Les véritables masques du Carnaval

Publié le 09 avril 2014 par Oliaiklod @Olia_i_Klod

Les masques que nous connaissons de nos jours, n’ont, en réalité plus grand chose à voir avec les masques qui étaient portés à Venise jusqu’au XVIIIème siècle, et sont complètement déconnectés de la réalité de ce qu’était alors le Carnaval.

La légende urbaine contemporaine voudrait nous faire croire à un carnaval triste, quasi monacal, où l’on n’entends aucun bruit. Un silence pesant comme dans un cimetière avant l’orage, qui n’a rien à voir avec la foule, le bruit et l’agitation qui transformait Venise pendant la longue période carnavalesque.

La légende urbaine contemporaine voudrait nous faire croire que le masque "plein" est le seul masque historique du Carnaval… alors qu’il n’est qu’une invention du siècle dernier, quand, dans les années 1980, un entrepreneur passionné par l’histoire du costume de son pays, Monsieur Zara, décida de relancer le Carnaval de Venise, disparu totalement à l’époque fasciste, et le port du masque. Or, les masques traditionnels, et leurs fabricants avaient pour ainsi dire totalement disparus.  On inventa de nouvelle formes, plus "modernes", pour plaire aux touristes. Par la suite, au début du XXIème siècle, certains se sont accaparés de cette modernité touristique pour en faire l’unique standard, prétextant la réalité historique. Il s’agit d’une affabulation, d’une méprise, à moins que ce soit un mépris de la réalité historique, bien pratique pour cacher quelque chose…

L’explication de cette réalité historique "revisitée", peut s’expliquer par la sociologie de la population qui a fréquenté le Carnaval de Venise durant les dernières décennies du XXème siècle : artistes, classes moyennes, retraités et bobos se partageaient la rue avec les minorités agissantes. Dans le siècle spirituel, selon Malraux, il fallait donc cacher "sa différence" au lieu de l’exacerber et d’en tirer parti comme au Grand Siècle.

Le masque le plus connu, et qui a réussi à traverser les siècles, et la bauta dont la mémoire se perd à propos de l’époque de son apparition. Son nom dériverait d’une grimace de peur que font les enfants quand ils voient ce masque.

Il était porté aussi bien par les hommes que par les femme, et permettait de manger, boire, parler : autant de choses essentielles pour conclure la principale activité du Carnaval : séduire des personnes de l’autre sexe (ou supposé tel) et obtenir des faveurs charnelles sans lendemain. C’était également le masque qui nivelait toutes les inégalités.

Par extension, la bauta définit aussi l’ensemble du costumes traditionnel du Carnaval Vénitien : volto, tricorne, tabaro et zendale.

L’ovale de velours noir appelé moretta était exclusivement féminin. Ce masque était apprécié autant par les femmes de naissances aristocratiques que par celles de conditions modestes. Sa couleur noire exaltait le blond vénitien de leur chevelure. Il était particulièrement apprécié des hommes, et c’est dans un écrit de Giuseppe Boerio (Lendinara, 1754 – Venezia, 25 fevrier 1832) que nous en trouvons la raison :

"La moretta est attachée à la figure en tenant en bouche un petit bouton qui se trouve à l’endroit où devrait être la bouche".

Un masque qui forçait donc celle qui le portait à ne pas parler, et à accepter toutes les situations qu’elle risquait de rencontrer. Hélas, les rares exemplaires modernes sont munis de rubans pour lacer le masque derrière la tête, et ont donc perdu le principal attrait de cet objet pour le moins insolite.

Nous en convenons, il existait bien un masque, un seul, qui obligeait au silence, mais il ne couvrait pas le visage et était porté exclusivement par la gent féminine.

Le carnaval offrait l’occasion, également, de révéler sa propre nature, d’habitude refoulée pendant le reste de l’année. Les nombreux jeunes signalés aux inquisiteurs pour leur homosexualité en profitaient avec excès. Il y avait également des gais lurons qui prenaient plaisir à se travestir en femme pour l’amusement. Les gnaghe vénitiennes étaient précisément un mélange des uns et des autres, avec quelques touches de vulgarité en plus.

Les gnaghe s’accompagnaient d’amis vêtus comme des tate (terme de dialecte désignant des nouveaux nés) parcouraient la ville en importunant les passants, faisant des plaisanteries vulgaires et triviales.

Il existe, dans le langage vénitien, une expression "aver una ose de gnaga" qui indique une personne avec une voix d’efféminé, de corneille ou de poule.

La maschera in domino constituait une variante élégante à la bauta vénitienne, déguisement typique du Carnaval de Venise. Ce sont les français qui, dans la seconde moitié du XVIème siècle donneront ce nom au capuchon les moines capucins, qui devint, à cette époque, par un caprice de la mode, un vêtement très commun et prisé pour le Carnaval.

La larva, ou volto, était l’équivalent de la bauta, mais de couleur noire, le plus souvent en cuir. Sa forme qui dégage la bouche permettait de manger, boire, parler, embrasser et …

Pendant le Carnaval, les personnages de la Comedia dell Arte étaient à l’honneur, le plus souvent, leurs masques étaient en cuir, plus rarement en papier mâché. Ils permettaient également de s’exprimer, bien entendu, puisque la pantomime faisait partie de leurs jeux.

Nous y reviendrons dans un prochain article.

Même les gracieuse Colombine avaient un masque proche de nos loups modernes, qui permettait de parler, manger, boire, qui étaient les occupations essentielles en période de Carnaval à Venise… et bien sur de séduire, et embrasser, puisque les activités amoureuses (ou plus) atteignaient leur paroxysme en cette période.

Seul le medico de la peste a traversé les siècles sans grands changements, mais, contrairement à ce que l’on pense de nos jours, ce n’était guère un masque prisé pendant le Carnaval. Les horreurs de l’épidémie, récurrente dans cette cité liée au trafic maritime, n’étaient pas propices à l’amusement. Ce n’est que très récemment que ce lugubre personnage inventé au XVIème siècle par le médecin français Charles de Lorme, devint un déguisement carnavalesque.

Comme on le voit par les formes et l’usage des masques traditionnels, qui ont été utilisés pendant toute l’histoire du Carnaval à Venise, nous sommes loin de l’image austère, triste et muette des mascherati contemporains qui prennent la pose en silence, comme autant de statues ou de mannequins dans une vitrine,  devant les touristes-photographes venus au spectacle graphique, mais oubliant les fastes et le côté insouciant et juvénile du Carnaval Vénitien.