par Antoine Brenner, Co-fondateur de Gymglish.com
Après plus d'une décennie de promesses globalement non tenues, le e-learning est de nouveau à la mode. E-learning 2.0, 3.0, podcasts, MOOCs (Massive Open Onlines Courses) ou librairies vidéo telles que khanacademy.org, les ‘buzzwords’* ne manquent pas, et chaque nouvelle approche fait couler beaucoup d'encre. Quelles sont les principales innovations de ces approches, et quels grands enjeux reste-t-il à adresser ?
E-learning 2000 vs 2014 : floutage des frontières
Les évolutions des usages et des technologies ont largement modifié le sens même du mot E-learning. Si l'on pouvait facilement opposer e-learning et cours présentiels dans les années 1990/2000, la généralisation des technologies de visioconférence et la création de cursus en mode d'apprentissage mixte (Blended Learning) ont rendu cette frontière bien plus floue. Un cours particulier, même via visioconférence avec un professeur situé à plusieurs milliers de kilomètres de l'apprenant, reste un cours particulier. Embrassant continuellement de nouveaux moyens, supports, technologies, le e-learning a évolué, et n’est plus cantonné dans les cases définies des années 2000. L'enjeu principal des offres d’apprentissage à distance reste ceci dit toujours de limiter le taux d'abandon, véritable point noir du e-learning. Il n'est pas rare de rencontrer un responsable RH déplorer, malgré ses nombreux efforts pour encourager et démocratiser la formation professionnelle auprès des salariés, moins de 15 % seulement d'assiduité aux formations e-learning.
Quelle que soit la qualité d'un contenu, ce dernier ne semble pas suffisant pour garantir la réussite d’une formation. Prenons l'exemple du cours « Introduction Into Artificial Intelligence » de Stanford University lancé à l'automne 2011, qui a compté plus de 160 000 inscrits et été à l'origine du lancement des plate-formes MOOCs Udacity et Coursera. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n'est pas le programme du cours qui est à l'origine du succès. On retrouve en effet tout le contenu du cours et plus encore dans de nombreuses vidéos et livres gratuitement sur Internet (par exemple sur http://tinyurl.com/free-ia-books), y compris d’universités aussi renommées que Stanford. L’élément qui semble avoir le plus contribué au succès de ce cours est autre : les dates de début et de fin de la formation ont été figées, et les étudiants devaient terminer leur cursus sous 10 semaines pour le valider. Cette contrainte a créé la motivation, et plus de 20 000 étudiants ont validé le cours. Un chiffre spectaculaire quand on pense qu’il faudrait plus de 80 semestres soit 40 ans pour former autant d’étudiants dans les amphithéâtres de Stanford. Mais même dans ce cas, au regard des 160 000 étudiants initialement inscrits, le taux de validation n’était que de 14 %. Et la moyenne actuelle des MOOCs est de 13%**. Même dans des cas aussi médiatisés, le principal challenge des solutions de e-learning reste l'augmentation des taux de participation. Je suis convaincu que la différence ne se fera pas tant sur le contenu du cours que sur le format et les à-côtés. Les leviers de motivation des apprenants vont continuer à être sollicités dans le futur, et ceci contribuera aux changements les plus visibles du e-learning les prochaines années.
Le prochain grand enjeu: l'ancrage des connaissances
Il est un autre challenge qu'il est difficile d’ignorer, et que la plupart des offres actuelles de e-learning ignorent pourtant : l'ancrage des connaissances. A quoi sert-il de suivre un cours, qu’il soit en ligne ou à l'université, si quelques mois plus tard les connaissances supposées acquises ne sont plus au rendez-vous ? Parmi les 20 000 étudiants ayant validé le cours « Introduction Into Artificial Intelligence », combien seraient capables de résoudre aujourd'hui les problèmes qu'ils savaient traiter fin 2011 ? Pour ceux qui ne pratiquent pas ce qu'ils ont appris, le taux sera très bas : l’ancrage des connaissances n'est pas réalisé. Il suffirait pourtant de quelques piqûres de rappel, aux bons moments et sous la forme de questions mobilisant la connaissance, pour consolider ces connaissances sur le long terme. Le e-learning est dans une situation particulièrement favorable pour réaliser cette consolidation : le processus d'ancrage requiert la gestion d'une masse de données individuelles très importante, que des traitements automatisés sont à même de réaliser efficacement. Pourtant, seules quelques offres e-learning prennent actuellement en compte cet aspect ancrage des connaissances. Et lorsque c'est le cas, comme par exemple pour Gymglish.com (l’entreprise que je dirige), cet aspect est le plus souvent limité à une formation en particulier, un certain domaine de savoir, dans notre cas la formation aux langues.
Les technologies évoluent, les capacités de communication et de stockage explosent, et nos machines sont chaque jour plus performantes pour le même prix. Le e-learning bénéficie de ces avancées et ne cesse lui-même d’évoluer. Mais les exploits techniques ne garantissent pas les succès pédagogiques. Le e-learning doit accorder plus d’attention aux formats de cours, à l’accompagnement des apprenants, à leur psychologie et leur emploi du temps, ainsi qu’à nos capacités très humaines d’apprendre, de mémoriser, d’être disponible, motivé et assidu. Lorsque le e-learning prendra ces aspects supplémentaires en compte, nous assisterons peut-être à une démultiplication sans précédents de la disponibilité des connaissances acquises durant une vie, ce qui serait enfin une véritable révolution dans le monde de l’éducation.
Antoine Brenner - Co-fondateur de Gymglish.com, architecte de la plate-forme technologique et du moteur d’intelligence artificielle A9expert exploités par les cours d’anglais et de français en ligne Gymglish.com et Frantastique.com.
* Buzzword : terme ou une expression utilisée pendant une certaine période comme slogan pour désigner une nouveauté (technologie, produit, concept, etc.) et pour attirer l'attention sur cette nouveauté (wikipedia)
** Source : http://www.katyjordan.com/MOOCproject.html).