Des idées concrètes, une méthode de concertation véritable, et pas de calcul
ni d’arrière-pensée politicienne, pas de bouc émissaire pour se défausser de ses propres responsabilités : la méthode Borloo est assez atypique dans l’ingénierie politique
d’aujourd’hui.
Hospitalisé pour un pneumonie aiguë le 26 janvier 2014, l’ancien maire de Valenciennes a souhaité consacrer
toute son énergie à sa santé et à son rétablissement et laisser le train de la politique continuer à rouler sans lui, et surtout, sans le freiner alors que dans moins de sept semaines se
profilent les élections européennes.
Étrange atmosphère ce dimanche soir où certains parlaient comme si on l’enterrait déjà. Heureusement, il est
toujours en vie et lorsque sa santé le lui permettra, il ne fait aucun doute qu’il reprendra le chemin de la politique pour apporter sa contribution.
J’ai ressenti de la classe politique la même émotion qu’à la disparition de Philippe Séguin il y a quatre ans, où chacun, au-delà des petites mesquineries politiciennes, reconnaissait la pointure politique
du personnage.
Car Jean-Louis Borloo est une grande pointure. On peut le détester ou l’admirer, regretter sa proximité
ancienne avec Bernard Tapie ou se tromper sur sa position face au FN, mais on ne peut pas nier qu’il est une personnalité politique peu ordinaire du paysage politique. Il a
surtout misé sur les idées, de façon parfois un peu brouillonne, et assez peu sur l’apparence, le look, la communication qui est la grande spécialité du nouveau Premier Ministre. Son ambition est plus pour ses idées que pour le petit devenir de sa personne.
L’émotion
L’un des premiers à accuser le coup a été François Bayrou,
le président du MoDem et nouveau maire de Pau. Ce dernier, ému, a insisté sur la poursuite de la réunion des "centres". Jean-Louis Borloo à l’UDI, François Bayrou au MoDem, cela semblait
relativement paritaire. Sans Jean-Louis Borloo, l’alliance, ou plutôt, puisque c’est son nom, "L’Alternative" risquera de boiter. Mais personne
n’est irremplaçable. J’y reviendrai plus tard.
Concours de circonstances ou pas, Jean-Louis Borloo fêtait son 63e anniversaire ce lundi 7 avril
2014, pendant que son parti allié au MoDem lançait place Stalingrad à Paris les listes centristes pour les élections européennes du 25 mai
2014.
Ce fut d’ailleurs la première réaction de l’ancienne ministre Valérie Pécresse le dimanche soir :
l’absence de Jean-Louis Borloo de la vie politique et notamment de la campagne des européennes sera un handicap. Jean-Louis Borloo aurait été très percutant pour redynamiser l’idée européenne et répondre à tous les pessimistes qui veulent isoler la
France de l’extérieur sans imaginer une seconde les conséquences que cela impliquerait non seulement sur l’économie mais aussi sur l’emploi.
Une carrière politique pas si ordinaire que cela
Il faut se rappeler que Jean-Louis Borloo n’a commencé sa vie politique qu’en simple "sans étiquette",
d’abord aux municipales du 19 mars 1989 où il fut élu maire de Valenciennes, mandat qui lui vaut encore des admirateurs enthousiastes dans le Nord pour avoir fait venir l’usine Toyota en 1997 et
pour avoir implanté le tramway en 2006, et aux européennes du 18 juin 1989, élu député européen comme deuxième de la liste centriste de Simone Veil. De
sensibilité écologiste, Jean-Louis Borloo cofonda alors en 1991 Génération Écologie avec Brice Lalonde, Noël Mamère et Haroun Tazieff, mais préféra rester plutôt indépendant avant de rejoindre
l’UDF en 1997.
Le 30 mars 1992, il tenta de conquérir la région Nord-Pas-de-Calais avec des listes centristes et écologistes
et a bien failli réussir en raison de l’absence de majorité (cela s’est finalement soldé par une région gérée par une présidente écologiste, Marie-Christine Blandin, uniquement soutenue par le PS
qui voyait ainsi le moyen de barrer la route à Jean-Louis Borloo).
Il fut élu député du Nord le 28 mars 1993 et fut réélu en permanence jusqu’à maintenant. Porte-parole du
candidat François Bayrou à l’élection présidentielle du 21 avril 2002, il quitta le navire UDF pour rejoindre le porte-avion UMP à l’instar de Philippe Douste-Blazy et Pierre
Méhaignerie et, appelé par le Président Jacques Chirac et le Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin, pour devenir du même coup ministre, l’un des ministres qui resta le plus longtemps au gouvernement
puisqu’il le fut du 7 mai 2002 au 13 novembre 2010, soit plus de huit ans sans discontinuité.
C’est dans ses fonctions ministérielles qu’il a pu faire avancer quelques idées personnelles, en particulier
sur la Ville et la Rénovation urbaine (7 mai 2002 au 30 mars 2004) avec un plan banlieue très ambitieux (loi n°2003-710 du 1er août 2003) qui a marqué l’histoire des quartiers
difficiles, puis à l’Emploi et à la Cohésion sociale (31 mars 2004 au 15 mai 2007) avec un plan de cohésion sociale de 16 milliards d’euros (loi n°2005-32 du 18 janvier 2005), puis sur le
Logement (2 juin 2005 au 15 mai 2007) en encourageant la construction de nouveaux logements sociaux (500 000 en cinq ans) et l’accession à la propriété.
Enfin, à la tête d’un grand Ministère d’État, Ministère de l’Écologie (19 juin 2007 au 13 novembre 2010) qui
chapeautait en particulier l’énergie et les transports, Jean-Louis Borloo a initié le Grenelle de l’Environnement (loi n°2009-967 du 3 août 2009 et loi n°2010-788 du 12 juillet 2010). Sa
nomination à Bercy n’a duré que quelques jours, du 18 mai au 19 juin 2007, sanctionné pour avoir évoqué un peu vite, le 10 juin 2007, devant Laurent Fabius, l’éventualité d’une hausse de la TVA entre les deux tours des élections législatives.
Jean-Louis Borloo fut aussi un précurseur contre le cumul de mandats exécutifs dans les fonctions ministérielles puisqu’il a quitté ses fonctions de maire de Valenciennes dès qu’il
est entré au gouvernement (il est resté néanmoins président de la communauté d’agglomération de Valenciennes Métropole du 1er janvier 2001 au 16 mars 2008).
Chef de projets
Même si son action n’était pas exempte de critiques, soit sur ce qu’il a fait, soit sur ce qu’il n’a pas
fait, Jean-Louis Borloo a montré une véritable boulimie de projets concrets, finalement assez rares quand on les compare avec les paroles assez creuses du gouvernement actuel. Dans sa démarche
politique, il est plutôt du genre ingénieur que du genre idéologue : avoir des idées, les transformer en projets et les mettre à exécution. Son ambition a été de faire en France ce qu’il
avait fait dans sa ville ou dans ses ministères.
Parmi les reproches qu’on pourrait lui faire, il y a eu surtout son silence face au discours très sécuritaire
du Président Nicolas Sarkozy à Grenoble le 30 juillet 2010. Cette absence de réaction, sur les valeurs républicaines, sur ce qui fondait l’engagement personnel, pouvait s’expliquer de façon très circonstancielle par la
perspective d’être nommé à Matignon en remplacement de François Fillon, perspective qui, semble-t-il avec les enregistrements de Patrick Buisson, n’était que virtuelle.
Il reste qu’ayant repris son indépendance en 2010, ayant fait quitter
le parti radical de l’UMP en 2011, ayant créé l’UDI en 2012, Jean-Louis Borloo a pu, pendant ces trois
dernières années, en dehors de toute ambition personnelle (on lui a assez reproché de vouloir être candidat à l’élection présidentielle puis de ne pas l’avoir été) présenter beaucoup de ses bonnes idées, grâce à la grande attention que lui portent les médias directement en
raison de sa forte popularité.
D'une grande capacité de travail, Jean-Louis Borloo a compris, mieux que d’autres, que la concurrence chinoise n’est pas seulement un problème
de coûts salariaux mais également un danger pour la haute technologie française et il prône aussi une révolution fiscale : il s’agit de ne plus taxer le travail ni les
outils de production mais les flux financiers.
Quelques idées pratiques
Par exemple, dans l’émission "Question d’info" sur LCP le 30 janvier 2013, Jean-Louis Borloo avait proposé
deux bonnes idées.
La première, c’est de créer une maison de l’emploi dans chaque bassin économique, sur tout le territoire,
pour mettre en osmose les CCI, Pôle Emploi et les entreprises. Cette manière de faire, plus décentralisée, plus proche du terrain, moins bureaucratique, aurait sans doute plus de résultats qu’une
gestion très abstraite et trop administrative des demandeurs d’emploi.
La seconde, c’est de réaliser un grand projet de coopération entre l’Union Européenne et le continent
africain sur le thème de l’énergie (renouvelable) avec pour objectif de passer de 25% à 100% le taux d’accès des populations à l’énergie (électricité). Cela aura un triple mérite : créer des
emplois en Europe et en Afrique, renforcer l’Afrique pour qu’elle puisse décoller économiquement une fois dotée d’énergie (propre). Enfin, réduire l’attractivité de l’Europe pour les candidats à
l’immigration si la situation économique du pays d’origine se porte mieux.
Cette possibilité n’est pas du tout théorique puisque cela s’est déjà produit dans d’autres parties du monde.
Il suffit de voir par exemple le dynamisme économique de la Turquie avec un mouvement migratoire qui s’est inversé entre l’Europe et la Turquie : c’est maintenant la Turquie qui
attire !
Lors de la crise de l’euro, Jean-Louis Borloo avait également formulé quatre propositions concrètes le 8 août 2011.
La méthode et le style
La méthode de Jean-Louis Borloo est celle de la concertation, ce qui rend son action très crédible auprès des
partenaires sociaux. Elle a été exprimée entre autres en forme de critique contre la gouvernance Sarkozy mais pourrait tout aussi bien s’appliquer sous le mandat du Président François Hollande : « Je ne crois pas à la méthode de la dénonciation et des boucs émissaires »,
disait-il sur RTL le 9 juin 2011 en expliquant sa façon de faire : « C’est : on réunit les acteurs, on fait un diagnostic partagé, on le
fait avec humilité, on sort de l’idée que c’est toujours la faute des autres ! ».
Associée à cette méthode, le style Borloo, décontracté, à l’image de sa coiffure un peu négligée, lui donne
quelques talents dans l’humour. Par exemple, il est récompensé par le prix de l’humour politique en 2008 pour avoir dit : « Sarkozy, c’est le
seul qui a été obligé de passer par l’Élysée pour devenir Premier Ministre ! ».
Rassembler et unifier
La meilleure mise en pratique de cette méthode, cela a été d’abord de rassembler tous ceux qui partagent le
même engagement politique mais qui, pour des raisons diverses et variées ces quinze dernières années, avaient emprunté des chemins politiques différents. Jean-Louis Borloo et François Bayrou ont
réussi cet "exploit", jetant toutes les rancunes passées dans la rivière de l’oubli, et les résultats des élections municipales du 31 mars 2014 ont montré la réussite de cette union, avec des
gains de nombreuses villes de gauche au profit des centristes, comme Niort (dès le premier tour), Bobigny, Amiens, Nevers, Bourges, Laval,
Vendôme, Nouméa, Béthune, Louviers, Ploemeur, Voisins-le-Bretonneux, etc.
Le retrait de la vie politique de Jean-Louis Borloo constitue donc une grande perte pour la vie politique
française. Mais si c’est la condition pour une meilleure convalescence, il a eu raison, raison d’avoir eu l’humilité de ne pas se croire indispensable et de laisser une nouvelle génération
prendre maintenant le relais.
Merci Jean-Louis Borloo, et surtout, bon rétablissement !
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (8 avril
2014)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Bravo Borloo !
François Bayrou.
La création de
l’UDI.
L’Alternative UDI-MoDem.
Débat Borloo vs Sapin (13 mai 2013).
La famille
centriste.
Les listes centristes aux européennes du 25 mai
2014.
Retrait de la vie politique (6 avril 2014).
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/merci-borloo-ingenieur-de-la-150438