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La petite communiste qui ne souriait jamais, de Lola Lafon, a reçu aujourd'hui le Prix de la Closerie des Lilas. Je ne contesterai pas ce choix, il me convient tout à fait.
Comment s’approprie-t-on un mythe contemporain ? En le
réinventant, ce que Lola Lafon a réussi à plusieurs titres dans La petite communiste qui ne souriait jamais.
Le mythe a surgi, apparemment de nulle part, en juillet 1976 à Montréal,
pendant les Jeux Olympiques. Nadia Comaneci, gymnaste roumaine de 14 ans,
affole les juges, les spectateurs du monde entier et jusqu’aux panneaux
d’affichage électronique. Ceux-ci ne sont pas prévus pour afficher la note
parfaite, la note impossible : dix. Il faudra corriger dans l’urgence,
parce que la petite fille bondissante s’apprête à recommencer. Peut-être l’effet
provoqué par ces prestations exceptionnelles s’est-il, presque quarante ans
après, un peu estompé. C’est sans importance : la romancière nous fait
revivre ces moments comme s’ils survenaient pour la première fois et l’émotion
est intacte, installée au début du roman.
Reste à comprendre comment le miracle a pu se produire et pourquoi
il ne s’est pas vraiment renouvelé. Lola Lafon endosse le costume réaliste
d’une enquêteuse, sur les traces de Nadia Comaneci avant et après Montréal, et aussi
celui plus éthéré d’une rêveuse qui communiquerait avec son héroïne pour la
faire réagir à ce qu’elle écrit. La romancière a prévenu le lecteur dans un
avant-propos : « L’échange
entre la narratrice du roman et la gymnaste reste une fiction rêvée, une façon
de redonner la voix à ce film presque muet qu’a été le parcours de Nadia C.
entre 1969 et 1990. » Au fil des pages, on oubliera cet
avertissement, se prenant à croire aux messages et aux coups de téléphone de
Nadia. Ceux-ci jouent un rôle essentiel dans la structure du roman, non
seulement par la proximité qu’ils installent entre la narratrice et l’héroïne
mais aussi parce qu’ils permettent d’exposer le point de vue d’une jeune
Roumaine qui a fait carrière sous la tutelle du Conducator local, Ceausescu.
Exemple de dialogue tendu entre les deux protagonistes :
« A travers vous, le
pouvoir faisait la promotion d’un système. La réussite totale du régime
communiste, l’apothéose de la sélection : l’Enfant nouvelle surdouée,
belle, sage et performante », dit la narratrice qui provoque un rire
agacé et une réplique cinglante : « Ah
oui, bien entendu ! Les Roumains vendaient le communisme. En revanche les
athlètes français ou américains, aujourd’hui, ne représentent aucun système,
n’est-ce pas, aucune marque !!… »
Puisque Lola Lafon fait les questions et les réponses, elle fournit
les différentes facettes de la réalité supposée. L’entraînement intensif d’une
fillette de sept ans, âge auquel Nadia a commencé la gymnastique, l’infinie
souffrance dans laquelle se passent les journées – mais souffrance acceptée et
atténuée par l’usage des médicaments appropriés. La gloire et la douleur
confondues pour la grandeur d’un pays et de son inamovible dirigeant, au moins
jusqu’en 1989.
La biographie de Nadia Comaneci se déroule,
comme nous la connaissons par ailleurs. Mais rien, même pas son corps qui
change quand elle devient femme, ne peut effacer les moments de grâce que Lola
Lafon restitue par de la peinture écrite : « Nadia plonge, sa jambe en arabesque derrière elle, un long
soupir tracé au pinceau. » On ne demande pas à la romancière de faire
exploser le système de notation. Mais elle n’est pas loin de la perfection en décrivant
le corps en mouvement de la jeune, trop jeune, championne olympique. Et tout ce
qui l’entoure.