite. Le message était clair. Manuel Valls était là pour accélérer et amplifier la politique de l'offre, sans le moindre autre changement à l'exception d'une exigence d'efficacité.
Bref, on se frottait le yeux. On cherchait où se cachait l'écoute à cette demande "d'écoute des plus humbles" comme l'évoquait Claude Bartolone, lundi 7 avril.
Il faudrait juger les actes, mais pour l’heure nous ne pouvions commenter que le verbe.
Manuel Valls nous/vous aurait compris. Il l'explique, le détaille, le développe, dès le début.
 "Trop de souffrance, pas assez d’espérance, telle est la situation de la France." Il complète: "Et puis il y aussi cette exaspération quand, à la feuille de paie déjà trop faible, s’ajoute la feuille d’impôt trop lourde. Enfin, ils ont exprimé leur soif de justice. J’ai entendu leur voix. J’ai aussi entendu leur silence. Ils se sont prononcés contre l’impuissance politique. Ils veulent des résultats concrets en matière d’emploi, de lutte contre la précarité, de vie chère." Oui, le premier ministre avait entendu, on était curieux, presque impatient: les Français " veulent des résultats concrets en matière d’emploi, de lutte contre la précarité, de vie chère".
Valls dramatise les enjeux. La France est au fond du gouffre. Il nous fait la Rupture sur le changement. Hollande a finalement eu raison de le nommer. C'est le premier enseignement de la journée. Cet homme devait être associé au plus tôt à l'action collective. Fallait-il accepter ce cynisme-là ?
Il y a de la tactique, une réalité que l’on connait, une confusion aussi. Le drame ne concerne pas que la France. L’équipe gouvernementale tangue. La gauche socialiste s’est pris une raclée. Valls revient la joue rouge.
Quel est son constat ?
Il faudrait "dire l’essentiel pour retrouver l’essentiel", c'est-à-dire "la confiance des Français". Avait-elle été perdue ? Valls efface, écrase, éparpille Ayrault.
L'ex-ministre de l'intérieur évoque "la peur lancinante du déclassement", "une crise civique, une crise d’identité." Fait-il un lien avec la crise économique et sociale ? L’argument ressemble à une complainte connue. "Dans un monde qui bouge si vite, les Français doutent de la capacité de notre modèle républicain à promouvoir, à protéger et à intégrer." Il nous décrit la fin d’un monde, la "montée du racisme, de l’antisémitisme, de l’intolérance."
Il enchaîne sur un couplet d’ex-ministre de l’intérieur, la violence dans les campagnes et dans les villes. Cela fait douze ans que l’on entend cela. Nous pourrions, nous devions rétorquer : mais qu’avez-vous fait ?
"Notre société est traversée par la violence. Il y a la menace terroriste qui s’est globalisée et qui pèse sur nos démocraties. Il y a surtout la violence du quotidien. Ce phénomène n’est pas nouveau"

 

"Je dirai donc la vérité aux Français "

Valls englobe tout le monde, la République des précaires. Il a raison il faut brasser large. C'est comme un discours de campagne, comme si nous étions en campagne. A soixante-quatorze reprises, Manuel Valls use du terme "je".
"J’ai vu, j’ai écouté ces retraités qui, à l’issue d’une existence d’efforts, vivent avec une maigre pension ; ces ouvriers qui attendent, depuis trop longtemps, de pouvoir retravailler ; ces salariés précaires pour qui le quotidien n’est pas le travail, mais la survie ; ces patrons de PME, ces artisans, ces commerçants qui n’ont qu’une seule obsession : sauver leur activité pour sauver leurs équipes ; ces agriculteurs, attachés à leur exploitation, qui font face à l’endettement et aussi à une forme de solitude."
Manuel Valls semble en campagne. Certaines formules sont révélatrices, mais qu'importe après tout.  "J’ai entendu leur voix. J’ai aussi entendu leur silence." Ou encore: "La première chose que je dois aux Français, c’est l’efficacité. (…) La sincérité, c’est expliquer."
Il revendique la "diplomatie économique". Les droits de l’homme, la défense de nos intérêts d’Etat, et le commerce.
Chacun jugera.
Valls tend la main au dialogue avec les soutiens critiques (écologistes, et autres socialistes râleurs) et les opposants de gauche ("je dis au groupe GDR que je n’ai pas d’adversaire à gauche et que nous pouvons avancer ensemble sur beaucoup de sujets, dans l’intérêt de la France.")

Eloge de la croissance


Après son couplet sur la souffrance, il reprend le socialisme de l’offre. Il triangule à fond: "soutenir les entreprises, c’est soutenir l’emploi, l’investissement, les exportations. " On connait l'argument.
Sur le site du gouvernement, quelques heures plus tard, la première des citations de Manuel Valls mise en valeur dans les annonces clés est celle-ci:
"D’abord, il y a le coût du travail. Il doit baisser. C’est un des leviers de la compétitivité – pas le seul – mais il pèse lourd"
On attend l’inflexion sociale. Mais Manuel Valls avait d'autres annonces.
1. Le Pacte de Responsabilité sera bien sûr soumis au vote. Valls promet de longs débats, du "programme de stabilité et de la trajectoire des finances publiques" à la loi de Finances. Ils promettent d'être croustillants. Valls attend 
2. Le gouvernement Valls va amplifier les allégements du "coût du travail". Ces derniers seront portés à 30 milliards d’euros d’ici à 2016; autrement dit +10 milliards pour le CICE.
3.  Zéro charge pour l’employeur d’un salarié payé au SMIC, c'est la grande nouvelle du soir, la "révolution" Valls, puisque le premier ministre la qualifie ainsi: "A partir du 1er janvier 2015, l’employeur d’un salarié payé au SMIC ne paiera plus aucune cotisation patronale à l’URSAFF."
4. D'autres allégements encore: pour les salaires jusqu’à 3,5 fois le SMIC, "soit plus de 90 % des salariés", les cotisations Famille seront abaissées de 1,8 point au 1er janvier 2016, soit 4,5 milliards d’euros d’allègement supplémentaires.
5. Personne n'est oublié: les travailleurs indépendants et artisans bénéficieront d'1 milliard d’allégement de leurs cotisations Famille dès 2015 (soit 3 points de cotisations).
6. Manuel Valls n'annonce aucune réforme fiscale.  Mais il va supprimer quelques 6 milliards d'impôts et taxes diverses qui frappent les entreprises, telles la « C3S » - contribution sociale de solidarité des sociétés - un machin incompréhensible que personne ou presque ne regrettera. Toujours pour les entreprises, le taux normal de l'IS sera rabaissé à 28% d'ici 2020, avec une "étape intermédiaire". Et la « surtaxe » instaurée par Nicolas Sarkozy sera supprimée en 2016.
7. Manuel Valls a évoqué une fois, une seule fois, les services publics.
8. Il avait une surprise suffisamment clivante pour rebattre les cartes et agiter le débat.  L'affaire n'est pas mince. Valls propose la réduction par deux du nombre de régions, la suppression de la clause de compétence générale, mais aussi celle des départements d'ici 2021. Hollande refusait cette dernière mesure, le 14 janvier dernier. On croit rêver.
9. Pour les salariés, Valls endosse une mesure annoncée par François Hollande au soir de la déroute des municipales, l'allègement de cotisations salariales pour les bas salaires, en l'occurence en dessous du SMIC. La mesure corrige le tir néo-libéral: " dès le 1er janvier 2015, elles seront diminuées pour les salaires au niveau du SMIC pour procurer 500 euros par an de salaire net supplémentaire." Bref, la mesure était louable, extrêmement habile, mais incroyable insuffisante. 
10. Sans l'expliquer, Valls promet aussi d'"alléger la fiscalité pesant sur les ménages modestes, en particulier ceux qui sont entrés dans le champ de l’impôt sur le revenu ces dernières années alors même que leur situation ne s’était pas améliorée."  Additionnée aux allègements de charges en-deça du SMIC, ces mesures en faveur des ménages modestes représenteront 5 milliards d’euros à l’horizon 2017.
On notera "l'équilibre", ou plutôt les priorités: 5 milliards en faveur du pouvoir d'achat des plus modestes, une cinquantaine de milliards d'allégements de charges et taxes patronales.
Un rapport de un à dix, qui dit mieux ?
11. La réforme Taubira, celle-là même pour laquelle la Garde des Sceaux était restée Garde des Sceaux dans ce gouvernement fut expédiée en quelques phrases: " Dans un pays traversé par les fractures, les rumeurs, notamment sur cette soi-disant théorie du genre à l’école, tous les républicains doivent savoir s’écouter, se retrouver et éviter les surenchères dont les extrémismes sont les seuls vainqueurs. Je pense à la réforme pénale, dont le but, je le rappelle, est de lutter contre la récidive."
Valls avait quelque chose à promettre aux écologistes, la fameuse loi tant attendue sur la transition énergétique sera présentée "avant l'été", avec l'objectif de limiter le nucléaire à 50 % de la production d'électricité d'ici à 2025. Une loi avec un objectif pour dans onze ans, sans blague ? Valls applique une consigne. Dans les rangs de l'Assemblée, quelques députés écologistes s'assoupissent. Ou bien ?
Valls avait quelque chose à dire sur le rétablissement des comptes publics. Il reprend à son compte l'engagement de 50 milliards d'euros d'économies, mais à peine plus étalé, "50 milliards d’euros d’économies sur trois ans de 2015 à 2017". Et le détaille à peine. Il a cette formule horrifiante: "l’effort sera partagé par tous." Ignorait-il que les efforts n'ont pas le même poids pour tous ? "L’Etat et ses agences en prendront la plus grande part, 19 milliards d’euros. 10 milliards proviendront de l’assurance maladie et 10 milliards supplémentaires des collectivités locales. Le reste viendra d’une plus grande justice, d’une mise en cohérence et d’une meilleure lisibilité de notre système de prestations."
Valls avait quelque chose à dire sur les réformes déjà engagées: le "choc de simplification" notamment en faveur du Logement, ou les rythmes scolaires.
Il eut de belles et fortes formules contre le "le nationalisme obscur",  

Manuel Valls n'avait finalement pas grand chose à dire sur la précarité, les sans-domicile-fixe, les expulsé, les fins de mois difficile, la stigmatisation, le racisme, la solidarité. Il expédia l'immigration, l'asile ou la fin de vie. Un discours n'est que de mots.  Ceux-là ne coûtent pourtant pas grand chose.
Cherchez l'erreur. 
Elle est politique. 

Manuel Valls a conclu par une autre formule de campagne. Sincère mais hors sol, presque gênante, une formule qui sentait l'instrumentalisation personnelle et indécente dont la politique souffre. 


"La France a cette même grandeur qu’elle avait dans mon regard d’enfant, la grandeur de Valmy, celle de 1848, la grandeur de Jaurès, de Clemenceau, de De Gaulle, la grandeur du maquis. C’est pourquoi j’ai voulu devenir Français."


Lire aussi: le discours en intégralité.